Québec solidaire doit se méfier des chiffres

Pierre Mouterde critique le «réalisme» ambiant

Québec 2007 - Québec solidaire



Québec - Un des penseurs de Québec solidaire (QS), Pierre Mouterde, croit que chiffrer l'ensemble des projets mentionnés dans une plateforme électorale, à l'instar de ce que font les «grands partis», peut constituer un «piège» pour le nouveau parti de gauche. Un débat sur les chiffres se déroule actuellement dans les rangs de la formation politique.
M. Mouterde, qui enseigne la philosophie au collège Limoilou à Québec et qui anime le site Internet «Presse-toi à gauche» (pressegauche.org), est l'auteur de plusieurs livres, dont Repenser l'action politique de la gauche (Écosociété, 2005). Il soutient que les «grands médias» ont cédé à une réelle «obsession des chiffres», lors du congrès d'orientation de novembre de QS, au cours duquel le nouveau parti a adopté une plateforme électorale.
Dans les conférences de presse lors du congrès, des journalistes ont en effet demandé à plusieurs reprises aux deux porte-parole du parti (lequel n'a pas de chef), Françoise David et Amir Khadir, s'ils avaient évalué le coût de leurs engagements électoraux, comme la nationalisation de l'énergie éolienne, la hausse des prestations d'aide sociale aux aptes au travail, la création de Pharma-Québec et la hausse du salaire minimum à 10 $. En novembre, Mme David a répondu ne pas être en mesure de livrer autre chose que quelques chiffres préliminaires et a repoussé l'ensemble de l'exercice au moment du déclenchement des élections, sinon lors de son prochain conseil national de la mi-mars. C'est elle qui avait insisté, depuis le congrès de fondation en février, sur l'importance pour QS de sortir du «pelletage de nuage» propre à la gauche: «Nous devrons être rigoureux, concrets, nous aurons des propositions chiffrées», avait-elle promis.
Pas combien ça coûte, mais est-ce juste?
Sur son site, Pierre Mouterde raconte qu'après le congrès de novembre «certains dirigeants» de QS ont évoqué l'idée que le parti fasse son «mea-culpa» et se «donne les moyens, 'au plus sacrant' de fournir des chiffres 'blindés' capables de confondre tous ces empêcheurs de tourner en rond», écrit-il. M. Mouterde, joint hier au téléphone, juge qu'il faut se méfier de cette exigence de ce qu'il appelle «la politique institutionnelle» puisque, à trop vouloir s'y soumettre, QS «risque d'oublier d'autres dimensions importantes et de trop coller à certaines réalités de la politique institutionnelle d'aujourd'hui; de trop vouloir plaire». Il croit qu'il faut sortir «de cette logique de comptabilité qui nous enferme, qui réduit tout le champ des possibles», dit-il.
Haro sur les chiffres, donc? Pas totalement. Ils peuvent être utiles pour montrer que «ce que l'on propose est faisable». «Mais en même temps, la logique de vouloir tout quantifier, tout comptabiliser peut nous enfermer dans des catégories qui sont discutables qui sont celles de l'ordre dans lequel on est», affirme-t-il. Dans son texte publié le 18 décembre, M. Mouterde, qui est un spécialiste des mouvements de gauche sud-américains, citait un militant de QS: «Il faudrait insister sur tout autre chose: non pas combien ça coûte, mais est-ce que c'est juste?... Si c'est juste, ben on va trouver l'argent et on fera des choix en conséquence. C'est ça faire de la politique, non?»
Retourner à «68»
Faudrait-il retourner à un des célèbres slogans de la révolte étudiante de mai 68, en France: «Soyez réaliste, demandez l'impossible»? M. Mouterde répond par l'affirmative. Le réalisme, dit-il, «n'est peut-être pas là où on l'imagine». Il faudrait, selon lui, «faire preuve d'un peu plus d'imagination» et «retrouver le sens d'une certaine utopie». En ce sens, l'impossible dont parlaient les manifestants de 68 «est, quelque part, possible». Et ce que propose QS se situe même en deçà, loin du révolutionnaire, dans la catégorie des mesures «tout à fait raisonnables». «Ce ne sont rien d'autre que quelques recettes 'keynésiennes' réactualisées que propose QS, juge M. Mouterde. Évidemment, dans le contexte néo-libéral d'aujourd'hui, elles paraissent étonnantes, étranges ou subversives. Mais elles n'ont en fait rien de très subversif.»
Sans imagination, la politique dégénère, estime M. Mouterde, en «politicaillerie». Les politiciens, pour avoir de bonnes cotes dans les sondages, sont prêts à dire «tout et son contraire»: «oui à la nation québécoise, mais dans un Canada fort et uni; oui à la protection de l'environnement, mais sans passer par Kyoto; oui au parti conservateur, mais à condition qu'il soit aussi progressiste», etc. Pierre Mouterde écrit sur le site que «les exemples sont innombrables et montrent les impasses dans lesquelles se meut cette politique: elle peut tout dire... à condition de ne rien changer de fondamental et de ne heurter aucun des grands pouvoirs socio-économiques en place».
Soulignons que le texte de M. Mouterde a suscité un échange sur le site pressegauche.org indiquant que QS est divisé sur la question des chiffres. Répondant «non» aux chiffres, un militant de QS de Saint-Henri-Sainte-Anne, Christian Monmarquette, estime que ceux qui croient «possible de se loger et de se nourrir avec 550 $ par mois sont de véritables irréalistes». «C'est la droite qui devrait être mise sur la sellette et sur la défensive pour s'attaquer autant à la santé et sécurité des citoyens et citoyennes ordinaires, tout autant que les journalistes indolents et les médias capitalistes possédés et contrôlés par la haute bourgeoisie», écrit-il. Un autre militant, Bernard La Rivière, de QS-Bertrand, écrivait: «Combien coûterait le salaire citoyen? Combien d'impôt devraient payer les entreprises et les riches? Vous ne voulez pas le savoir? Moi, oui. Je veux aussi que les gens qui sont au-dessus du seuil de pauvreté votent aussi pour QS et surtout qu'ils financent le parti.» Un autre se méfie des évaluations budgétaires électorales: «Nous n'avons qu'à considérer les budgets fournis par Charest avant l'élection et ses quatre budgets officiels: aucune ressemblance. Son budget électoral, a posteriori, est une farce et attrape. On peut dire la même chose des budgets de Bouchard/Landry pour le gouvernement précédent», écrit Simon Brouillard de QS-Hochelaga-Maisonneuve.
Les derniers sondages ont indiqué que QS obtenait 4 % des intentions de vote, la moitié moins que le Parti Vert (9 %).


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