Depuis une dizaine d'années, on entendait souvent vanter la qualité des fromages fins du Québec, mais personne n'avait encore osé dire que le meilleur fromage au monde était québécois. Et voilà, maintenant c'est fait, et cela n'a absolument rien à voir avec le chauvinisme.
Ce sont d'abord 150 juges provenant de 24 pays qui, après avoir regardé, touché, senti et goûté 2440 fromages, en ont retenu 140 qui se démarquaient. Puis, 13 experts de 10 pays ont exprimé leur préférence personnelle, avant de dégager un consensus sur lequel des 13 fromages finalistes devait être le grand champion 2009: Le Cendrillon, de la Fromagerie Alexis de Portneuf, l'ancienne fromagerie de la famille Cayer à Saint-Raymond de Portneuf, acquise en 2000 par le Groupe Saputo.
«Nous avons été surpris comme tout le monde», avoue Dino Dello Sbarba, président et chef de l'exploitation de Produits laitiers (Canada, Europe et Argentine), dont les revenus ont été de 3,3 milliards au cours du dernier exercice financier. Il va sans dire que les fromages dits de spécialité représentent une infime partie des activités de Saputo, devenue une multinationale du fromage. La surprise a été en effet grande pour tout le monde. Une première dans l'histoire du World Cheese Awards, lancé à Londres il y a 21 ans, le grand champion vient d'Amérique du Nord.
Et la «coupe du monde» du fromage traversera pour la première fois l'Atlantique pour se retrouver à Saint-Raymond de Portneuf et non pas au siège social de Saputo à Montréal. C'est M. Dello Sbarda qui l'affirme, en expliquant que tout le mérite de cet honneur revient à l'équipe de 150 personnes dans cette fromagerie, dont le fondateur a été Alexis Cayer, il y a 150 ans. Dès lundi dernier, Lino Saputo fils, président et chef de la direction du groupe, s'est rendu lui-même à Saint-Raymond pour célébrer ce championnat avec le personnel et voir les sourires de fierté sur tous les visages. «Nous sommes très fiers pour notre fromagerie de Saint-Raymond, mais cela va aussi contribuer à mousser tous les fromages de spécialité au Québec», souligne M. Dello Sbarda, en reconnaissant que cela n'est pas mauvais non plus pour la notoriété de Saputo.
Les fromages de spécialité
Certains se demandent comment une grande entreprise comme Saputo peut en arriver à produire des fromages très raffinés comme Le Carillon et La Sauvagine, un autre grand fromage fin de Saint-Raymond qui a remporté des prix prestigieux au Canada et au World Cheese Awards. En fait, bien conscient qu'on ne fait pas un fromage de croûte lavée de la même façon que de la mozzarella, Saputo n'a jamais voulu intégrer les fromages fins dans ses grandes usines, à l'exception des fromages de spécialité italiens, un créneau largement occupé par cette entreprise au Canada. Ce n'est en fait qu'en 1996 que Saputo a fait l'acquisition d'une firme d'importation de fromages dans le but d'ajouter à son portefeuille de produits les fromages de spécialité. L'année suivante, il embauchait Louis Aird, maître fromager français et expert des fromages européens, comme directeur à l'importation. C'est d'ailleurs lui qui était aux îles Canaries la semaine dernière pour la réception du prix de champion accordé au Cendrillon.
Puis, en 2000, Saputo a fait l'acquisition de Cayer au coût de 20 millions, une excellente fromagerie, mais «un trop petit joueur dans un marché de grands», disait alors Denis Cayer. Cinq ans plus tard, Saputo acquerrait un autre fleuron, la fromagerie Côté de Warwick, laquelle a aussi obtenu des prix prestigieux, notamment une médaille d'or l'an passé au World Cheese Awards pour son Cendré de Lune (1860 la fromagerie Du Village). Dans les deux cas, explique M. Dello Sbarba, le message était très clair: «Gardez votre esprit d'entrepreneur, gérez ça comme si c'était votre business.» Pour sa part, Saputo s'occupe des budgets, du marketing, des ventes et surtout de voir à la rentabilité de chaque produit. C'est ainsi que chez Cayer, il y a eu une période difficile lorsqu'on a mis fin à la production de cheddar et de feta. Toutes les activités ont été ciblées sur les fromages fins.
Il y a quatre ans, Saputo a créé une division des fromages de spécialité avec à sa tête un directeur général et un directeur de production. Il y a aussi dans cette division une petite équipe qui évalue les fromages «dormants», c'est-à-dire des fromages qui font l'objet de différentes modifications et de tests, jusqu'au jour où l'on pense qu'il y en a un parmi eux qui est suffisamment prêt pour subir l'épreuve du marché. On l'offre à toutes les chaînes et boutiques qui font partie du réseau des clients. Certains le prennent, d'autres pas. Si, après un certain temps, on constate que ce fromage n'intéresse pas la clientèle, on cesse tout simplement de le produire.
Le Cendrillon
C'est ainsi qu'en 2005 a été lancé Le Cendrillon, sans imaginer un seul instant que quatre ans plus tard, il deviendrait une célébrité mondiale. Au fait, ce produit, présenté comme «un fromage affiné dans les cendres de bois, à la croûte texturée marbrée et à la pâte ivoire et lisse, au goût acidulé qui s'intensifie avec le temps», n'avait jamais attiré les foules avant de devenir champion, il y a une semaine. Il s'est vendu un peu partout au Canada, mais sa demande a été plutôt stable depuis deux ou trois ans avec une croissance de 5 à 10 %, dit-on. Il semble même que ce fromage n'avait jamais été présenté dans un concours avant celui-ci!
Évidemment, en une semaine, tout a basculé. «Nous sommes débordés. Là où il y avait une demande de 20 caisses, il en faudrait maintenant 300. Les chaînes de distribution, les boutiques en veulent, certains pour l'offrir en spécial. Il y a des Américains qui le veulent en exclusivité. Il nous faudra donc gérer la distribution en toute équité pour l'ensemble de la clientèle», confie M. Dello Sbarba, qui par ailleurs a bien hâte de voir comment réagiront les consommateurs, qui historiquement ne sont pas massivement attirés vers les fromages de chèvre, ce qu'est Le Cendrillon.
La Sauvagine, un fromage de lait de vache qui a remporté une médaille d'or dans sa catégorie au World Cheese Awards 2008 et d'autres prix antérieurement à cela, a vu sa demande augmenter de 10 à 20 fois depuis trois ans. Saputo ne veut pas donner d'informations plus précises. En sera-t-il de même avec Le Cendrillon? En tout cas, pour le moment, la curiosité est grande. La semaine dernière au marché Jean-Talon, plusieurs parlaient de ce fromage qui était pourtant introuvable dans les boutiques spécialisées de la place. Si les stocks sont épuisés, il faudra attendre au moins trois semaines avant de les renouveler, puisque c'est le temps de maturation dont il a besoin avant d'être mis en marché.
Certains se demanderont sans doute si une grande entreprise comme Saputo peut produire un fromage vraiment artisanal, M. Dello Sbarba mentionne que les fromages des usines de Saint-Raymond et de Warwick sont, dans la plus pure tradition, tournés et lavés à la main, avant d'être déposés en chambre de maturation. Il mentionne d'ailleurs que le brie est considéré ici comme un fromage de spécialité, alors qu'en France il est consommé comme le cheddar l'est ici, c'est-à-dire comme un produit de tous les jours.
Collaborateur du Devoir
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