Bâtonnier (2005)

Quand le Québec s’éveillera, le monde s’étonnera!<br>Révolutions et Révolution tranquille

Chronique de Louis Lapointe

En lisant [la chronique d’André Savard de ce matin->14329], j’ai pensé que ce texte
tiré d’un roman que j’ai écrit en juillet 2005 pourrait avoir un certain
intérêt en cet été des Jeux olympiques de Pékin et du 400e anniversaire de
la fondation de Québec. Le narrateur est le Bâtonnier du Québec en mission
en Chine, et son interlocuteur, le ministre chinois de la Justice, deux
personnages fictifs. Petit extrait d’un roman:

***

Nos hôtes chinois nous reçurent avec la plus grande courtoisie. Ils
vinrent nous accueillir à l’aéroport de Pékin et nous amenèrent directement
à notre hôtel. Dès mon premier regard, je fus impressionné par ce pays où
tout était démesuré. Si la France brillait par son histoire, la Chine était
provocante par sa modernité. Partout le neuf y avait remplacé le vieux. De
grandes villes de plusieurs millions d’habitants s’étendaient là où il y
avait des villages. Des banlieues construites en hauteur poussaient là où
jadis il y avait des champs cultivés par des paysans devenus aujourd’hui
des ouvriers que plus rien n’attachait la terre.

Nos problèmes semblaient si petits lorsqu’on les comparait à ceux des
Chinois. Pourtant, le marché avait fait son œuvre; il transformait la Chine
à vitesse grand V. Les enfants uniques des nouvelles générations, dont les
parents travaillaient la terre, étaient devenus de jeunes individualistes
possédant leur cellulaire, naviguant sur internet et rêvant de conduire une
Volvo. À les voir, on ne pouvait les imaginer dans les rangs d’une armée
faisant couler le sang de leurs adversaires, comme on a longtemps voulu
nous le faire croire en Occident. S’ils partaient à la conquête du monde,
ce serait avec les armes de la nouvelle économie, pour se payer les mêmes
biens que nous consommions chaque jour, chez nous. Si les Chinois
s’attaquaient à la planète, ce serait avec les gaz à effet de serre émis
par leurs centaines de millions d’automobiles, leurs produits bon marché,
leur dynamisme et leur désir de s’enrichir.

Après une bonne nuit de sommeil, nous commençâmes notre visite par la Cité
interdite des Empereurs de Chine. La plus vieille civilisation du monde y
avait été dirigée jusqu'au début du siècle dernier par la famille
impériale. Cet ancien lieu de pouvoir était maintenant un vestige que l’on
conservait comme témoin de l’ancienne puissance de la Chine. Si Mao ne
l’avait pas détruite, c’était probablement parce qu’il souhaitait léguer
cet héritage aux générations futures. La présence de son mausolée dans la
Cité interdite n’était pas le fruit du hasard. Jadis, la Chine avait été
une puissance, elle le redeviendrait. Comme la France des lumières s’était
construite dans le sillon de la Révolution française, la Chine se
construira sur les décombres de la Révolution culturelle : on ne peut pas
abattre une dynastie impériale de plusieurs millénaires sans commettre
d’excès. Mao et Napoléon avaient été des acteurs privilégiés dont
l’Histoire se souviendrait.

Je comprenais maintenant pourquoi notre révolution avait été si
tranquille; nous n’avions rien à abattre, puisque nous n’avions rien
construit. Et les symboles qui nous étaient restés étaient ceux laissés par
nos conquérants et leurs vassaux. Nos monuments n’avaient pour but que de
nous rappeler notre soumission à l’Angleterre, à l’Église et nos défaites
sur les champs de bataille. Aucune victoire, que des défaites. Aucun
mausolée à la gloire de nos héros. Lors des quelques occasions où nous
aurions pu signifier cette rupture avec notre passé, nous avions préféré
reculer.

