Tout en souhaitant une victoire libérale ce soir, le premier ministre Stephen Harper va avoir les yeux rivés sur la performance de l'Action démocratique et prier pour que le Parti québécois perde son pari de revenir au pouvoir.
Dans l'éventualité d'une victoire péquiste, la prudence pourrait dicter au chef conservateur de renoncer à l'hypothèse d'élections printanières. À l'extérieur du Québec, le retour aux affaires du PQ -- même minoritaire et même sans les moyens parlementaires de ses objectifs référendaires et l'appui d'une vaste majorité de Québécois -- serait perçu comme un désaveu du fédéralisme d'ouverture prôné par Stephen Harper.
Dans tous les autres scénarios, par contre, le résultat québécois sera vraisemblablement inscrit dans la colonne des motifs susceptibles d'encourager le chef conservateur à retourner aux urnes aussi tôt que possible. Il pourrait y arriver soit en prenant l'initiative de déclencher un scrutin, soit plus probablement en faisant d'un vote perdu d'avance par son gouvernement une question de confiance.
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M. Harper ne verrait pas dans l'élection d'un gouvernement minoritaire libéral un rejet de ses ouvertures budgétaires. Même si le budget n'a pas eu d'impact positif sur la campagne de Jean Charest, les premiers sondages ont déjà montré que c'est au Québec qu'il a été le mieux reçu. C'est en partie à cause de ce bon accueil que, à l'échelle canadienne, deux sondages indiquent que le budget a ouvert la voie à une majorité conservatrice dans les intentions de vote.
Vue des officines conservatrices à Ottawa, la montée de l'ADQ au cours de la campagne électorale a été perçue comme un phénomène positif. Elle a implicitement confirmé que la percée conservatrice des élections fédérales de 2006 au Québec n'était pas le fruit d'un concours de circonstances, mais bien le signe d'un changement de paradigme favorable à l'émergence d'une force conservatrice digne de ce nom sur l'échiquier québécois.
Les sentiments contradictoires qu'a inspirés la progression adéquiste aux stratèges conservateurs fédéraux et à ceux de Jean Charest ont alimenté bien des tensions entre les deux au fil de la campagne québécoise. Ces tensions ont culminé pendant la dernière semaine de la campagne.
Du côté du PLQ, on aurait préféré que l'équipe Harper ne profite pas du dépôt du budget la semaine dernière pour proclamer aussi lourdement la fin du débat sur le déséquilibre fiscal. Et alors que la plupart des analystes ont surtout retenu de la déclaration du premier ministre fédéral voulant qu'il ne réformerait pas le fédéralisme en tandem avec un partenaire péquiste qu'il tentait de nuire au PQ, dans l'entourage de Jean Charest, on a noté avec agacement que M. Harper n'excluait pas de poursuivre le dialogue avec un gouvernement adéquiste.
De son côté, en sortant le lapin d'une baisse générale des impôts des particuliers du chapeau de la péréquation dès le lendemain du budget Harper, M. Charest a joué un mauvais tour à son allié fédéral. Son geste a provoqué un début de ressac contre le budget dans certains milieux du reste du Canada. Le gouvernement conservateur, qui avait produit un ensemble de mesures populistes destinées à lui donner un élan décisif dans les intentions de vote, s'est retrouvé sur la défensive.
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En attendant, fièvre électorale aidant, on a très sommairement classé le budget de la semaine dernière comme une vaste tentative de séduction à l'égard du Québec et de l'électorat ontarien.
Il est tout à fait exact que le principal objectif politique à court terme du gouvernement Harper constitue à mettre en place les éléments d'une majorité conservatrice. Dans cet esprit, il a produit un budget ciblé sur la classe moyenne et sur l'électorat urbain qui est à la clé d'une victoire électorale au Canada.
Mais à l'instar du budget de 1995, qui avait mis le Canada sur la piste du déficit zéro, celui de 2007 passera également à l'histoire comme un événement-charnière en matière de fédéralisme fiscal. Le budget fédéral de la semaine dernière ne règle peut-être pas le déséquilibre fiscal dans le sens des rêves des élites québécoises, mais il modifie bel et bien l'équilibre fiscal entre Ottawa et les provinces.
Il y arrive non pas en modifiant la formule de péréquation de façon à bonifier la part québécoise du gâteau, mais en rétablissant la règle du calcul des transferts sociaux au prorata de la population de chaque province. Ce changement est beaucoup plus fondamental que l'instauration d'une nouvelle formule de péréquation et il est à l'avantage des provinces riches. La formule actuelle leur imposait un manque-à-gagner récurrent. De ce fait, elle nivelait encore davantage le terrain entre provinces plus et moins bien nanties.
À cet égard, le budget de la semaine dernière ne constituait qu'un acompte puisque, dans un premier temps, seules les sommes destinées à l'éducation postsecondaire et à l'aide sociale seront réajustées. Le vrai pactole attend les provinces bien nanties dans six ou sept ans, quand le transfert pour la santé -- beaucoup plus riche celui-là -- sera augmenté à hauteur de leur poids démographique.
En fait, cela fait de l'Alberta et de l'Ontario les vraies provinces gagnantes à long terme du nouveau pacte fiscal proposé la semaine dernière. Le fait que la première constitue la base politique du parti de M. Harper et que la seconde soit essentielle à un succès électoral durable sur le plan fédéral ne tient pas au hasard. Cela correspond à l'ambition du premier ministre de faire de sa formation le parti naturel de gouvernement au Canada.
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Chantal Hébert est columnist politique au Toronto Star.
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