Des nouvelles de l'Irak

Même la zone verte de Bagdad, ce bunker où sont réfugiés les chefs militaires américains et le gouvernement à ses ordres, n'est plus à l'abri

Proche-Orient : mensonges, désastre et cynisme



Les États-Unis s'enfoncent un peu plus tous les jours en Irak et ils voudraient bien entraîner d'autres pays dans leur naufrage. D'où la rencontre de Charm el-Cheikh aujourd'hui et demain en Égypte réunissant une quarantaine de ministres des Affaires étrangères. Ce sommet est un autre exercice de la diplomatie américaine visant à masquer sa débâcle et à nier sa responsabilité dans cette aventure. Il n'en sortira rien.
L'administration Bush a justifié la tenue de la conférence de Charm el-Cheikh en des termes apocalyptiques. Si les États du Proche-Orient et la communauté internationale n'interviennent pas en Irak, dit-elle, il en résultera une série de catastrophes pour la région et le monde: l'Irak va sombrer dans le chaos, les combattants d'Al-Qaeda vont prendre le pouvoir et étendre leur emprise sur d'autres pays, les terroristes vont acquérir des armes de destruction massive et les utiliser contre l'Occident, l'Iran va réaliser son grand rêve de dominer la région, enfin, les réserves de pétrole vont tomber aux mains d'extrémistes.
Ce bricolage en futurologie apparaît plus comme un exercice de terrorisme intellectuel visant à paralyser la réflexion qu'une lecture honnête de la réalité. L'administration Bush se croit encore au temps de la guerre froide où des incantations suffisaient à faire rentrer les alliés dans le rang. Cette époque est révolue. Ni les grands pays arabes, ni les Européens ne vont manger de ce pain-là.
Et la conférence n'a pas commencé que Washington a déjà décidé de la transformer en un lieu de confrontation où l'Iran sera le principal accusé. En effet, la secrétaire d'État Condoleeza Rice, tout en appelant au dialogue, a stigmatisé l'Iran comme seul fauteur de troubles dans la région et énuméré les conditions que Téhéran devrait suivre afin de rétablir la paix en Irak. "Ce que l'Iran doit faire est très clair, a-t-elle dit: interrompre le flot d'armes aux combattants étrangers, endiguer le flot de mercenaires à travers les frontières, cesser d'utiliser des engins explosifs pour tuer les soldats américains, cesser de fomenter des querelles entre milices qui ensuite tuent des Irakiens innocents."
Il n'est pas venu à l'esprit de Mme Rice que, pour nombre de pays autour de la table et dans le monde, ce sont plutôt les énormes flots d'armes et de mercenaires américains en Irak, les crimes commis par les soldats américains, la destruction systématique de l'État irakien, le nettoyage ethnique encouragé par les forces occupantes et l'armement des milices proaméricaines qui sont la cause de la catastrophe irakienne. Peut-être que cette lecture des événements sera présentée par quelques courageux pays lors de la réunion de Charm el-Cheikh, car si toutes les responsabilités ne sont pas clairement établies, il ne peut y avoir ni dialogue, ni piste de solutions.
Le naufrage
Mme Rice peut bien amuser la galerie en Égypte en portant des accusations contre l'Iran, la situation en Irak est le résultat direct de l'intervention américaine. Le chaos règne partout, et même la zone verte de Bagdad, ce bunker où sont réfugiés les chefs militaires américains et le gouvernement à ses ordres, n'est plus à l'abri. Au mois d'avril, alors que l'augmentation des forces américaines à Bagdad devait ramener un semblant de sécurité, 100 soldats américains et plusieurs milliers d'Irakiens ont été tués. Le Parlement a été attaqué et un député tué. À Washington, deux rapports officiels viennent contredire les espérances de l'administration Bush sur la situation dans le pays, et la publication du livre de l'ancien chef de la CIA, George Tenet, vient confirmer ce que nous savions depuis le début: armes de destruction massive ou pas, l'administration était déterminée à faire la guerre.
Ainsi, dans son enquête sur le massacre de 24 civils irakiens par des soldats américains, le Pentagone vient de révéler que pour la chaîne de commandement en Irak "la vie des civils irakiens n'est pas aussi importante que les vies américaines, que leur mort est le prix à payer pour mener les affaires et que les marines doivent faire le boulot peu importent les moyens". On tire d'abord et on pose les questions après. Sur la reconstruction, dont les Irakiens attendent beaucoup afin d'améliorer leur sort, les nouvelles ne sont pas meilleures. Le Bureau de l'Inspecteur général de l'Irak vient de découvrir que sur les huit grands projets de reconstruction, dont l'administration Bush jurait, il y a six mois, qu'ils étaient un succès, six ne fonctionnent pas adéquatement, et leur survie est menacée.
Mais les révélations les plus dommageables pour l'administration Bush sont venues des Mémoires de George Tenet. L'ancien chef de la CIA y règle ses comptes avec plusieurs de ses anciens collègues. Non seulement l'équipe Bush voulait attaquer l'Irak avant le 11 septembre, raconte-t-il, mais le moment venu, le président et ses conseillers n'"ont jamais débattu sérieusement de la menace représentée par l'Irak et n'ont jamais discuté de la possibilité d'atténuer cette menace autrement que par une invasion". La diplomatie n'était qu'un écran de fumée afin de masquer le crime en préparation.
Depuis quelques mois, le peuple américain réclame le retrait ordonné et rapide de ses troupes d'Irak. Il en a assez de voir ses soldats patauger dans cette mare de sang. Bush vient de lui dire non en utilisant son veto contre un projet de loi du Congrès allant dans ce sens. Puisque c'est ainsi, restons loin, très loin de cette guerre insensée.
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Jocelyn Coulon
L'auteur est directeur du Réseau francophone de recherche sur les opérations de paix et professeur invité au GERSI et au CERIUM de l'Université de Montréal.


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