Le Québec avait raté son entrée dans la modernité. Les institutions de la
Révolution tranquille étaient un château de cartes qui allait s’écrouler
avec le vieillissement de la génération qui l’avait initiée. Les sociétés
futures allaient se construire sur le vide que nous laissions en héritage.
Une société ouverte sans fondement, sans appartenance et une charte qui
reconnaissait tous les autres sauf nous-mêmes. La violence des révolutions
française, américaine et chinoise avait laissé des peuples forts et
aguerris. Notre révolution laissait derrière elle un peuple tranquille, à
son image, qui allait bientôt disparaître; c’était maintenant une certitude
pour moi. La Chine n’allait pas nous écraser, nous étions déjà écrasés :
Quand le Québec s’éveillera, le monde s’étonnera!

Cette première journée consacrée à la grandeur de la Chine se termina par
une soirée de bienvenue organisée par le gouvernement chinois. Lors de
cette soirée, j’eus la chance d’échanger avec le ministre chinois de la
Justice qui prit l'initiative de la conversation.


- Nous vous remercions de l’aide que vous nous apportez.

- Sincèrement, depuis que nous sommes arrivés hier, j’ai l’impression que
c’est nous qui venons apprendre de vous.

- Nous pouvons apprendre de plus petits que nous. J’ai lu sur votre pays,
c’est vraiment fascinant de voir un si petit peuple découvrir un aussi
grand continent. Vos ancêtres étaient courageux et astucieux : ils se sont
alliés aux différents peuples autochtones pour arpenter tout le territoire
nord-américain, ce qu’ils n’auraient pu faire sans leurs nouveaux alliés.
Même après vos nombreuses défaites, vous avez survécu jusqu’à ce que vous
puissiez saisir l’occasion de renaître. Votre peuple est comme un fleuve,
il suit le courant des eaux. Là où il y avait un mince filet d’eau peut
aussi couler un torrent, source d’une énergie féconde.

- Notre peuple est comme le St-Laurent, il étouffe.

- J’ai bien peur que vous confondiez la mort avec le sommeil. Votre peuple
est en attente du bon moment pour se réveiller, il attend un nouvel allié.

- Pourquoi pas la Chine ? Un des membres de notre délégation dont les
parents sont chinois vient de Brossard où il y a une importante communauté
chinoise. Nos concitoyens Chinois la surnomment le « dos du dragon ».

- Ce qui signifie que c’est un lieu de richesse. D’ailleurs, nous avons
récemment tenté d’acquérir une importante entreprise minière qui a de
nombreux gisements au Québec, la Noranda.

- Cette tentative d’acquisition a été perçue comme une menace par les
habitants de Rouyn-Noranda. Les Chinois y sont perçus comme des
capitalistes sauvages. Votre présence au Tibet n’aide pas non plus.

- Vous allez me parler des droits de l’Homme ?

- Plutôt de la question de la souveraineté qui est très actuelle chez
nous.

- Malgré toutes vos institutions démocratiques et vos nombreux
référendums, vous l’avez toujours repoussée.

- Le dernier référendum a été volé par le gouvernement fédéral.

- L’important est de gagner, et pour gagner, il faut se battre.

- C’est très facile à dire lorsqu’on est majoritaire et qu’on contrôle ses
propres institutions, le Québec et le Tibet ne se battent pas à armes
égales.

- Le Québec est une force qui dort, comme le Tibet est un pays endormi par
la religion. Vous ne pouvez demander aux autres de faire votre révolution à
votre place. La liberté ne se quémande pas, elle se prend. Cet enseignement
est bon pour vous et les Tibétains qui avez été dominés par une oligarchie
religieuse pendant des siècles. La religion annihile la volonté des peuples
en transformant l’espoir légitime d’un monde meilleur sur terre en une foi
aveugle en un être suprême libérateur des souffrances terrestres. Comme les
Tibétains, votre peuple a été endormi par la religion et souffre encore
aujourd’hui des effets de deux siècles de soumission. Votre clergé vous a
convaincu que vous étiez trop faibles pour vous libérer et que dans ces
circonstances vous ne pouviez compter que sur la Sainte-Providence. La
force de votre mouvement doit dépasser celle de votre opposition si vous
voulez vaincre votre inertie. Vous devez vous libérer de vos chaînes
intérieures, ce sont des signes de vitalité qui assurent la réussite de
l’action. Comme disait Mao, la volonté du peuple peut déplacer des
montagnes…

À suivre...

