Dans son redoutable arsenal d'expressions, mon défunt collègue et ami Jean Lapierre en avait une qui, me semble-t-il, s'applique parfaitement à la situation dans laquelle se retrouve ces jours-ci Justin Trudeau à cause de ses vacances aux Bahamas : « Dans la vie, le trouble est en option. »
Jean Lapierre, qui a durement traversé la période post-Gomery à titre de lieutenant politique de Paul Martin au Québec, en était aussi arrivé à la conclusion que les règles d'éthique, même lorsque trop tatillonnes, ont finalement le grand mérite de « protéger les élus contre eux-mêmes ».
Lorsqu'une règle dit que tu ne peux, comme élu, accepter telle ou telle chose, il n'y a pas de gris. C'est noir ou blanc : tu acceptes, tu es fautif ; tu refuses, on ne peut rien te reprocher.
Depuis Gomery, les règles d'éthique (et de financement politique) ont été resserrées. Trop, même, disent plusieurs élus et membres du personnel politique à Ottawa. C'est un cas classique du fameux retour du balancier.
Ainsi, avant de voyager avec le ministre pour lequel il travaille, un attaché devra informer son chef de cabinet de tous les détails chiffrés de ce déplacement, aux fins d'approbation préalable. Lieux, estimation du prix du billet d'avion et des chambres d'hôtel, indemnité quotidienne, dépenses de taxi, tout doit être détaillé.
Si cet attaché, par ailleurs, paye un repas, un verre ou un café à quiconque, cette dépense doit aussi être détaillée dans le programme de divulgation volontaire. Les mêmes règles s'appliquent aux élus, qui ne devraient pas non plus accepter de repas ni même un café payés par autrui. Dans un milieu où le lunch est depuis toujours considéré comme un outil de travail, ça complique passablement les affaires, mais cela aura au moins eu le mérite d'encadrer les dépenses des élus et de leur personnel. Ça embête les élus et leur personnel, qui doivent remplir de la paperasse (ou payer de leur poche pour éviter d'avoir à le faire), mais la clarté éloigne l'arbitraire et la suspicion.
L'EXEMPLE
On est en droit de s'attendre à ce que l'exemple vienne du plus haut échelon au gouvernement, donc du premier ministre lui-même, c'est pourquoi les vacances des Fêtes de la famille Trudeau et de quatre de ses amis dans l'île privée de l'Aga Khan, aux Bahamas, font les manchettes depuis quelques jours. Il aurait été plus simple, et plus prudent, pour le premier ministre de jouer la carte de la transparence, plutôt que de devoir, a posteriori, répondre à des questions embêtantes sur le séjour comme tel et sur un saut de puce en hélicoptère privé pour se rendre au domaine privé de l'Aga Khan.
Normalement, la destination de vacances du premier ministre est gardée secrète avant son déplacement pour des raisons de sécurité, mais rien n'empêchait le bureau du premier ministre d'aviser la commissaire à l'éthique, avant le séjour chez l'Aga Khan, que la seule façon de rejoindre son île privée était par hélicoptère et de s'engager à payer personnellement le coût de ce déplacement.
S'il s'agissait du président américain, la question ne se poserait pas : les marines seraient allés les déposer, lui et sa famille, dans l'île, et personne n'aurait posé de question sur les coûts de l'opération. Sécurité d'abord. On imagine toutefois mal l'armée canadienne envoyer un hélicoptère Griffon aux Bahamas pour transporter les Trudeau et leur suite de Nassau au domaine d'un mécène milliardaire. (Personnellement, j'ai toujours trouvé étrange qu'on demande au premier ministre de payer les « parties privées » de ses vacances, dont les déplacements, comme si celui-ci cessait d'être premier ministre dès qu'il monte dans un avion avec sa femme et ses enfants.)
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