Portrait - Du Québec inc. au monde coopératif

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Mouvement Desjardins — dérives appréhendées

Le Mouvement Desjardins poursuit inexorablement son évolution au fur et à mesure que ses capacités professionnelles et financières augmentent. Dans les années 1980 et 1990, le président Claude Béland situait surtout son champ d'action dans le cadre du Québec inc. Son successeur, Alban D'Amours, président de 2000 à 2008, mentionnait dans sa dernière allocution, samedi dernier, que Desjardins se trouve maintenant dans «l'ère du Canada et Québec coop». Quelques minutes plus tard, la nouvelle présidente, Monique Leroux, évoquait l'obligation de bientôt «se pencher sur les possibilités de partenariat avec de grands groupes financiers coopératifs dans le monde».
L'intérêt du Mouvement Desjardins pour les organismes coopératifs internationaux n'est pas récent et ses présidents ont été des participants actifs au sein de ces associations. Diverses ententes et certaines participations existent déjà. Toutefois, Mme Leroux est la première à parler ouvertement de partenariats sur une grande échelle, dans un contexte de consolidation mondiale où la taille des entreprises sera de plus en plus importante. «Des occasions d'affaires se présenteront. J'estime donc que nous devons avoir un plan d'action à cet égard, à la fois stratégique et financier, qui devra servir au mieux les intérêts et la pérennité du Mouvement Desjardins», déclarait-elle aux quelque 2000 délégués présents aux assemblées générales annuelles.
Elle en parlait non pas comme une sorte de rêve lointain, mais bien comme une perspective de travail bien concrète à laquelle elle accorde une importance certaine, puisque du même souffle elle annonçait la tenue en 2007 d'un congrès d'orientation pour discuter en tout premier lieu «des ambitions» des gens des caisses Desjardins sur des horizons de «4, 8, 12 et 20 ans». Même avec l'appui des filiales et des équipes de direction, la présidente sait fort bien qu'elle n'irait nulle part à cet égard sans l'appui des caisses locales, qui génèrent 75 % des excédents du Mouvement. En outre, comme des décisions de regroupement ou de partenariat de grande envergure doivent se prendre souvent dans des délais relativement courts, la nouvelle présidente considère qu'il lui faut rapprocher les dirigeants des caisses du pouvoir central de décision, afin d'éviter «un Mouvement à deux vitesses».
Cette porte ouverte sur la mondialisation de Desjardins est à ce jour l'élément distinctif le plus notable de cette nouvelle présidence. Un tel positionnement apparaît dorénavant tout à fait plausible, étant donné la place que Desjardins occupe parmi les institutions financières. Selon The Banker, une institution britannique qui se donne pour rôle d'évaluer les investissements dans le monde des affaires, y compris dans les secteurs banquier et coopératif, le Mouvement Desjardins se situe au 98e rang sur une liste de 1000 entreprises et institutions coopératives ou capitalistes en ce qui concerne la qualité de sa capitalisation en rapport avec les objectifs de l'accord de Bâle. En Amérique du Nord, Desjardins arrive au 22e rang dans le groupe du top 25.
Mais d'abord, offensive sur le marché ontarien
Mme Leroux n'en oublie pas pour autant les défis qui se posent à l'échelle locale. Dans l'immédiat, dit-elle, les efforts de Desjardins doivent se poursuivre pour cristalliser sa distinction coopérative, renforcer son positionnement en gestion du patrimoine et dans le marché des entreprises, raffermir sa présence dans le Grand Montréal, en Ontario et ailleurs au Canada, améliorer la technologie et la productivité et veiller à la mobilisation des dirigeants et des employés.
Dans l'ouest de l'île de Montréal, Desjardins doit d'abord miser sur la présence active des caisses locales du secteur, sans pour autant négliger l'apport des filiales et le rôle de Carrefour Desjardins au centre-ville, qui dans sa première année d'existence avait généré des ventes de 96 millions au 31 mars dernier.
En 2008, un effort important sera fait en Ontario dans la perspective d'un développement pancanadien. À cet égard, la table a déjà été mise sous la présidence d'Alban D'Amours, qui en quittant ses fonctions avait brossé le tableau suivant: «Le nouveau partenariat avec les caisses populaires de l'Ontario, le renouvellement de notre entente avec le réseau des caisses acadiennes, la création de Desjardins Credit Union, les ententes de services avec l'Alliance des caisses populaires de l'Ontario et de nombreuses "credit unions" de cette province, le développement des liens d'affaires de la Caisse centrale avec plusieurs coopératives financières d'envergure de l'ouest du pays, la croissance des affaires de nos sociétés d'assurances au Canada, l'importance prise par l'équipe des Valeurs mobilières Desjardins [VMD] en poste à Toronto: ces réalisations et bien d'autres témoignent du véritable élan de notre expansion à l'échelle du pays.»
