Le talon d'Achille

Débat des chefs - Québec 2007

Chacun des trois chefs de parti qui s'affronteront ce soir connaît parfaitement les points faibles de ses deux adversaires. Réussir à en profiter est une autre histoire. Pâris était peut-être un bon archer, mais il a eu beaucoup de chance que sa flèche atteigne le talon d'Achille.

Tout chef du PQ sait qu'il se fera attaquer sur la souveraineté. En 2003, Bernard Landry pensait bien avoir désamorcé la question dans la plate-forme électorale, qui renvoyait le référendum aux calendes grecques. Sans la visite inespérée de Jacques Parizeau au cégep de Shawinigan, le jour même du débat télévisé, Jean Charest n'aurait pas eu de prise, et l'histoire aurait pu être bien différente. Cette année, l'entourage d'André Boisclair va sûrement s'enquérir de l'agenda de l'ancien premier ministre. Pour plus de précaution, il faudrait aussi avoir l'oeil sur Bernard Landry.
Lors du débat de 1998, Mario Dumont avait fait très mal au chef libéral en mettant en doute sa loyauté envers le Québec. Cinq ans plus tard, M. Charest était toujours aussi vulnérable sur ce terrain, mais le malheureux discours du chef de l'ADQ devant le Canadian Club de Toronto lui interdisait de s'y aventurer.
Il est tout aussi important d'empêcher l'adversaire de profiter de ses propres faiblesses. En 2003, M. Charest savait qu'on lui reprocherait sa promesse d'autoriser des référendums sur les défusions. En déclarant d'entrée de jeu qu'il souhaitait le succès des nouvelles villes, il a désarçonné aussi bien Bernard Landry que Mario Dumont, qui n'ont plus abordé la question.
Ce soir, il pourrait bien utiliser le même truc pour prévenir les attaques sur le front de la santé. Soit, le PLQ avait sous-estimé les dommages causés par les mises à la retraite décrétées par le PQ, mais est-ce une raison pour laisser l'ADQ démolir le réseau en permettant aux médecins de pratiquer indifféremment dans les secteurs public et privé? pourrait demander le premier ministre.
Évidemment, il serait plus facile de rectifier le tir si Pierre Paradis ne laissait entendre, en choisissant soigneusement ses mots, que la population a été trompée. «Les gens veulent entendre la vérité.» Ah, le brave homme!
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Mario Dumont n'avait sûrement pas besoin de passer à Tout le monde en parle pour savoir que l'absence de cadre financier pour ses engagements et la faiblesse de son équipe constituent ses plus grands handicaps.
En ce qui concerne l'équipe, il pouvait difficilement demander à Chantal Hébert où était la sienne, mais il aurait beau jeu de répliquer à André Boisclair que personne à l'ADQ n'a nié l'existence d'un génocide au Rwanda. Soit, lui-même a dû répudier deux de ses candidats, mais aucun n'a dû faire face à des accusations de fabrication de faux documents, comme l'ancien député libéral de Mégantic-Compton, Daniel Bouchard.
Il est vrai qu'en moyenne, les candidats de l'ADQ sont sensiblement moins scolarisés que ceux du PQ et du PLQ, mais M. Dumont ne demande pas mieux que d'exploiter tout ce qui pourrait ressembler à une marque de mépris pour le «vrai monde» qu'il prétend représenter.
M. Boisclair devrait être particulièrement prudent sur le sujet. Victor-Lévy Beaulieu a exprimé un sentiment de plus en plus répandu dans sa lettre au Journal de Montréal: «Le PQ n'est plus que le parti des Montréalistes branchés, arrogants et méprisants par-devers le reste du monde québécois.»
Dans la perspective du débat, le plus gros handicap de M. Dumont demeure l'absence de cadre financier. Le budget fédéral forcera peut-être tout le monde à revoir ses chiffres, mais il ne peut pas se permettre d'avoir l'air aussi fou que dimanche soir. Il va vraisemblablement profiter de la première occasion pour lancer un chiffre, quitte à remettre les détails à plus tard.
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Tout est toujours plus compliqué au PQ. C'est plus vrai que jamais. La promesse de tenir un référendum le plus rapidement possible dans le mandat est à la fois le talon d'Achille d'André Boisclair et sa bouée de sauvetage.
Pierre Curzi a raison de dire que le Québec ne peut pas se permettre un troisième non. Même parmi ceux qui ne sont pas allergiques à l'idée d'un troisième référendum, bien peu croient réellement le chef du PQ en mesure de mener le camp du oui à la victoire. En revanche, les souverainistes n'iront pas voter s'ils ont le sentiment que le référendum sera encore reporté.
Le problème est qu'au lieu de permettre au PLQ et au PQ de récupérer leur clientèle respective, les escarmouches de nature référendaire entre MM. Charest et Boisclair semblent plutôt avoir profité à Mario Dumont depuis le début la campagne.
En principe, le premier ministre devrait être la principale cible ce soir, mais M. Boisclair et lui ont un intérêt commun à se liguer contre le troisième homme qui menace leur monopole. Sur le terrain, on voit mal où le PQ pourrait arracher des sièges au PLQ, tandis que l'ADQ ne peut que progresser aux dépens des deux autres.
Le chef de l'ADQ a toutefois démontré dans le passé tout le parti qu'il pouvait tirer d'un débat à trois. En 1998, sa vivacité avait décontenancé aussi bien Jean Charest que Lucien Bouchard. La formule d'un débat télévisé, où chacun n'a droit qu'à quelques minutes, lui convient parfaitement.
M. Boisclair, qui en est à sa première expérience du genre, répète à qui veut l'entendre que les Québécois n'éliront pas un comédien le 26 mars, mais un premier ministre. Sans doute, mais ils savent aussi apprécier les bons mots. Le sérieux et la platitude ne sont pas nécessairement synonymes.
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mdavid@ledevoir.com


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