Copyright © Louis Lapointe, 2005. Tous droits réservés.

Autres épisodes de « Bâtonnier » :

Synopsis

Le conseiller (1)

Le club

Une visite en prison

Le vice-président

Une rencontre avec le Cardinal

Entrevue avec un Bâtonnier

Quand le Québec s’éveillera, le monde s’étonnera ! Révolutions et Révolution tranquille

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Louis Lapointe534 articles

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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5 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    10 juillet 2008

    Quand un peuple est dominé par un conquérant qui a une religion dominante il est difficile de résister au clergé ou au tiers-état. Le roi d'Angleterre, chef suprême de l'Église anglicane, voyait d'un mauvais oeil ces catholiques rattachés à Rome donc déloyaux à sa majesté. Le favoritisme à l'égard de l'Église officielle, la menace envers les évêques surveillés de près, l'intimidation des prêcheurs de paroisse, tout cela créait un climat de prudence et de peur. Le serment du Test sous le régime militaire, les permis d'affaires donnés aux seuls anglais ne permettaient à personne, ni à l'habitant ni au curé de lever le nez trop haut. On sait ce qui est arrivé en 1837. Dans ces patriotes il y avait un prêtre pourtant. L'histoire de notre chinois, fort intéressante en général, cadre très bien avec la version laïciste de R-C et d'incroyants. La
    Chine nourrit la même méfiance et le même contrôle de la religion reliée à Rome ainsi qu'envers les lamaïstes tibétains. Là , ces bonze veulent un état théocratique tandis que la Chine en les dominant leur offre un état chinois que se modernise rapidement. Les tibétains n'ont pas grand choix, coincés entre la peste et le choléra, comme le disait Pie 12 des nazis et des communistes. ¨Entre la peste et le choléra on ne choisit pas¨

  • Archives de Vigile Répondre

    10 juillet 2008

    Sans la religion catholique romaine, la nation, le peuple Canadien-Français, Québécois, n'existerait tout simplement pas. En moins de deux générations, les anglais nous auraient assimilés. On serait de bons anglais de sang inférieurs, comme les irlandais. "Le vide que nous [laissons] en héritage", c'est la faute d'une génération qui nous a coupé de notre passé et de nos racines en qualifiant tout un pan de notre histoire de "grande noirceur".

  • Archives de Vigile Répondre

    9 juillet 2008

    L'église Anglicane et Protestante ne sont pas des religions ?
    Il n'y a que le catholicisme et le boudhisme qui endorment ?
    La Pologne n'a pas été libérée grâce au Pape ?
    Et la création d'Israel ?
    L'Orthodoxe endort les Russes libérés du communisme ?
    Non, c'est la force militaire qui a conquit. Le catholicisme a été l'instrument de répression sociale après coup, mais son pouvoir lui était accordé par l'Anglais tout aussi religieux.

  • Archives de Vigile Répondre

    9 juillet 2008

    Bravo M Lapointe,
    Seul bémol, cela n'aurait pu se passer aujourd'hui avec le nouveau batonnier du Québec, un certain Gérald Tremblay...

  • Archives de Vigile Répondre

    8 juillet 2008

    Monsieur Lapointe, Votre texte est très adroitement tourné, très encourageant. Faute d'avoir ce texte dans les manuels scolaires du Québec, il faudrait le prendre comme modèle pour apprendre à s'appropier sans complexe notre épopée, notre histoire, notre identité et notre soif de liberté.
    On me reprochera de frapper toujours sur le même clou mais je suis d'avis qu'il faut faire preuve de solidarité entre Québécois pour relancer la lutte nationale. Nous sommes assez nombreux pour ne pas passer inaperçu mais notre morcellement rend souvent anonyme et trop facilement contournable la cause, la belle cause, que nous défendons.
    Gilles Verrier