Fonds des générations et hausse des tarifs d'électricité

Remplir le nouveau bas de laine des Québécois

2006 textes seuls

Depuis sa création, Hydro-Québec s'est fait confier plusieurs rôles sociaux parfois très farfelus. Grande nouveauté, voilà que la société d'État fera office de bas de laine des Québécois en étant le principal contributeur du Fonds des générations (Fonds G). Le patron d'Hydro-Québec nous assure qu'il n'y aura pas d'impact sur les tarifs d'électricité. Mais encore? Et quel est le sens de cette curieuse opération mathématique qui lègue aux enfants un bon compte en banque tout en maintenant l'hypothèque de la maison au même niveau?

Cette taxe sur l'eau augmentera rapidement pour dépasser les 500 millions de dollars dès 2008. À l'horizon 2025, le Fonds G devrait contribuer à diminuer l'endettement du Québec de 30 milliards, dont une grande partie doit provenir des profits d'Hydro-Québec Production (HQP).
La construction de nouveaux barrages pour l'exportation est une solution qui trouve des appuis. Bien que le gouvernement fasse une nouvelle profession de foi en faveur de l'hydroélectricité, force est toutefois de reconnaître que l'horizon est couvert de nuages sombres. L'équilibre entre l'offre et la demande sera serré pendant plusieurs années. Le bras de fer avec le groupe des autochtones et des défenseurs de rivières est loin d'être terminé. Rien ne dit que les Québécois accepteront l'idée de construire pour les Américains.
Autre contradiction : cette eau transformée en argent liquide fera augmenter les coûts de la nouvelle hydraulique, déjà en difficulté par rapport aux autres filières. Pour l'instant, l'éolien apparaît comme une bien meilleure option mais est laissé au secteur privé !
Contrôle des coûts
En gros, les coûts de production de l'électricité sont composés de deux facteurs, soit les frais d'exploitation et le coût des emprunts. Or les Baie-James et autres mégabarrages se paient d'eux-mêmes depuis des décennies. Du strict point de vue d'HQP, l'immobilisme donne de meilleurs dividendes par dollar investi pour la période retenue. À l'inverse, de nouvelles installations exigent de nouveaux emprunts et réduisent les transferts à l'actionnaire pendant une bonne période de temps.
Par ailleurs, le taux de croissance de la demande tend à se stabiliser, ce qui signifie moins d'investissements que par le passé. Toutes divisions confondues chez Hydro-Québec, si les tarifs d'électricité suivent l'inflation et si le rendement sur l'avoir propre reste raisonnable, puisque les coûts de fourniture baissent en termes réels, les dividendes ne peuvent qu'augmenter. En fait, la réduction relative du coût d'emprunt combinée à un contrôle serré des coûts d'exploitation sont les premiers éléments qui expliquent la confiance d'Hydro-Québec à répondre à la requête du gouvernement.
Mais ce jeu de cache-cache des divisions fonctionnelles d'Hydro-Québec ne peut omettre le fait que les droits de l'eau correspondent à une hausse des coûts de fourniture de la réserve patrimoniale de 165 TWh. L'instauration des redevances se répercutera un jour ou l'autre sur la rentabilité d'HQP, sans compter que les requêtes se feront pressantes pour que ce coût patrimonial suive l'inflation.
Hausse des prix pour dégager des surplus
Compte tenu du flou autour des sources d'approvisionnement du Fonds G, la porte s'ouvre donc à une hausse éventuelle du coût patrimonial. L'irrationalité de la politique tarifaire du Québec sera de nouveau dénoncée. Depuis 15 mois, ce discours a été alimenté par les hausses successives du prix de l'électricité mais aussi par la poussée des alarmistes qui ont souligné l'urgence de payer la dette. Tous ces manifestes, depuis le fracassant Pour un Québec lucide, ont une première solution miracle en commun : la contribution d'Hydro-Québec. Pur hasard : il y a à peine une semaine, le Mouvement Desjardins et des universitaires lançaient La dette publique : un défi prioritaire pour le Québec. Ce rapport faisait de la hausse des tarifs d'électricité au niveau de ceux du marché américain une condition sine qua non pour nous sauver de la catastrophe anticipée.
Le Québec est le deuxième consommateur d'électricité par habitant au monde. En traçant un graphique du prix moyen de l'électricité en fonction de la consommation par habitant dans le monde, la relation est claire aux yeux des auteurs du rapport Desjardins. Un tarif qui se rapprocherait du prix du marché inciterait les gens à diminuer leur consommation, ce qui dégagerait de profitables kWh et des dividendes supplémentaires de cinq milliards par an. Et le tour est joué : fini, la dette et la pauvreté ! Un peu court.
Le débat de fond
La comptabilité politicienne nous étonnera toujours. Dans cette présentation des faits, le petit coup de baguette consistant à ajouter une colonne de comptes positifs et à répartir un dividende différemment n'est pas convaincant. Toutefois, bien qu'ils ne soient pas dupes de l'impact d'une telle opération sur la dette, beaucoup de Québécois, et j'en suis, sont séduits par l'idée de constituer un tel fond. Celui-ci a le mérite de préciser nos «dernières volontés» en ce qui a trait à l'utilisation de ces eaux-dollars.
Mais il faut bien comprendre que le débat de fond n'a pas changé. D'abord, les solutions pour créer un compte en banque significatif demandent des sacrifices et des compromis : construire pour l'exportation et/ou hausser les prix de l'électricité.
Ensuite, à quoi voulons-nous que ce fonds serve ? Pour l'instant, la seule volonté émise est le paiement de la dette. Sommes-nous certains que ce soit cette étiquette de morosité et de société conservatrice que nous voulions léguer à nos descendants ?
Il est communément admis que la rente hydroélectrique -- quasi infinie sur l'échelle discutée -- doit revenir à l'ensemble des Québécois. Une fois ce principe posé, la question du partage de cette rente demeure cependant entière. Historiquement, quatre groupes en ont directement profité : le consommateur et les industriels à cause des bas tarifs, les régions par le développement des ressources et, bien sûr, l'actionnaire par l'entremise des dividendes.
On oublie trop souvent également qu'Hydro-Québec a été un incubateur de professionnels compétents et un outil d'innovation. Que signifie une rationalisation des coûts ? De nouvelles compressions en R-D et en innovation, comme c'est la tendance depuis plusieurs années ? Dans quelle poche cette rente sera-t-elle la plus profitable ? Exclusivement dans celle du gouvernement, comme la tendance semble l'indiquer ? Rien de rassurant.
En quoi l'emprunt bien géré est-il une question d'opposition avec le futur ? Pour une société, le regard tourné vers l'avenir fait toute la différence. Si la Révolution tranquille a eu lieu, si les Chinois se sont décidés à prendre la route du progrès, c'est que des décideurs ont arrêté de tricoter des bas de laine.
Gaëtan Lafrance
_ Professeur titulaire à l'Institut national de la recherche scientifique et expert en modélisation offre-demande

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Gaëtan Lafrance

L'auteur est professeur honoraire INRS-EMT et auteur de «Quel avenir pour la recherche?» (2009) et «Vivre après le pétrole, mission impossible?» (2007), aux Éditions Multimondes.





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