Le 9 avril prochain, huit ans après avoir été la première femme au plus haut poste du Mouvement Desjardins, Monique Leroux va tirer sa révérence et dire au revoir à ses quelque 45 000 employés. Au revoir. Pas adieu.
Le tout se fera dans les règles de l'art coopératif, au terme de la période électorale officielle qui s'étendra du 13 février au 19 mars. À deux jours du printemps donc, la première présidente en 108 ans d'histoire chez Desjardins va tourner la page d'un chapitre important de sa vie.
Êtes-vous triste ? La question m'est venue aux lèvres la semaine dernière au milieu d'une rencontre au 40e étage de la tour Sud du Complexe Desjardins, l'étage feutré de la présidence... et de la présidente.
D'entrée de jeu, cette pionnière de 61 ans, avec ses longs cheveux blonds coiffés, ses grands yeux bleus maquillés, son sourire tout en dents, ses bijoux sobres, mais abondants et son énergie à tout casser, m'a prise un peu au dépourvu.
Je m'attendais à une femme sèche et austère, à une comptable sérieuse et stressée par un horaire de fou et des responsabilités colossales. Après tout, à titre de présidente, Monique Leroux gère la plus grosse entreprise privée du Québec tout en brassant des milliards. Pas 1 ou 2 milliards, près de 200 milliards ! De quoi rendre n'importe qui un peu sec.
Mais Monique Leroux, née Forget, a été sauvée de la sécheresse des chiffres par des notes de musique. Elle a raconté l'histoire mille fois de ses études en piano, de l'âge de 6 à 20 ans au Conservatoire de musique, études qu'elle a abandonnées à cause de la solitude qu'impose la pratique pianistique. « J'aimais mieux les gens que le piano », dit-elle souvent.
Dans les faits, elle avait deux autres intérêts : la direction d'orchestre, un métier auquel elle se refusait de rêver, faute de modèles féminins à l'époque et de moyens financiers pour aller se parfaire à l'étranger. Son deuxième et peut-être plus grand intérêt, c'était le chant classique, une passion héritée d'André Forget, son père. Chez les Forget à Boucherville, il y avait de la musique qui jouait tous les soirs à l'heure du chapelet, et le samedi, c'était l'opéra à la radio. La jeune Monique rêvait d'être chanteuse. Elle participait à des chorales, chantait à la première occasion, mais très vite, elle a compris qu'elle n'avait pas la voix ni les cordes vocales d'une grande chanteuse.
Au lieu de se complaire dans l'amertume de ce rêve déçu, elle s'est lancée dans des études comptables. Elle l'a fait si rapidement que cela porte à croire qu'elle avait la fibre artistique, mais qu'elle était trop pragmatique pour être une artiste. Chose certaine, son amour pour la musique en particulier et pour la culture en général a été un atout, lui conférant une vision plus large et plus humaniste que celle de la moyenne des gestionnaires.
« C'est clair que mes études en musique au Conservatoire ont eu une part importante dans ma formation et ma compréhension des choses, dit-elle. Et puis, y a-t-il quelque chose de plus parfait qu'une partition de Bach ? C'est à la fois très structuré et rempli d'émotion. »«Dans le fond, la musique comme la comptabilité, ce sont des ensembles de règles fondés sur un langage et un système qui se ressemblent.»
Monique Leroux
Monique Leroux a souvent évoqué la famille modeste dans laquelle elle a grandi. Mais André Forget avait quand même un magasin de chaussures au Centre commercial de Varennes : les chaussures Tartarin, nommé ainsi en hommage à Tartarin de Tarascon, le héros d'Alphonse Daudet dont sa fille dévorait les aventures. Les Forget n'étaient peut-être pas riches financièrement, mais culturellement, ils étaient bien nantis.
Neutre dans la course à sa succession
Reste qu'à 20 ans en 1974, en pleine révolution sociale et culturelle, Monique Leroux n'était déjà pas le genre à tout envoyer promener et à partir pour l'Europe avec un sac à dos ; 1974, c'est l'année où elle s'est mariée avec Marc Leroux - une union qui dure jusqu'à ce jour - avant de poursuivre un bac en administration à l'Université du Québec à Chicoutimi.
