C’est comme l’aut’ jour, à l’aréna Mt-Royal. J’étais allé voir mon petit-fils jouer au hockey. Ma fille ne pouvait aller le chercher, ayant deux vedettes plus jeunes qui se produisaient au même moment dans un autre Temple du Hockey. C’est une tradition chez nous, grand ou petits, on joue pour continuer comme après.
Question équipement, ç’a quand même changé pas mal, les petits ont même des « jockstrap» à bijoux de famille (suspensoir en français... :-). C’est du sérieux m’sieurs-dames, faut protéger le patrimoine coûte que coûte : = 500 piastres d’équipement minimum, plus taxes. Si ça fait pas toujours rouler le puck pour nous-autres, ça fait au moins rouler l’économie. Dans mon temps...
Je regardais la partie debout dans l’allée qui ceinture la patinoire, à travers la baie vitrée ; à mes côtés, un vieux pépé Chinois qui, tout comme moi, lorsqu’il y avait but, hurlait et applaudissait comme un.vieux pépé québécois. Mettons que je ne m’y attendais pas. Je me pensai même : « Non mais depuis quand les Asiatiques se mêlent de hockey ? Et celui-là, tout petit tout plissé heureux d’avoir un futur Guy Lafleur dans son jardin d’hiver...?» Je ne comprenais pas.
Mais n’osai point lui poser de questions. La partie avançait, 2-1 pour nous autres, 10 minutes à jouer, y’en n’aura pas de faciles ! À 5 minutes de la fin, je le regardais souvent du coin de l’oeil, n’osant toujours pas puisque de toutes façons, je refuse de parler anglais avant l’indépendance, c’est un principe «tête de pioche» hérité de l’hériditaire. En plus, c’est connu, tous les vieux Chinois parlent anglais, ou China Town en famille mais very rarissime en français. Sauf quand ils nous dépannent au dépanneur, le sourire fendu jusqu’aux oreilles avec des merci-beaucoup-monsieur gratos ; mais question français, généralement, ça s’arrête là.
Je n’osai donc point, en bon Québécois-gentil-pas-d’chicanes. Après tout, j’étais là pour le sport go-habs-go et comme chacun sait, le sport et la politique, c’est pas la même chose ou presque. À deux à deux pour nous autres, la tension était palpable ; on s’est regardé pour la première fois entre nous et croyant devoir dire quelque chose, je lui ai signifié net que je ne parlais pas l’anglais. Non mais définitif hein ! aucun signe d’ouverture : face de plâtre ! Il m’a alors souri gentiment et j’ai supposé qu’à la longue, il s’était habitué aux faces de plâtre. Pourtant, j’avais envie de lui parler, sais pas... par curiosité peut-être, mais aussi pour partager nos désirs de pépé pour l’équipe de nos petits. Le sien jouait au centre et le mien à l’aile (la gauche bien sûr, il a été bien élevé ce petit).
Une minute à jouer, toujours 2-2 ; mon petit à moi fonce vers le but adverse, passe au petit Chinois à lui qui lance....... et COMPTE !!! On a gagné / On a gagné / On a... J’aurais voulu l’embrasser dans mes bras. Hélas! je n’osai point encore une fois ; vraiment plate la retenance, me pensais-je en moi-même en retirant les patins de mon petit-fils. À ma décharge, je dois dire qu’un vieux Chinois, je savais pas trop comment embrasser ça.
Et soit dit en aparté : une chance que ma fille a glissé un petit contenant de poudre Baby’s One dans le sac de hockey du petit parce que ça sent pas la rose là-d’dans m’sieurs-dames! Et si jamais vous voulez une idée précise de «l’ambiance générale» dans’ chambre, prière de multiplier les émanations de chaque sac par la quantité de valeureux guerriers. Je précise ici que les parents n’ont pas tous la même prévoyance Baby’s One.
Une fois nos héros débarrassés de leur équipement spatial, on nous a gentiment prié de les attendre dans l’entrée. Vous comprenez, nous a-t-on glissé à l’oreille, un important meeting de stratégie d’équipe... Nous comprenions.
À gauche de l’entrée, quelques tables et le long des murs, les incontournables distributrices automatiques, quelques machines à peanuts ou à beubelles, et forcément, la machine café. Bonbon le café quand on sort d’un aréna. Le vieux Chinois s’est assis à la même table que moi et a ouvert un livre. Discrètement, j’ai jeté un coup d’oeil au titre : La petite fille de monsieur Linch. Alors là, suis tombé su’l... dos : mon vieux Chinois parlait français !
Je m’ai dit que c’était sûrement pas un vrai China Town. Mais ça me fatiguait : « S’cusez-moi monsieur, vous êtes bien d’origine chinoise ? » Il m’a souri dans un français impeccable: «Vietnamienne monsieur, Chan Chau Tran pour vous servir... ». On s’est alors mis à parler hockey en pépé universel. À ma grande surprise, il s’y connaissait autant que moi. « Mais vous êtes ici depuis combien de temps?, fis-je » Quarante ans qu’il m’a répondu, avec un brin de nostalgie dans la voix, 40 ans...
Il m’a alors raconté les boat people, sa fuite avec toute sa famille, les horreurs au napalm et... Aujourd’hui, il tient une confiserie sur Mt-Royal, en biais de Jean Coutu. Je connaissais pour y être entré à l’occasion. Avant de partir, je n’ai pu me retenir de lui demander ce qu’il pensait du Québec, notre désir d’indépendance tout ça ? Il m’a répondu par la bouche de son vieux proverbe maison : « Je reviendrai me baigner dans mon petit lac; que l'eau soit transparente ou trouble, mon petit lac sera toujours le meilleur... ».
Je m’étais fait un nouvel ami.
