Un combat de géants: Marois-Duceppe

Le chef bloquiste décide de plonger avant même de rencontrer sa rivale

PQ - succession de Boisclair


La course à la direction du Parti québécois s'est transformée en un combat de géants entre deux figures marquantes du mouvement souverainiste, le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, et l'ancienne ministre Pauline Marois. Tous deux s'affronteront, sans faire de quartier, pour prendre la tête du parti.
C'est vers 13h hier que Gilles Duceppe, qui poursuivait en principe sa réflexion et ses consultations à Montréal, a annoncé par voie de communiqué son intention de se porter candidat. Pauline Marois n'a pas attendu pour faire savoir qu'elle sera aussi candidate dans cette course.
Gilles Duceppe et Pauline Marois devaient se rencontrer ces jours-ci. La rencontre n'aura jamais lieu. Le chef du Bloc québécois a simplement informé Pauline Marois de sa décision par téléphone avant d'émettre son communiqué.
Vers 10h30 hier matin, Le Devoir apprenait que la décision de Pauline Marois était prise: elle se lançait dans la course, que Gilles Duceppe y aille ou pas. Elle comptait tout de même l'annoncer à M. Duceppe en personne ce week-end et souhaite même préparer un document d'orientation pour appuyer sa candidature. On sait que l'empressement de M. Duceppe a irrité Mme Marois. On dit qu'elle s'est sentie bousculée, brusquée, mais elle a répliqué avec célérité.
Pauline Marois tiendra une conférence de presse demain pour faire l'annonce officielle de sa candidature. Elle sera accompagnée de plusieurs députés péquistes, notamment le député de Marie-Victorin, Bernard Drainville, qui, avant même qu'elle ne prenne sa décision, avait lancé un appel pour qu'elle se présente, ainsi que Marie Malavoy, qui, sans surprise, a annoncé hier qu'elle l'appuyait comme en 2005. Quant à lui, Gilles Duceppe rencontrera la presse lundi à Québec.
Annonce bâclée, députés bloquistes pris de court, tension: tout indique que Gilles Duceppe n'avait pas prévu de faire connaître ses intentions aussi rapidement. Il a été bousculé.
Tout a commencé en début de journée hier. À Ottawa, certains membres de l'entourage de Gilles Duceppe ont reçu des appels afin de savoir si le chef du Bloc et Mme Marois s'étaient parlé. Les réponses étaient sèches, la tension était palpable. Quelque chose se tramait. Les adjoints de M. Duceppe ne semblaient pas contrôler la situation.
Cette tension a culminé deux minutes avant 13h lorsque des porte-parole du chef bloquiste ont avoué qu'un communiqué de presse était sur le point d'être émis.
«Lundi dernier, j'ai amorcé une intense réflexion, peut-on lire dans ce communiqué. Depuis, j'ai mené de larges consultations, d'abord auprès de membres de ma famille, de mon entourage, des députés du Bloc québécois et du Parti québécois, puis plus largement au sein de la famille souverainiste. Cet exercice est maintenant complété. J'ai déjà avisé la présidente du Parti québécois, Monique Richard, ainsi que Pauline Marois de ma décision, et, dans le meilleur intérêt du mouvement souverainiste, j'estime qu'il est temps de mettre fin au suspense.»
Personne n'a voulu révéler à quel moment précis le contact direct entre M. Duceppe et Mme Marois a été établi. Selon un membre de l'entourage de M. Duceppe, le chef bloquiste avait pris sa décision au moment de téléphoner à Mme Marois. «Il s'agissait d'un appel de courtoisie pour l'informer de sa décision», explique-t-on.
Tout porte à croire que M. Duceppe, ayant appris par des intermédiaires que sa rivale avait arrêté sa décision, ait voulu précipiter sa propre candidature, question de prendre les devants.
En effet, plusieurs détails du départ de M. Duceppe n'étaient pas encore ficelés. Par exemple, on ne savait pas encore hier soir si M. Duceppe conservait son siège à la Chambre des communes. Plusieurs députés bloquistes interrogés par Le Devoir hier ont mentionné leur «surprise» devant une décision aussi rapide.
