Une ingérence évidente

Québec 2007 - le facteur «Canada»




Ce qui est fascinant, c'est de constater que l'intrusion de M. Harper dans la campagne électorale québécoise ne fait pas scandale, ni au Québec, ni en dehors.
Le plus drôle spectacle de cette drôle de campagne électorale québécoise se déroule à... Ottawa, où presque chaque jour on a pu entendre Stephen Harper insister sur le fait qu'il n'entend pas s'ingérer dans le choix des Québécois.
C'est comme si Kent Nagano quittait le podium de la salle Wilfrid Pelletier en plein concert de l'Orchestre symphonique de Montréal, pour réapparaître quelques minutes plus tard, bâton à la main, sur le podium du théâtre Maisonneuve à coté de Yannick Nézet-Séguin - tout en insistant pour dire qu'il n'entendait pas s'ingérer dans la performance des musiciens de l'Orchestre Métropolitain!
Or tout le monde sait qu'il y aura budget fédéral le 19 mars, soit très exactement une semaine avant que les Québécois votent; et que ce budget apportera la "solution" fédérale au "déséquilibre fiscal"; et qu'il n'y a qu'au Québec que la classe politico-médiatique fait de ce soi-disant déséquilibre une obsession; et que toute "solution" jugée satisfaisante par une partie de cette classe constituerait un coup de main très important à Jean Charest en dernier tour de piste.
Qui plus est, on a vu tout dernièrement une démonstration de la capacité de M. Harper de s'abstenir de s'ingérer dans la politique québécoise lorsqu'il le veut: le Parti conservateur a suspendu la diffusion de ses annonces publicitaires se moquant de Stéphane Dion et des libéraux fédéraux au Québec et ce, jusqu'après le 26 mars, justement parce que certains électeurs auraient eu de la difficulté à distinguer entre les libéraux fédéraux (méchants) et leurs lointains cousins provinciaux (gentils).
En élaborant ma preuve que le premier ministre du Canada s'ingère sciemment dans une élection provinciale, je sais très bien que j'enfonce une porte ouverte, parce que personne n'est dupe. Surtout pas les chefs des partis d'opposition au Québec, qui ont presque avoué que d'ici au dépôt du budget de Jim Flaherty à Ottawa, le 19 mars, la campagne québécoise est un peu bidon.
Il faut s'attendre à ce que la dernière semaine de la campagne soit passablement plus mouvementée que tout ce qui l'aura précédé. On assiste actuellement à une drôle de guerre, parce que personne ne saura sur quel pied danser avant le 19 mars.
Je couvre la politique fédérale depuis plus d'une décennie et je n'ai jamais vu pareille chose: un gouvernement fédéral qui rédige son budget en fonction de son désir de donner un coup de main à un parti.
Absence de scandale
Ce qui me fascine, c'est que l'ingérence de M. Harper ne fasse pas scandale - ni au Québec, ni en dehors. Pour comprendre de quoi je parle, il suffit se demander ce qui serait arrivé si Jean Chrétien avait tenté pareil geste pour aider un homologue québécois - ou, ce qui serait peut-être plus facile à imaginer, ontarien - il y a quelques années. Son geste serait devenu LE plus grand enjeu de la campagne provinciale. Je crois que la tolérance au Québec pour la stratégie de M. Harper démontre que celui-ci, toujours plutôt méconnu des Québécois, profite toujours de beaucoup de tolérance de leur part, tout simplement parce qu'on est toujours en train d'apprendre comment il fonctionne et que cet apprentissage n'est pas inintéressant.
Hors Québec, la tolérance pour cette stratégie de M. Harper est encore plus fascinante. Je souligne que les Canadiens hors Québec ne suivent pas à la loupe tout ce qui se fait au Québec, mais qu'il est quand même très largement connu que le prochain budget fédéral verra le jour à une semaine d'une élection cruciale au Québec. Et pourtant, personne ne proteste. C'est que les Canadiens, y compris plusieurs qui ne sont pas d'allégeance conservatrice, commencent à saisir quelque chose de surprenant. Stephen Harper, cet Albertain ultra-conservateur au français approximatif et qui ne compte qu'une dizaine de députés au Québec, semble pour l'instant maîtriser le dossier de l'unité nationale au moins aussi bien que plusieurs premiers ministres libéraux québécois avant lui.
Il s'entend bien avec le chef libéral du Québec, beaucoup mieux que M. Chrétien avec Daniel Johnson ou M. Trudeau avec Claude Ryan. Pourtant il ne semble pas vouloir aller trop loin en ouvrant la boîte de Pandore constitutionnelle, comme Brian Mulroney l'a fait, et d'autre part il refuse de critiquer la Loi sur la clarté de Chrétien et de Stéphane Dion (certains de ses admirateurs prétendent même que c'est Harper, ancien député réformiste, qui serait le vrai père de cette loi, ayant défendu certains de ses principes bien avant l'arrivée de M. Dion à Ottawa). Un premier ministre, donc, qui réussit à améliorer la qualité des relations entre Québec et Ottawa, sans nous embourber dans un énième psychodrame constitutionnel et tout en assurant une certaine défense de l'unité canadienne dans l'éventualité d'une crise référendaire.
Un premier ministre somme toute assez responsable, quoi. Les Canadiens se sentent plutôt indulgents à son égard, en ce qui a trait aux questions québécoises, enclins à le laisser aller. Il en profite. On verra jusqu'à quel point le 19 mars.
L'auteur est chroniqueur politique au magazine Maclean's.


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