Dehors, il neigeait gros flocons de Noël. On marchait, doucement ; devant, Jérémie et Félix Chau Tran prolongeaient leur partie de hockey et nous, pauvres pépés, on avait beau leur répéter en rafale d’arrêter, que c’était dangereux pour les passants, que des trottoirs, c’est pas des patinoires... rien à faire ! À la longue, bien sûr, ils finissent par obéir ; je crois même que ce soir-là, z’ont bien dû obéir cinquante fois avant d’arriver à la confiserie.
Il m’a invité à entrer :
— Venez, je voudrais vous présenter ma douce...
À l’arrière de la boutique, une vieille dame assise dans un fauteuil ; de prime abord, je n’avais pas remarqué qu’elle était handicapée : « Ma douce, je te présente mon nouvel ami, le père de Jérémie. » Fascinante cette femme ; elle avait des yeux si... intenses et si doux en même temps qu’on aurait dit qu’ils nous ouvraient les bras.
Par terre, près de son fauteuil, plein de livres empilés, quelques dictionnaires et un peu en retrait, une table basse sur laquelle grand-maman Tran déposait les objets d’utilités qu’elle voulait garder à portée de main tels : lunettes, crème à main, plumes et crayons, pages blanches et pour sûr, la télécommande et son précieux téléphone. Elle m’a alors demandé de lui remettre ses lunettes (qu’elle aurait pu prendre elle-même mais non sans difficulté, devinais-je), ce que je me suis empressé de faire vous pensez bien.
En revenant à la maison, je me suis rappelé avoir déjà fabriqué une table particulière pour une dame d’un certain âge, paraplégique elle aussi ; elle était si heureuse de sa table que pendant longtemps, elle me remerciait chaque fois que je la rencontrais. C’était une table à pivot, ronde, à trois panneaux de diamètres différents, de sorte que l’ensemble formait un cône, au dessus plat ; entre les panneaux, des sections, et chaque section avait été pensée pour les besoin particuliers de ma cliente. À sa mort, elle m’a fait remettre cette table par sa fille, et je me suis toujours demandé pourquoi.
Dans un atelier d’ébénisterie, souvent, on accumule tout plein de trucs qu’on garde pendant un temps et puis, on finit toujours par faire le grand ménage. J’espérais très fort ne pas l’avoir jetée. Chanceux elle était toujours là, dans un coin, sous une tonne de poussière de bois.
Alors je l’ai dépoussiéré, poncée, caressée un brin, re-laquée de noir brillant et la veille de Noël, trop content de mon coup, un peu ému aussi, je livrai la table à grand-maman Tran. De prime abord, elle ne comprit pas, alors je me suis mis à ranger son «petit monde» sur les étagères. Une fois le tout en place, d’un geste théâtral, je fis pivoter la table sur son axe !
Je ne m’étais pas trompé. Ses yeux s’arrondirent et elle se mit à toucher de ses vieilles mains chaque livre, dictionnaires, revues, replaça à sa façon les objets d’utilités sur le panneau du dessus, heureuse comme une petite fille devant un gâteau d’anniversaire. Puis, voulant me montrer toute sa reconnaissance, elle fit tourner la table, mais si fort que plusieurs livres tombèrent sur le plancher. Non mais ce qu’on a ri.
Non mais c’que c’était bon et depuis, à l’occasion, mon nouvel ami Chan passe me voir à l’atelier et s’il a un peu de temps, on se fait une partie d’échecs pour le plaisir de la joute, se foutant complètement de gagner ou de perdre. Ou alors, si on doit aller à l’aréna avec les petits, j’arrête à la confiserie et on s’y rend ensemble.
Aussi, quand je passe devant la vitrine, je jette toujours un coup d’oeil à l’intérieur et si madame Tran me voit de son fauteuil, elle me fait des sourires grand-maman comme ça.
C’est bon comme du bonbon. Et chaque fois, je m’empresse de le partager avec ma cliente d’antan... là-bas.
André Vincent
_ 15 décembre 2010
N.B. Illustration de la carte : Danielle Béchard ©
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3 commentaires
Archives de Vigile Répondre
12 décembre 2010M Vincent,
je vous remercie à mon tour pour cette douceur ressentie à lire cette belle histoire livrée dans l'harmonie d'un ton
et même sans le son.. l'on pouvait y entendre une musique, celle de la sensibilité à l'autre
Joyeuses Fêtes
S Caron
Marie-Hélène Morot-Sir Répondre
12 décembre 2010Mon cher André, quelle est belle votre histoire ! En la lisant nous sommes entraînés avec vous, dans un tourbillon de douceur, comme dans un merveilleux conte de Noël.... Votre manière exceptionnelle d'écrire et de nous la raconter, fait aussi partie du bonheur de vous lire..
Votre histoire est déjà partie en république Tchèque où elle a tellement émerveillé nos petits-enfants, qu'ils l'ont lu à tout le lycée français de Prague, alors, voyez, partout dans le monde elle devrait être racontée afin que plus personne n'oublie jamais la table de grand-maman Tran.
Nicole Hébert Répondre
12 décembre 2010M.Vincent,
Ceci est une histoire encore plus touchante que celle de Mon héros inconnu à cause du lien créée entre vous et ce couple exemplaire de néo-Québécois. À Québec ou en "région", cette intégration est facilitée car il n'y a pas de masse anglophone favorisant leur annexion. Serait-ce pourquoi on les incite moins à s'y installer? Mais quel plaisir de voir ce que je ne sais plus qui décrivait comme un groupe de smarties de petits Québécois épousant, grâce au choix généreux de leurs parents, notre accent et notre culture tout en ne reniant pas la leur en privé et en nous permettant par la proximité de la connaître aussi.
Merci de ce récit!