Parole de rockeur

La nation québécoise vue du Québec



Après une semaine de volte-face et d'avis contradictoires au sujet de la «nation» québécoise, le rockeur Éric Lapointe a sans doute bien résumé l'opinion d'une grande partie de la population en déclarant: «Je me prononcerai quand ça voudra dire quelque chose.»
Il ne faudrait pas exagérer la portée de la victoire écrasante de l'abbé Raymond Gravel à l'élection partielle de lundi dernier dans Repentigny. Cette circonscription est une forteresse bloquiste et le taux de participation y a été relativement faible.
Même si elle n'était pas encore adoptée formellement au moment où les électeurs se sont présentés aux urnes, on aurait pourtant dû voir dans cette circonscription massivement francophone au moins une trace de l'effet de la motion que le premier ministre Stephen Harper a présentée la semaine dernière à la Chambre des communes.
Or le vote conservateur n'a enregistré aucune progression. À 18 %, il est resté exactement au même niveau. Ou bien la motion de M. Harper a laissé indifférents les électeurs de Repentigny, ou bien les griefs à l'endroit du gouvernement conservateur ont pesé plus lourd dans la balance. Sur le plan électoral, cela ressemble dangereusement à un coup d'épée dans l'eau.
Faut-il vraiment s'en surprendre? Depuis une semaine, M. Harper et ses ministres n'ont ménagé aucun effort pour en minimiser la portée réelle. Ils ne semblent même pas s'entendre sur les gens qui doivent être inclus dans la nation qu'on a reconnue avec tant de grandiloquence.
La valse-hésitation du ministre des Transports, Lawrence Cannon, était particulièrement pathétique. Dans un premier temps, M. Cannon n'y voyait clairement que la reconnaissance de la tribu des «pure-laine» débarqués en Nouvelle-France avec Champlain. Mardi, il est revenu à une définition plus inclusive, mais le mal était fait.
Hier à l'Assemblée nationale, Mario Dumont s'est félicité du «vote très clair de la Chambre des communes», mais comment un vote peut-il être clair si personne ne sait sur quoi il porte exactement?
Après 40 ans de débats constitutionnels, les Québécois savent très bien à quoi s'en tenir. Les déclarations des politiciens n'engagent qu'eux-mêmes et ils peuvent très bien changer d'idée si leur réélection en dépend.
Il n'y aura plus jamais de changement significatif à la Constitution sans l'accord de la population canadienne. En 1992, tous les gouvernements au pays appuyaient l'accord de Charlottetown, mais il avait été clairement rejeté par référendum.
Depuis, les trois provinces anglophones les plus importantes, l'Ontario, la Colombie-Britannique et l'Alberta, se sont imposé l'obligation juridique de tenir un référendum pour approuver toute réforme de la Constitution.
Le dernier sondage de Léger Marketing ne laisse pas le moindre doute sur ce qui adviendrait de la reconnaissance de la nation québécoise dans une telle éventualité. À l'extérieur du Québec, 77 % des Canadiens voteraient non.
À voir le Parti libéral du Canada traiter le concept de nation comme s'il s'agissait du bacille de la peste, il y a également lieu d'être sceptique. D'ailleurs, on peut s'interroger sérieusement sur le retrait arbitraire de la résolution controversée que l'aile québécoise du PLC, réunie en conseil général, avait adoptée le mois dernier.
On peut très bien comprendre que les libéraux aient voulu s'ôter cette épine du pied, mais à partir du moment où une assemblée adopte une proposition, celle-ci n'appartient plus à ceux qui l'ont présentée. Il est clair que MM. Bélanger et Hogg ont été soumis à d'intenses pressions de la direction du parti et de certains candidats, mais ce tripotage n'en demeure pas moins une violation des règles les plus élémentaires en vigueur dans un parti démocratique.
Le message est très clair. À l'exception de Michael Ignatieff, tous les aspirants à la succession de Paul Martin n'ont appuyé la motion Harper que du bout des lèvres ou l'ont carrément rejetée. Il n'y a certainement là ni honneur ni enthousiasme.
Pour couronner le tout, libéraux et péquistes se sont livrés au cours des deux derniers jours à une de ces parties de bras de fer parlementaire que la population associe la plupart du temps à de l'enfantillage.
Même si le Bloc québécois visait avant tout à embêter les libéraux aussi bien que les conservateurs en relançant le débat sur la reconnaissance de la nation québécoise, il y avait indéniablement une question de fond, malgré la confusion qui en a résulté. Certes, M. Harper a aussi voulu marquer des points au Québec, mais il a indéniablement fait preuve d'un certain courage politique dont il pourrait éventuellement payer le prix dans le reste du pays.
La chicane à l'Assemblée nationale était d'un tout autre ordre. Il ne s'agissait pas de statuer sur la nation. Une motion unanime en a déjà reconnu l'existence il y a trois ans. Cette fois-ci, on ne débattait que de la quantité de champagne qu'il convenait de déboucher pour célébrer la motion de la Chambre des communes. Alors que le premier ministre Jean Charest était prêt à faire couler le Dom Pérignon à flots, André Boisclair se serait contenté d'un verre de petit mousseux.
Il est vrai que le geste de M. Harper ne règle rien au fait que le Québec n'adhère pas à la Constitution de 1982 et que la reconnaissance de l'existence d'une nation québécoise au sein du Canada ne doit pas être interprétée comme une négation de son droit à l'autodétermination.
Cela étant, depuis une semaine, les Québécois ont eu amplement l'occasion de mesurer les limites du progrès que constitue la motion adoptée par les Communes. Dans les circonstances, M. Boisclair aurait eu avantage à se montrer bon prince. Il est vrai qu'au sein du PQ, certains doivent commencer à trouver qu'il l'est déjà un peu trop.
De toute manière, cette histoire risque d'être éclipsée dans l'opinion publique par le manque de jugement déplorable dont il a fait preuve en acceptant de jouer dans le sketch des Justiciers masqués parodiant Brokeback Mountain. Après s'être fait reprocher de ne pas assumer assez ouvertement son homosexualité, le chef du PLQ voulait peut-être faire de l'autodérision, mais il a sauté par-dessus le cheval.
mdavid@ledevoir.com


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