«Je suis un peu surpris que M. Duceppe prenne sa décision aussi rapidement», a commenté son dauphin, Pierre Paquette, pourtant proche de M. Duceppe et du grand conseiller de celui-ci, François Leblanc (dont il est le colocataire à Ottawa).
Un d'entre eux a indiqué que les élus n'avaient appris la candidature de leur chef que par le service de communiqués de presse Telbec. «Nous n'avons pas eu de note. Le whip essaie de nous joindre pour nous apprendre que M. Duceppe a quitté, a ironisé un de ces députés. On vient de l'apprendre.» Puis, sur le ton de la critique: «Une petite note, ça existe.»
Du côté de Pauline Marois
Dans le clan Marois, tout s'est également précipité. Mais celle que Bernard Landry avait réussi à neutraliser en quelques jours en 2001 en ralliant rapidement les élus péquistes a appris sa leçon. Elle a aussi appris de la course de 2005, lors de laquelle elle avait pu convaincre seulement cinq députés péquistes de l'appuyer.
«Je suis certaine qu'elle aura des appuis importants [au sein du caucus] et je suis certaine aussi que, dans son esprit, si elle y va aujourd'hui [hier], c'est qu'elle sait déjà cela», a dit Mme Malavoy. Le député de Dubuc, Jacques Côté, qui a annoncé son appui à Mme Marois jeudi, estime que de cinq à six députés sont prêts à se déclarer en sa faveur. De ce nombre, Louise Harel, déchirée entre ses deux amis, Gilles Duceppe et Pauline Marois, aurait choisi cette dernière, selon certaines informations. Mme Harel a toutefois refusé de parler au Devoir hier.
Il y a une semaine à peine, Pauline Marois, resplendissante et heureuse de sa nouvelle vie, ne se voyait aucunement retourner en politique, encore moins se lancer dans une course pour succéder à André Boisclair. Mais le sondage TVA-Léger Marketing diffusé mardi, qui la plaçait nettement en avance devant Gilles Duceppe, a eu un effet d'entraînement et les manifestations d'appui qui lui sont parvenues se sont multipliées.
Gilles Duceppe compte deux appuis déclarés dans le caucus péquiste: Sylvain Simard et Maxime Arseneau. Il pourrait aussi compter sur des députés qui ont contribué à miner le leadership d'André Boisclair au cours des dernières semaines: Serge Deslières, Sylvain Pagé et Claude Cousineau. De ce nombre, François Legault a joué la carte de la neutralité hier, faisant savoir qu'il désirait rencontrer les deux candidats avant de choisir son camp.
Deux courses au leadership se profilent donc à l'horizon pour la famille souverainiste. Plusieurs députés bloquistes estiment que la priorité doit être accordée à celle du PQ. C'est l'avis de Michel Gauthier (Roberval), qui ne voit pas d'urgence à remplacer M. Duceppe à Ottawa.
«On n'est pas traumatisés. Il peut y avoir un très bon intérim au Bloc. Après ça, on verra. La structure au Bloc est plus légère. La priorité, c'est la cause au PQ, parce que tout peut arriver dans ce parlement. Avec la tradition de minoritaire qu'ils [n'ont pas], je ne suis pas sûr qu'ils vont faire très long à Québec.»
Selon les statuts du Bloc, cet intérim est assuré, à moins d'avis contraire, par le leader en Chambre, soit Pierre Paquette, qui réfléchit d'ailleurs à se porter candidat officiel à la succession (voir autre texte en page A 3).
À Ottawa, la fragilité du Bloc québécois donnera un répit au gouvernement conservateur minoritaire de Stephen Harper. À moins que ce dernier ne veuille lui-même précipiter sa chute pour aller en élections, il est désormais très peu probable que des élections générales soient déclenchées à court terme. La mathématique parlementaire fait en sorte qu'il est nécessaire que les trois partis d'opposition se liguent contre le gouvernement pour le renverser, une tentative à laquelle il est peu probable que le Bloc québécois, sans chef, prenne part. D'ailleurs, Michel Gauthier se faisait un devoir de rappeler que la loi instaurant les élections à date fixe a été adoptée et que, en théorie, le prochain scrutin aura lieu en octobre 2009.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->