Et la majorité?

Les catholiques devraient sortir de leur honte, cesser de chercher à «s'effacer pour mieux accueillir», et devraient à l'occasion réclamer des «accommodements», soutient le cardinal Marc Ouellet

Noël et Jour de l'An - 2010- 2011


Québec -- Controverses autour des sapins de Noël à Toronto et à Montréal. Timidité à l'endroit du mot «Noël» à l'Assemblée nationale. Facile, en ce mois de décembre 2006, de trouver la question initiale d'une entrevue avec l'évêque de Québec et prélat de l'Église catholique Marc Ouellet. Selon lui, la cause de ces phénomènes n'est pas difficile à trouver: il y aurait aujourd'hui, dans nos sociétés occidentales, un «souci excessif d'être inclusif» qui finit par tout vider de son contenu. Une inclusivité qui aboutit à «l'auto-exclusion», à «annuler ce que nous sommes», lance-t-il sans ambages.
Mgr Ouellet parle franchement et directement, aborde sans réticence tous les sujets, contrairement à tant d'hommes d'Église québécois. Qu'on soit d'accord ou non avec lui, on ne peut certainement pas lui reprocher de se dérober.
Ainsi formule-t-il ce qui apparaîtra comme une hérésie pour bon nombre de contemporains: une bonne partie de l'identité québécoise est religieuse, «je dirais même la moitié». Remet-il en question la laïcisation graduelle du Québec? Pas du tout, insiste-t-il, «je parle d'histoire, des symboles, des coutumes qui ont leur importance». Il faut du reste se souvenir que des ecclésiastiques (Mgr Parent, par exemple) ont eux-mêmes réclamé et fait la Révolution tranquille, souligne-t-il en saluant la mémoire du frère Untel (Jean-Paul Desbiens), décédé cette année. La démocratisation de l'éducation, l'élargissement, le développement des capacités technologiques, le progrès sur le plan économique, «tout cela, c'est très bien», affirme-t-il.
Malgré cette modernisation indéniable du Québec, où la religion a joué un rôle au départ pour presque s'éclipser par la suite, «on a l'impression qu'ici au Québec, on a vraiment encore une attitude qui reste ambiguë et complexe vis-à-vis de notre héritage religieux». Ce complexe n'aide pas toujours le Québec contemporain à faire face à la diversité grandissante dans la société, soutient-il. En effet, il conduit à terme à adopter des attitudes comme celle de cette juge ontarienne qui a liquidé les sapins de Noël à l'entrée de son tribunal; autrement dit, à «s'annuler» dans la honte de ses origines. Il y a eu des «juifs honteux». Il y a aujourd'hui nombre de catholiques honteux au Québec, déplore Mgr Ouellet.
Selon lui, les personnes qui proviennent «d'autres horizons religieux», qui «tiennent à leurs symboles», sont «pour la presque totalité» ravis de voir les membres de la majorité valoriser leurs symboles religieux, dit-il. «Nous effacer, refuser de parler de Noël, ne nous fait pas avancer dans l'estime des personnes d'autres religions. Je crois que les personnes qui ont des convictions religieuses se respectent mutuellement.»
Ah! oui, et ces islamistes qui se proclament en lutte contre «les juifs et les croisés»... le 11-Septembre, les attentats? «Il ne faut pas prendre cela comme un geste religieux, fait dans l'authenticité de la religion. Ce sont des extrémistes qui manipulent la religion, donc qui trahissent la religion.»
Laïcisme
Rompu à l'argumentation théologico-philosophique, Mgr Ouellet, sur la question de la diversité religieuse des sociétés contemporaines, cite alors le pape Benoît XVI dans son fameux discours de Ratisbonne du 12 septembre dernier. La controverse autour de l'islam a conduit nombre d'observateurs à en occulter un des aspects «fondamentaux», dit-il. Le souverain pontife y affirmait que la pensée laïciste, celle qui rejette toute vision religieuse du monde, n'est pas en bonne posture pour entrer dans le dialogue des cultures. «Oui, car la religion, c'est un élément essentiel d'à peu près toute culture. C'est un sommet dans l'expression d'une culture. Si l'on est dénué de sensibilité religieuse, d'une certaine manière, on n'est pas préparé à la compréhension des cultures autres. [...] C'est une importante critique que Benoît XVI fait à l'Occident.»
Au Québec, un certain laïcisme va de pair avec le rejet total et complet de tout héritage pré-1960. On nous présente ce passé comme «une horreur, un monde d'oppression, on dit que c'était la "Grande Noirceur"!», déplore-t-il, qualifiant cela «d'interprétation excessive». Certes, «notre héritage n'était pas parfait, il y a eu des étroitesses. Le jansénisme a eu des influences excessives chez nous». Marc Ouellet, au contraire, se dit «fier du passé qu'on a eu». Enthousiaste, il précise ceci: «Qu'il y ait eu des missionnaires qui ont été martyrs, ici, au début, qui nous ont amené la foi chrétienne... Et puis qu'on ait eu des communautés religieuses qui se sont occupées de la santé avec une générosité extraordinaire, qui ne gagnaient à peu près rien, qui nous ont donné toutes sortes de services, l'éducation, etc., il ne faut pas l'oublier. Il y a là tout un patrimoine de valeurs, de générosité, qui a encore aujourd'hui des effets chez nous.»
Ce patrimoine, il craint qu'il se perde au cours des prochaines années en raison de la disparition totale de l'enseignement religieux catholique dans les écoles. Il parle de cette très «grande majorité», près de 80 %, des dizaines de milliers de parents, qui choisissaient l'enseignement religieux pour perpétuer l'héritage et à qui l'État a refusé quelque «accommodement» alors qu'il en accepte plein pour les exceptions: «Combien de gens vont porter le kirpan ou des choses comme ça?»
«Moi, je crois que c'est une injustice. On aurait pu trouver justement des "accommodements raisonnables" plus imaginatifs que ce à quoi nous sommes arrivés ou ce que nous sommes en train de préparer, c'est-à-dire un programme uniforme d'État de culture religieuse et d'éthique imposé à tous les niveaux et même aux écoles privées.»
À ses yeux, on mène des batailles juridiques pour sauver les droits des minorités, mais les «droits collectifs» de la majorité, «on ne les respecte plus». «Peut-être que c'est un défaut de notre système d'interprétation des chartes?», se questionne-t-il. Il croit que l'État québécois aurait dû conclure un «"accommodement raisonnable" comparable à celui qu'il y a en France par exemple, où il y a des temps prévus à l'école pour l'enseignement religieux confessionnel. Ce sont les Églises ou les groupes religieux qui prennent charge de l'enseignement qui doit être donné dans ce temps-là».
Conservateur, le prélat? «Je n'aime pas l'étiquette. Je suis étiqueté de cette manière. Si je suis un conservateur, eh bien, je "conserve" la foi. C'est tant mieux. C'est le bien le plus précieux que j'ai reçu, plus important encore que la vie.»


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