L'an passé, environ 22 % des revenus de Desjardins provenaient d'autres provinces que le Québec. L'objectif est d'atteindre 25 % en 2008, ce qui ne sera pas nécessairement facile. Mme Leroux a pour objectif d'établir une approche plus stratégique pour mettre à contribution dans un plan intégré toutes les composantes mentionnées par M. D'Amours. Elle soutient que les compagnies d'assurances de Desjardins peuvent servir d'exemple et de pilier. «J'estime que nos compagnies d'assurances disposent d'atouts stratégiques qui devraient nous permettre d'accélérer leur développement d'ici 2011 sur l'ensemble du marché canadien», dit la présidente.
La réalisation de cette stratégie est déjà enclenchée, comme l'a démontré Jude Martineau, président et chef de l'exploitation de Desjardins Groupe d'assurances générales (DGAG), en parlant de son projet de croissance dans le marché individuel en Ontario, qui, selon lui, sera la principale avenue de croissance à l'extérieur du Québec. Il en fait même un projet majeur: «Pourquoi? Parce que nous sommes déjà le numéro un au Québec dans un marché à maturité. Parce qu'en assurance de groupes, où le potentiel de développement est intéressant bien que limité, nous occupons la deuxième place au Canada. Enfin, parce que l'Ontario représente le plus important marché de l'assurance au Canada.»
DGAG a élaboré un plan de croissance sur cinq ans, dans lequel il va investir 10 millions cette année, pour mener une campagne de publicité à grand déploiement pour ses produits d'assurance auto et habitation, sous la bannière Desjardins. Les temps ont apparemment changé, puisque dans les années 1980 des compagnies d'assurances québécoises avouaient leur incapacité à se faire accepter sur le marché ontarien avec des noms de commerce en français. À ce propos, Mme Leroux rappelle qu'en 2001, alors qu'elle avait la responsabilité d'une société de portefeuille des compagnies d'assurances de Desjardins, elle avait elle-même fait accepter le nom de la filiale Desjardins Sécurité financière, qui devait intégrer L'Impériale et Assurance-vie Desjardins-Laurentienne. Depuis, on a aussi créé Desjardins Credit Union. Bref, le nom Desjardins ne pose pas de problème et jouit déjà d'une grande visibilité en tant que commanditaire majeur aux Internationaux de tennis à Toronto. Pour sa part, M. Martineau soutient que sa DGAG et ses campagnes de publicité vont contribuer à l'établissement de la notoriété de marque Desjardins à l'extérieur du Québec, «un levier important pour la marque en Ontario au bénéfice de l'ensemble des composantes du Mouvement», dit-il.
Parmi les composantes qui sont déjà présentes en Ontario, il y a Valeurs Mobilières Desjardins (VMD), dont on a beaucoup parlé récemment. Germain Carrière, président et chef de l'exploitation de VMD, ainsi que Mme Leroux assurent que cette filiale n'a pas encore pris toute sa place à Toronto mais qu'elle y parviendra. «Il ne faut pas passer sous silence la performance de notre service de recherche, qui constitue la pierre angulaire de notre stratégie. Nous avons réussi à donner un nouveau mandat à ce service sans affecter la qualité de ses produits. Notre neuvième place au Canada parmi les firmes de courtage le prouve. De plus, cinq de nos analystes figurent parmi les cinq meilleurs au Canada dans sept secteurs industriels, résultat jamais atteint», souligne M. Carrière.
La présence de VMD à Toronto laisse parfois l'impression dans le public québécois que le centre de gravité de cette filiale est en train de quitter le Québec pour l'Ontario. Mme Leroux rejette complètement une telle hypothèse. Sur les 1300 employés de VMD, il y en a 1200 au Québec et 100 ailleurs. «Il est fondamental que la masse critique de VMD demeure à Montréal», affirme la présidente, tout en étant convaincue de la nécessité de poursuivre le développement des activités dans les valeurs mobilières, ne serait-ce que pour récupérer la clientèle des membres de Desjardins qui ont leurs placements dans d'autres institutions.
VMD s'intéresse aussi à la clientèle des entreprises. C'est ainsi qu'elle a accepté le mandat de conseiller le Groupe TSX dans sa démarche de fusion avec la Bourse de Montréal. La Caisse centrale Desjardins a pour sa part agi comme cochef de file en accordant des facilités de crédit à TSX pour un montant de 500 millions. Certains ont reproché à Desjardins d'avoir accepté ce mandat et s'inquiètent de l'avenir de la Bourse de Montréal, même parmi les dirigeants de caisses.
L'ex-président Alban D'Amours a fourni les explications suivantes: «Depuis 1999, la Bourse de Montréal a connu un succès extraordinaire. Allions-nous laisser des Américains en prendre le contrôle ou faire une alliance qui allait permettre qu'on respecte nos conditions? Desjardins a entrepris son expansion canadienne dans une démarche de partenariats; il m'apparaissait naturel qu'on fasse la même démarche en ce qui concerne la Bourse de Montréal.»


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