Avait-elle imaginé qu'un jour elle serait à la tête d'une des plus importantes entreprises financières au Canada après avoir tenu des postes de pouvoir autant à la Banque Royale, chez Quebecor (2000 à 2001) que chez Ernst & Young ?
« Non, évidemment, répond-elle. Je n'ai jamais dessiné de plan de carrière, mais j'étais toujours à l'affût d'opportunités et de projets. Et j'ai accepté toutes sortes d'affaires, notamment parce que j'ai pour adage qu'il faut déposer avant de retirer. J'ai beaucoup déposé... »
Je reviens à ma question du début. Est-elle triste de quitter la présidence du Mouvement Desjardins, son magnifique bureau avec vue imprenable sur la ville et le fleuve, le pouvoir dont elle jouit doublé du prestige d'avoir atteint un sommet qui semblait inaccessible aux femmes ?«Je ne peux pas être triste. Le bonheur et le sentiment d'avoir livré la marchandise l'emportent sur la tristesse. Et puis, je ne quitte pas complètement le Mouvement Desjardins. Je serai toujours là pour apporter mon aide au besoin.»
Monique Leroux
Officiellement, Monique Leroux n'a pas de dauphin(e) et n'appuiera aucun des trois candidats - Daniel Paillé, Guy Cormier et Robert Ouellette - qui sont entrés dans la course cette semaine. Mais j'avoue que j'ai de la difficulté à croire qu'une femme aussi déterminée, qui a eu à coeur pendant huit longues années les destinées de Desjardins, puisse lâcher prise et laisser la maison aux bons soins des autres. Mais elle n'en démord pas.
« Le Mouvement Desjardins ne m'appartient pas. Je ne suis qu'une personne qui a été élue. J'ai droit à mon opinion, mais chez Desjardins, ce n'est pas un petit groupe qui décide. C'est un collège électoral d'environ 300 personnes. Évidemment, j'ai participé à l'élaboration des critères de sélection, mais pour le reste, je fais confiance au Mouvement. »
À l'heure des bilans, Monique Leroux est fière d'avoir aidé Desjardins à entrer dans l'ère numérique, fière de l'augmentation des membres qui sous sa gouverne sont passés de 6 à 8 millions et qui ont maintenant accès aux Services Desjardins 24 heures sur 24, fière de l'augmentation de la présence des femmes qui, grâce à son plan de parité, représentent aujourd'hui 59 % des gestionnaires, 40 % des dirigeants élus des caisses et 30 % des cadres supérieurs. Bref, elle n'a rien à se reprocher, pas même les critiques, notamment de la part de l'ex-président Claude Béland, indiquant que sous sa direction, Desjardins a perdu son âme et est devenue une banque comme les autres.
En entendant le reproche, Monique Leroux perd son beau sourire puis reprend presque mot pour mot les propos de Claude Béland alors qu'il avait été la cible des mêmes critiques en 1998 à la suite d'une vaste réingénierie de Desjardins. « Il faut accepter que le monde change », dit-elle, ajoutant avoir tout lu des écrits d'Alphonse Desjardins sur la vraie nature du Mouvement qu'il a fondé. Elle demeure convaincue qu'elle est restée fidèle à la vision d'Alphonse pour qui Desjardins était un organisme vivant, en perpétuel mouvement, et résolument tourné vers l'avenir.
Quant à l'avenir de Monique Leroux, il changera de cap le 9 avril lors de la passation officielle des pouvoirs. Mais l'ex-présidente ne rentrera pas pour autant dans ses terres à Outremont pour tricoter. Elle vient d'être élue présidente du conseil d'administration de l'Alliance coopérative internationale à Bruxelles. Elle est la première Nord-Américaine élue à ce poste prestigieux qui représente 95 pays et elle a déjà annoncé ses couleurs et ses priorités. Ceux qui pensaient que son ascension se terminait au 40e étage de la présidence de Desjardins se sont trompés. Pour Monique Leroux, la vie n'a pas de limites.
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