Desjardins, la coopérative

Le modèle prouve toute sa pertinence

Monique Leroux: «nous ne sommes pas jugés sur le cours du titre en Bourse au jour le jour»

Mouvement Desjardins — dérives appréhendées

- Employés: 42 000

- Membres: 5,8 millions

- Actifs: 160 milliards
Alexandre Shields - Si certains craignent que le Mouvement Desjardins puisse un jour perdre de vue le fait qu'il est d'abord et avant tout une coopérative, sa présidente, Monique Leroux, se veut pour le moins convaincue de la force de ce modèle d'affaires, particulièrement lorsqu'une crise économique frappe. Elle précise d'ailleurs avoir orchestré l'importante réorganisation des structures de l'institution dans le but d'en assurer la force et la pérennité.
Monique Leroux l'affirme sans hésiter: la profonde crise économique que le monde a traversée a permis de démontrer que le mouvement coopératif est toujours aussi pertinent. «Je pense que ça ne l'a pas seulement démontré pour nous, explique-t-elle en rencontre éditoriale au Devoir. Ça l'a démontré pour d'autres, et pas seulement dans le monde financier.»
Mais elle se garde de bien d'en faire un incontournable. Celle qui dirige les destinées de Desjardins depuis mars 2008 souligne plutôt que les modèles publics strictement capitalistes ont aussi leur importance. «Mais force est de constater que le modèle coopératif est résilient et il a l'avantage de garder la propriété de l'entreprise collective près des personnes et des communautés. Vous ne pouvez pas faire de prise de contrôle non sollicitée sur le Mouvement Desjardins. C'est une entreprise qui appartient à ses membres et qui, donc, a une pérennité.» Qui plus est, puisque Desjardins est une coopérative plutôt qu'une société par actions, les déboires de la Bourse ont beaucoup moins frappé ses actifs.
Monique Leroux invite d'ailleurs à faire la comparaison entre cette façon de faire et celle — plutôt commune dans le monde des affaires — qui permet à des entreprises étrangères de prendre «le contrôle de nos richesses naturelles» ou «de grandes activités qui ont un impact considérable sur la vie économique du Canada et sur notre futur». Sans donner d'exemple précis, elle souligne tout de même que ce genre modèle engendre souvent des «exagérations», notamment en ce qui a trait aux «gains substantiels réalisés par des membres de la direction». «En voyant cela, on se dit que le mouvement coopératif a sa place pour permettre de garder des entreprises qui sont importantes pour la création de richesse et de prospérité.»
Plan d'évolution
Même si elle défend avec vigueur le modèle coopératif, elle reconnaît que la crise majeure que le monde a traversée — et traverse toujours, à bien des égards — a suscité une réflexion au sein du Mouvement Desjardins. «La crise ne nous a pas mis à mal. Je pense qu'on s'en est bien sorti. Mais cette crise a eu pour effet de renforcer nos convictions sur l'importance de la solidité financière.»
Il faut rappeler que Desjardins avait essuyé de lourdes pertes dans les papiers commerciaux, après l'effondrement de 2007, mais a levé 3 milliards de dollars en capitaux, dont 1 milliard en parts permanentes, afin d'accroître sa capitalisation.
Et l'institution fondée par Alphonse Desjardins s'en tire plutôt bien, selon un classement produit cette semaine par le magazine américain Global Finance. Elle se classe en fait au quatrième rang des institutions financières nord-américaines jouissant des plus «solides positions» en matière capitalisation et de gestion du risque. Dans la période ayant précédé la crise, ce n'était visiblement pas le cas de tous. «On avait perdu, dans le monde financier, cette notion très importante de la capitalisation, qui nous assure d'avoir les coussins requis pour pouvoir protéger une institution en cas de choc financier», soutient celle qui est à la tête d'une institution qui peut compter sur des actifs totaux de près de 160 milliards.
La direction a donc lancé la réflexion ayant mené à son «plan d'évolution» dans la foulée de la récente crise. Le but de cette «réorganisation»? Se doter d'une structure de gestion mieux «regroupée» et s'assurer de pouvoir agir avec plus d'«agilité de gestion», surtout en cas de crise. On a ainsi annoncé l'abolition de plus de 900 postes en trois ans dans les diverses instances administratives, et ce, hors du réseau des caisses. Monique Leroux assure toutefois que la croissance de Desjardins permettra de compenser amplement les postes abolis. On a aussi mis de l'avant la «formule 1/3» pour le partage des «excédents». Ceux-ci sont divisés également entre les ristournes, le volet «développement» et la capitalisation nécessaire pour assurer la «pérennité». «Si on veut assurer notre pérennité, il nous faut un groupe bien capitalisé», souligne Mme Leroux.
Jusqu'à présent, tout se déroulerait bien. «Nous sommes sur le bon chemin, estime la présidente. On ne peut pas faire un changement aussi important et penser que ça peut se réaliser en six mois. Mais les activités qu'on a faites avec nos gestionnaires nous démontrent que les gens ont compris le sens du changement, qui était d'unir nos forces pour travailler.» Il s'agit d'un changement de ton puisqu'au moment où elle avait été annoncée, cette opération avait suscité de grandes craintes chez certains cadres du Mouvement.
S'ouvrir sur le monde
Bien en selle après plus de deux ans en poste, Mme Leroux chérit particulièrement certains projets, dont celui de contribuer à accroître la présence de ce fleuron de l'économie québécoise à l'échelle canadienne. «Nous avons commencé depuis un an à nous ouvrir davantage sur notre marché canadien. Le partenariat avec Promutuel est un exemple de cela. Il y a actuellement des équipes qui font, dans le respect des structures, des contacts réguliers avec d'autres groupes coopératifs canadiens.» Après tout, rappelle-t-elle, Alphonse Desjardins entrevoyait déjà, de son temps, «une perspective de développement nord-américaine».
Des partenariats seraient en discussions ailleurs au pays, selon ce qu'indique celle qui sera en poste au moins jusqu'en 2012. «On cherche à savoir comment on peut créer de la valeur pour d'autres joueurs du coopératif canadien. On peut par exemple penser au domaine agroalimentaire.» Cette croissance, dit-elle, ne se ferait pas au détriment de la mission. «Nous avons la perspective du temps. Nous ne sommes pas jugés sur le cours du titre en Bourse au jour le jour.» Ce qui n'empêche pas de développer divers projets, notamment en étudiant les possibilités du côté européen.
À la tête d'une institution qui compte plus de 42 000 employés et 5,8 millions de membres, elle souhaite également organiser au Québec un forum réunissant les plus importants joueurs du mouvement coopératif dans le cadre de l'Année internationale des coopératives, en 2012. «Au-delà des concepts philosophiques, il serait intéressant de voir quelles sont leurs contributions à travers le monde dans la création de richesse et de prospérité», explique-t-elle.
Sans oublier le développement international de certaines activités, notamment à travers Développement international Desjardins, qui a pour objectif d'améliorer l'accès des communautés des pays en développement à des services financiers qui répondent à leurs besoins. On peut prendre en exemple le microcrédit, que Mme Leroux considère comme un «modèle intéressant» à développer davantage. Surtout que dans certains pays dits émergents, les conditions de financement ressemblent parfois aux situations quasi usuraires que dénonçait le fondateur Alphonse Desjardins à son époque.


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