À la veille du débat des chefs de la campagne électorale, seule l'île de Montréal constitue encore un terrain sûr pour le Parti libéral du Québec. S'il ne renverse pas la tendance, les jours de Jean Charest comme premier ministre sont presque certainement comptés.
À deux semaines du vote, le PLQ traîne toujours sept ou huit points derrière ses adversaires parmi l'électorat francophone. À peine un électeur francophone sur quatre appuie actuellement Jean Charest. À 33 % dans les intentions de vote générales, selon le sondage CROP publié par La Presse ce week-end, le PLQ est à 13 points de son score de 2003 et à une dizaine de la zone à l'intérieur de laquelle il peut espérer remporter une majorité.
Dans l'état actuel des choses, l'hypothèse même d'un gouvernement majoritaire est de plus en plus lointaine. Le projet référendaire du Parti québécois continue à le tirer vers le bas; son chef André Boisclair est vu comme le moins attirant des trois principaux leaders en présence.
L'Action démocratique poursuit sa montée et talonne désormais ses deux adversaires, mais, en théorie tout au moins, sa base n'est pas assez large pour qu'il franchisse en une seule campagne le pas qui le mènerait au pouvoir et a fortiori à une majorité gouvernementale. Par contre, dans les faits, Mario Dumont a dépassé les attentes depuis trois semaines. Ce faisant, il a déjà bouleversé les équations conventionnelles de la campagne électorale et transformé le traditionnel duel québécois en véritable lutte à trois.
Si les choses en sont arrivées là, c'est en partie parce que Jean Charest n'a pas tiré les bonnes leçons de la dernière campagne fédérale. S'inspirant du plan qui a si mal servi Paul Martin l'an dernier, il a reproduit à une virgule près la stratégie libérale qui avait mené à la percée conservatrice du scrutin de 2006.
Depuis trois semaines, le chef libéral s'est évertué à donner des allures référendaires à la campagne, en principe pour faire le plein de votes fédéralistes. Le principal résultat de sa stratégie aura été de pousser une frange importante de sa propre clientèle dans le camp Dumont.
Car avant d'être quoi que ce soit d'autre, l'ADQ est d'abord une maison de transition pour les électeurs qui veulent sortir de la cage du débat national. Le refus de Mario Dumont de choisir entre les camps souverainiste et fédéraliste agace avec raison ses adversaires. Pour un nombre grandissant de Québécois qui refusent eux aussi de s'identifier clairement à une partie ou à l'autre, c'est davantage un atout qu'un inconvénient.
La position autonomiste de Mario Dumont lui permettait déjà de siphonner les votes des péquistes désenchantés soit par le leadership d'André Boisclair, soit par la perspective d'une autre référendum, ou par les deux. La rhétorique fédéraliste de Jean Charest ces dernières semaines a eu pour effet d'éloigner les fédéralistes mous qui ne veulent pas de la souveraineté mais qui souhaitent un gouvernement revendicateur sur le front des relations fédérales-provinciales.
À 14 jours du vote, la tendance peut-elle encore être renversée? Dans les faits, le temps n'est pas vraiment en cause. Brian Mulroney en 1988, Paul Martin en 2004 ont tout deux fait tourner le vent en leur faveur sur les dix derniers jours d'une campagne fédérale. (En passant, ni l'un ni l'autre n'avaient remporté au préalable le débat des chefs, ce qui ne les avait pas empêchés de triompher au terme d'un sprint final énergique.)
Comme Stephen Harper en 2004, Mario Dumont pourrait encore manquer de souffle entre le débat des chefs de demain et le vote du 26. À cet égard, le congédiement d'un second candidat adéquiste en quelques jours n'a rien pour rehausser les chances de sa formation. Son programme comporte de nombreuses zones d'ombre. Les feux de la rampe qui vont désormais être braqués sur lui pourraient faire fondre ses appuis.
La plupart des électeurs ne voient pas le chef adéquiste au pouvoir. Ils s'attendent massivement à ce que le PLQ remporte la victoire. Le doute que viennent jeter les sondages sur cette fausse certitude pourrait changer le climat du dernier tour de la campagne. Finalement, aussi bien les libéraux que le PQ disposent de machines de terrain mieux rodées que celle de l'ADQ.
Mais il se pourrait également que les Charest et Boisclair aillent à contre-courant d'une tendance plus lourde que celle d'un engouement passager pour le chant de la sirène adéquiste. C'est la seconde fois en un an que l'électorat québécois manifeste lourdement sa fatigue à l'égard du jusqu'au-boutisme des principaux acteurs du débat national. En 2006, ce sentiment avait permis à Stephen Harper de réaliser une percée importante au Québec.
Un électeur sur quatre avait alors préféré son fédéralisme d'ouverture aux positions tranchées des libéraux fédéraux et du Bloc québécois et passé outre, ce faisant, à un chef moins branché sur le Québec que ses adversaires et à un programme nettement à droite de la tendance lourde québécoise.
L'expérience des régimes minoritaires qui se sont succédé à Ottawa ces dernières années a impressionné favorablement l'électorat québécois. Loin de déplaire, l'hypothèse d'un gouvernement minoritaire à Québec le séduit davantage que celle d'un régime majoritaire.
Jusqu'à preuve du contraire, l'ascension adéquiste dans les intentions de vote et l'Assemblée nationale reconfigurée qui pourrait en résulter s'inscrivent davantage dans la lignée des résultats québécois du dernier scrutin fédéral que l'hypothèse d'une victoire nette du PLQ ou du Parti québécois le 26 mars prochain.
chebert@thestar.ca
Chantal Hébert est columnist politique au Toronto Star.
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