Une évidence

"Honnêtement"... Limiter le pouvoir de dépenser du fédéral, cette "grande oeuvre" du fédéralisme d'ouverture, ne concernerait donc qu'Ottawa et Québec ? Ou cela ne concernerait-il pas TOUTES les provinces? Dans ce dernier cas, un gouvernement péquiste à Québec ferait vraiment obstacle à la dynamique souhaitée? Allons, les ti-comics, un peu de sérieux! - Vigile



Québécoises, Québécois! Comme ambassadeur virtuel du Canada anglais en cet avant-veille d'élections québécoises, fidèle à une vieille tradition fédéraliste, je viens vous faire des menaces. Mon camion de la Brinks est stationné juste dehors. Il part à minuit en direction de Toronto. N'oubliez pas de réveiller les enfants à temps; c'est pour eux qu'on fait ça. Vous savez combien ça coûte, la location d'un camion de la Brinks?
Non, mais sérieusement, je dois vous faire part d'un de ces secrets de Polichinelle qui, prononcés à voix haute, ont toujours l'air de n'être qu'autant de menaces. Tenez-vous bien: si d'aventure le Parti québécois l'emportait lundi soir - s'entrefilant entre libéraux et adéquistes dans des dizaines de comtés parfois surprenants (dont - qui sait? - peut-être même Westmount-Saint-Louis! Je l'aimais bien, Jacques Chagnon, mais que voulez-vous, la vie est triste) - et bien dans ce cas de figure-ci, la lune de miel entre Stephen Harper et le gouvernement du Québec prendra fin dans les minutes qui suivront. Le gel Ottawa-Québec ne tardera très certainement pas.
Bouuuuh!
En réalité, je ne dis pas ça pour menacer qui que ce soit. M. Harper non plus d'ailleurs. Quand le premier ministre canadien a dit mercredi à la Chambre des communes qu'il lui faudrait un gouvernement québécois qui croit au Canada pour négocier un entente sur la limitation du pouvoir fédéral de dépenser, il ne faisait qu'affirmer une évidence. Ce faisant, il est vrai, M. Harper s'est mis à dos les chefs de toutes les formations politiques, y compris ses potes Jean Charest et Mario Dumont. Mais comme M. Harper commence à apprendre peut-être un peu sur le tard, ce n'est pas l'unanimité entre chefs de parti québécois qui fait la réalité. C'est beaucoup plus souvent le contraire: à Québec comme à Ottawa où dans n'importe quelle démocratie, le consensus facile est le meilleure gage de la sottise. C'est un peu pour ça qu'on a gardé un Sénat à Ottawa: à chaque fois que les députés élus des Communes votent un projet de loi bien-pensant en moins de dix minutes, il nous faut des sénateurs un peu moins excités pour réparer le gâchis.
Honnêtement, un gouvernement du Canada peut-il aussi facilement négocier un changement important dans le fonctionnement du pays avec un gouvernement dont la bonne foi est douteuse qu'il ne pourrait le faire avec un gouvernement qui partage, grosso modo, ses espoirs pour la réussite du pays? Poser cette question, ce n'est pas remettre en question le droit des Québécois de choisir le gouvernement qu'ils voudront ou même le gouvernement qu'ils tireront au hasard en fonction du casino démocratique de 125 luttes à trois aléatoires. Ce n'est surtout pas remettre en question la légitimité du Parti québécois ni celle de l'aspiration souverainiste. C'est tout simplement dire que tout choix fait entre adultes consentants a des conséquences, le plus souvent hautement prévisibles. L'une de celles-là, c'est que Stephen Harper choisira sereinement ses amis et ennemis. Ce n'est pas les crises de nerfs d'André Boisclair qui changeront cela. Il suffit de constater à quel point la dernière des crises de nerfs hebdomadaires que s'amuse à piquer Danny Williams, premier ministre plutôt soupe-au-lait de Terrre-Neuve, laisse M. Harper indifférent.
Son amitié de circonstance avec Jean Charest a singulièrement marqué l'administration de M. Harper, mais qu'on ne s'y trompe pas: le premier ministre s'est assez souvent expliqué sur ce sujet pour que personne ne puisse croire que ce soit le sens d'humour de M. Charest ou ses cheveux bouclés qu'affectionne l'Albertain. M. Harper a dit et répété qu'il fallait épauler M. Charest précisément puisqu'il s'agissait du premier ministre québécois le plus fédéraliste qu'il ait connu. M. Boisclair étant moins fédéraliste, il ne sera pas épaulé par Ottawa.
M. Charest a dit, dans la foulée de la déclaration de M. Harper, que ce n'est pas au premier ministre canadien de décider avec qui il négociera. Soit. Mais il décidera avec qui il ne négociera pas. Croyez-moi: je suis membre de la Tribune de la presse à Ottawa. Moi et mes collègues, nous avons déplu à un moment donné à M. Harper. Il a tout simplement annulé ses points de presse dans le capitale fédérale depuis. Quatre présidents successifs de la Tribune de la presse n'ont pas réussi à le faire bouger.
Dire cela, ce n'est pas menacer les Québécois. Ceux-ci éliront qui ils voudront, et c'est bien ainsi. Je ne peux m'empêcher même d'espérer qu'ils élisent M. Boisclair. S'ensuivraient alors des gestes qui viendraient clarifier le débat national. Pour ceux qui aiment la clarté.
Paul Wells
L'auteur est chroniqueur politique au magazine Maclean's.


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