Changement de ton à Washington?

Proche-Orient : mensonges, désastre et cynisme



Les tapis de bombes, les menaces et l'intimidation dont se sert l'administration Bush afin d'imposer son point de vue au reste du monde, sont-ils en train d'être remplacés par le dialogue et la concertation? Certes, une hirondelle ne fait pas le printemps, mais les événements des derniers jours laissent croire à un changement de ton, sinon de méthode, à Washington.
Les attentats du 11 septembre ont longtemps imposé au reste du monde une logique binaire des relations internationales. Chacun a été placé devant le choix brutal, exprimé par la formule laconique, mais combien lourde de conséquences, du président américain lors d'une allocution devant le Congrès: " Vous êtes avec nous ou contre nous. " Sur le coup, tous les États, sauf l'Afghanistan des talibans et l'Irak de Saddam Hussein, ont choisi leur camp, le camp de la lutte à l'hyperterrorisme, du moins le croyaient-ils. Grave erreur. Ils n'avaient pas compris que la formule allait au-delà de l'événement qu'elle était censée couvrir et s'appliquerait à toutes les décisions de cette administration dans les affaires internationales, aussi criminelles ou capricieuses fussent-elles. Il fallait être avec eux ou contre eux à propos de la guerre contre l'Irak, de la torture, du sabotage des institutions internationales, du financement de groupes terroristes opérant contre certains régimes au Proche-Orient, dont celui de l'Iran, du feu vert accordé à Israël afin de détruire les institutions palestiniennes ou de l'élection de Paul Wolfowitz à la tête de la Banque mondiale.
Pendant quelques mois, la communauté internationale a suivi, mais le flot d'oukases émanant de la Maison-Blanche et ses catastrophiques conséquences humaines, sociales et militaires ont fait déborder le vase. Même un gouvernement aussi servile que celui de Tony Blair en a eu assez. Isolée sur la scène internationale, l'administration Bush a fait face au rejet massif de sa politique par la majorité des Américains. Il fallait réagir. Les enragés ont été congédiés - Donald Rumsfeld, John Bolton, Paul Wolfowitz -, les plus modérés - Condoleezza Rice et Robert Gates - promus. Et le ménage n'est pas terminé, comme en fait foi la décision de sélectionner un brillant diplomate afin de diriger la Banque mondiale. En effet, la nomination de Robert Zoellick à la tête de cette institution est une victoire de l'intelligence sur l'idéologie. L'ex-numéro deux du Département d'État est reconnu pour sa compétence en matière de commerce international et pour ses qualités de diplomate.
C'est sans doute à l'égard des relations avec les États " voyous " que le changement d'attitude de l'administration Bush est le plus significatif. Un accord a été récemment conclu avec la Corée du Nord au sujet de son programme nucléaire. Washington a repris contact avec la Syrie et a autorisé Israël à explorer avec Damas les avenues pouvant mener à une solution de la question des hauteurs du Golan et à un traité de paix. Finalement, lundi, Américains et Iraniens se sont rencontrés à Bagdad pour la première fois en 30 ans afin de discuter de la situation en Irak.
Ce n'est pas de gaieté de coeur que le président Bush s'est résolu à modifier une politique dangereuse toujours ouvertement appuyée par un quarteron de fanatiques ayant à sa tête le vice-président Dick Cheney. La réalité sur le terrain et les circonstances politiques aux États-Unis l'y ont obligé. Malgré les discours optimistes sur les " progrès " accomplis en Irak, cette guerre, qualifiée par un des représentants les plus respectés de l'establishment, Zbigniew Brzezinski, " de désastre historique, stratégique et moral ", détruit l'État irakien, cause la mort de milliers de personnes par mois, suscite colère et ressentiment partout dans le monde musulman et menace la stabilité dans l'ensemble du Proche-Orient. Aux États-Unis, à moins d'un revirement spectaculaire, la doctrine Bush du " vous êtes avec moi ou contre moi " promet le cimetière politique au Parti républicain.
L'embellie à laquelle nous assistons actuellement est fragile. Le président garde ses réflexes d'assiégé et sa capacité de nuisance est encore grande. Une guerre avec l'Iran est toujours possible. Il n'a pas non plus remisé sa rhétorique d'intimidation ou visant à susciter la peur. La semaine dernière, devant les diplômés d'une académie militaire, il a ressorti l'épouvantail Al-Qaeda en affirmant, faussement, que l'organisation était l'ennemi public numéro un en Irak alors que la violence dans ce pays est le résultat des luttes de pouvoir entre chiites, sunnites et kurdes dont les États-Unis s'interdisent de démanteler les milices. Le lendemain, au cours d'une conférence de presse où il était à court d'arguments afin de justifier sa guerre, il a apostrophé des journalistes par leur prénom en leur disant que sa stratégie catastrophique visait à " protéger leurs enfants ". À ce niveau de malhonnêteté intellectuelle et morale, il n'est donc pas surprenant que les Américains n'écoutent plus leur président et ne lui fassent plus confiance. Voilà une situation inquiétante pour une superpuissance aux responsabilités mondiales. En attendant le départ du président, les Rice, Gates et Zoellick changent de ton et poussent une autre méthode. Pourront-ils réparer les pots cassés?
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Coulon, Jocelyn

Collaboration spéciale
L'auteur est directeur du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix et professeur invité au GERSI et au CERIUM de l'Université de Montréal. j.coulon@cerium.ca


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