En juin 2005, dans les jours qui ont suivi la démission de Bernard Landry à la tête du Parti québécois, la firme CROP avait sondé les Québécois pour savoir qui ferait le meilleur successeur.
Le résultat était sans équivoque : Gilles Duceppe : 43 %, Pauline Marois : 16 %, André Boisclair : 16 %.
Presque deux ans plus tard, voyez où on en est, toujours selon CROP : Pauline Marois : 45 %, Gilles Duceppe : 21 %.
Méchante débarque pour le chef du Bloc québécois, qui a perdu la moitié des appuis populaires. À l'inverse, la cote de Mme Marois monte en flèche, ayant triplé depuis 2005. Qu'est-ce qui a bien pu se passer?
L'explication la plus logique, c'est que le Bloc et son chef suivent la même courbe descendante dans l'électorat. En 2005, Gilles Duceppe venait de mener sa meilleure campagne électorale, poussé par la vague des commandites et l'effondrement des libéraux de Paul Martin. Aujourd'hui, le Bloc ne recueille plus que 28 % des intentions de vote, et il risque de perdre des sièges aux mains des conservateurs aux prochaines élections. Le Bloc plante, son chef aussi, d'autant plus que M. Duceppe n'a pas été très visible au cours des derniers mois et qu'il a été éclipsé par Stephen Harper et sa politique d'ouverture envers le Québec.
On pourrait penser aussi que Gilles Duceppe est affligé du syndrome de Brutus et que les Québécois le tiennent responsable de l'«assassinat» d'André Boisclair, mais cette thèse ne tient pas, du moins selon notre sondage.
Certes, le Bloc tire son chef vers le bas (ce n'est pas pour rien que M. Duceppe veut tellement partir d'Ottawa), mais il y a plus pour expliquer sa descente et la montée de sa nouvelle rivale. Quelque chose d'intangible, mais que l'on sent bien depuis quelques mois, tant dans la population que chez les péquistes : des remords envers Pauline Marois.
Combien de fois a-t-on entendu au cours des derniers mois, et surtout depuis le 26 mars, des gens dire : cela aurait été différent avec Pauline Marois. Bref, les Québécois ont l'impression de s'être trompés en préférant André Boisclair. Ils croient même que Mme Marois a été traitée injustement.
Facile, direz-vous, de refaire l'histoire avec des si et des peut-être, mais pour une fois, la conjoncture permet de reculer le film et de réécrire le scénario avec un nouveau personnage principal.
Il y a peut-être autre chose, à bien y penser, qui joue en faveur de Pauline Marois en ce moment précis. Appelons cela l'«effet Ségo». En forçant son chemin jusqu'à la porte de l'Élysée, Ségolène Royal en a impressionné plus d'un, démontrant qu'une femme peut aspirer aux postes politiques les plus prestigieux. Elle s'est toutefois cogné le nez sur la porte, ce qui a déçu beaucoup de monde. Au Québec en particulier, où Mme Royal était de loin plus populaire que Nicolas Sarkozy. La montée de la candidate du PS en France pourrait avoir un effet d'entraînement favorable à Mme Marois.
Il est tôt, toutefois, pour être si haut dans les sondages. Il faut dire aussi que CROP a sondé les Québécois dans l'absolu, avant que Pauline Marois et Gilles Duceppe annoncent leur intention. Autre nuance importante : CROP a sondé l'ensemble des Québécois et non seulement les membres du PQ qui devront élire un nouveau chef.
Prudence, donc, chez Mme Marois, qui, cela dit, ne sera pas malheureuse de détenir une telle avance en tout début de course.
On a pensé un temps que Gilles Duceppe n'oserait pas se mettre dans le chemin de Pauline Marois, déjà battue deux fois (en plus d'un abandon) dans des courses à la direction du PQ. Mais le chef du Bloc avait décidé de quitter Ottawa et il en est arrivé à la conclusion ces derniers jours qu'il n'aurait une bonne idée de ses appuis que s'il annonçait ses couleurs. C'est en effet ce que ses émissaires se sont fait répondre, notamment par des députés du PQ : dévoilez votre jeu, on verra ensuite.
Pauline Marois, elle, s'est assurée au cours des derniers jours de l'appui de quelques députés et de militants influents. Quant à ses collaborateurs de la dernière campagne, «ils meurent d'envie de replonger», affirme un fidèle de Mme Marois.
À première vue, le PQ se dirige donc vers une autre lutte fratricide potentiellement dommageable, surtout que Mme Marois et M. Duceppe avaient convenu de se rencontrer aujourd'hui chez Mme Marois, à l'Île-Bizard, pour discuter d'un possible pacte de non-agression. Sentant qu'il risquait de perdre l'avantage du terrain, Gilles Duceppe a plutôt décidé de foncer. Il a appelé Mme Marois hier matin pour lui dire qu'il s'apprêtait à publier un communiqué et que leur tête-à-tête n'était plus nécessaire.
Il ne s'agit sans doute que du premier accrochage d'une lutte qui s'annonce dure. Mais on peut voir les choses autrement. Pour un parti que l'on disait à la dérive, c'est plutôt une bonne nouvelle de voir deux grosses pointures comme celles-là se lancer dans la course.
En plus, cela assure un maximum de visibilité au PQ et au mouvement souverainiste, puisque le Bloc devra aussi se choisir un nouveau chef au cours des six à 12 prochains mois.
Le côté négatif, c'est que le PQ et le Bloc devront puiser une nouvelle fois des ressources financières et humaines raréfiées auprès d'une base militante fatiguée, démobilisée et fauchée. Beaux défis d'organisation en perspective.
Avec l'entrée en scène de Pauline Marois et de Gilles Duceppe, le PQ se lance dans un délicat jeu d'équilibre qui peut soit relancer le mouvement souverainiste, soit lui donner un autre coup, peut-être fatal celui-là.
C'est le jeu des avantages et des inconvénients. Une course donne un nouveau souffle à un parti, mais elle divise ses militants. Pauline Marois a un incomparable bagage d'expérience, mais elle fait parfois dans la langue de bois et elle traîne aussi quelques déclarations controversées, notamment celle sur les «turbulences» après un oui à un éventuel référendum.
En face, Gilles Duceppe est un politicien et un parlementaire aguerri (il a fait quatre campagnes fédérales), mais il n'a jamais été au pouvoir et il connaît moins les dossiers spécifiquement québécois. Problème mineur, disent les supporters de Gilles Duceppe, qui soulignent que cette course est son dernier défi politique et qu'il y va pour gagner. Comprendre : il ne fera pas de cadeau à sa rivale.
«C'est Pauline Marois qui s'est tassée sur les lignes de côté, elle n'était plus là et, si elle perd, elle ne sera plus là. Ça ne changera rien», résume un proche collaborateur de M. Duceppe.
Et c'est reparti, mon kiki!
Pour joindre notre chroniqueur : vincent.marissal@lapresse.ca
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