Le pédagogisme gâteux du Conseil de la souveraineté

Parlons de souveraineté à l’école


Le Conseil de la souveraineté nous avait déjà habitués aux mauvaises blagues. Il y a quelques années, en pleine crise de rectitude politique, il nous proposait un nouvel emblème pour le Québec, avec une fleur de lys multicolore, sensée représenter le pluralisme identitaire du Québec contemporain. Le Devoir nous annonçait dans son édition du 29 mars 2006 que le Conseil de la souveraineté, à sa manière, récidive dans la pédagogie souverainiste un peu primaire en publiant une sorte de manuel pour enseigner les vertus de l'indépendance de l'école primaire aux études supérieures. On y multiplie les mises en situation, les images suggestives et les problèmes pour apprendre au plus tôt à envisager, penser et calculer le Québec souverain. Et pour faire plaisir au ministère et ses cardinaux de la curie des sciences de l'éducation, on fera même de la souveraineté une compétence transversale, à transmettre dans toutes les disciplines, de manière multidimensionnelle. On y a même ajouté des exercices pédagogiques. Chouette !
L'honnête homme se contentera peut-être d'en rire en se demandant : « c'est sérieux, cette blague » ? Il aura même l'impression de relier à la souverainiste les délires de la belle époque, dénonçant « l'école au service de la classe dominante », et invitant les professeurs révolutionnaires à se recycler dans l'indispensable pédagogie prolétarienne. On s'en souvient : non plus 2 + 2 = 4, mais bien 2 vieux pneus + 2 vieux pneus = 4 vieux pneus. On fera désormais additionner les millions qu'Ottawa nous vole chaque semaine à la calculette solaire.
Ce dérapage ne devrait pas nous surprendre. En tant que telle, la perspective qui s'y trouve n'est pas nouvelle. Depuis un bon moment, les souverainistes aiment s'imaginer les lendemains qui chantent d'un Québec libre. Pendant longtemps, une faction minoritaire du mouvement faisait tout pour lier socialisme et indépendance, comme on disait à l'époque. Mais justement, il s'agissait d'une faction minoritaire. Depuis 1995, la donne a changé, et pour le pire. On dessine, comme on dit maintenant, les contours d'un Québec souverain, c'était l'expression de la Saison des idées. On se plait aussi à imaginer le Québec souverain, comme nous l'a suggéré le Bloc Québécois. Dans les deux cas, on bascule dans l'imaginaire, on fabule, on s'invente un pays rêvé, investi de tous les fantasmes sociaux disponibles. Il n'est pas interdit de penser que la présentation, dans ce manuel, d'un futur Québec souverain pacifiste, altermondialiste, écologiste, égalitaire et ce qu'on voudra relève de cette même perspective utopique qui veut nous faire rêver d'une société complètement neuve dont l'indépendance devrait nous faire la promesse.
Cette manière d'envisager l'éducation n'est pas détachable d'une certaine conception de la citoyenneté en vogue dans les milieux qui se croient évolués. On nous dira qu'un tel enseignement approfondira l'éducation civique que les autorités du ministère peinent à introduire dans le parcours scolaire québécois. Qu'il éveillera, comme c'était mentionné dans l'article, l'esprit critique des jeunes générations en les socialisant au contact d'une idée qui circule presque majoritairement dans la société. N'en croyons rien. Si l'école doit préparer à l'exercice de la citoyenneté, elle ne doit pas faire l'erreur de se prendre pour une société en miniature, faisant mimer les débats du monde adulte aux enfants.
La réflexion s'est vite imposée. Si les souverainistes veulent vraiment passer par l'école pour restaurer le sens national des Québécois, qu'ils enseignent simplement l'histoire, l'histoire du Québec, qui seule peut donner au lien civique et politique cette épaisseur symbolique sans laquelle il s'effrite si facilement et se laisse remplacer par un multiculturalisme officialisé qui prend les apparences d'un bazar identitaire. L'enseignement de l'histoire - et je précise, de l'histoire nationale, pas de cette histoire reconstruite par les savants idéologues du pluralisme obligatoire - introduit naturellement les nouvelles générations à la mémoire de la collectivité.
On pourrait généraliser le commentaire. S'ils désirent susciter le patriotisme nécessaire au ralliement nationaliste, que les souverainistes, simplement, cessent de discréditer et de refouler hors du débat public la conscience historique franco-québécoise qui alimentait en profondeur leur combat. Qu'ils cessent d'expliquer par de savantes démonstrations qui n'inspirent évidemment personne que leur option n'est plus un nationalisme, non plus qu'un patriotisme, mais simplement un progressisme évolué doublé d'un altermondialisme écologiste fait pour plaire aux cosmopolites post-modernes qui se multiplient dans l'élite francophone montréalaise. Mais cette vérité élémentaire, qui nous vient de loin et devrait facilement se rendre à nous n'est plus relayée par les pédagogues constructeurs de la citoyenneté pluraliste. Il n'est pas interdit de pousser un soupir de désespoir.
On peut bien fabriquer un petit pacifiste en lui demandant de transformer un obus en canne à pêche. On peut aussi calculer le nombre de jeux de dame dont se privent les écoles primaires québécoises parce que le gouvernement canadien a la mauvaise idée d'acheter des blindés vraiment blindés pour son armée. Et pourquoi pas promettre que l'armée québécoise, une fois l'indépendance faite, ne sera qu'une brigade de la paix, faite de soldats aux fusils fleuris, distribuant jujubes et chocolats aux enfants des pays belligérants. Pourquoi pas ? Ce n'est pourtant pas d'une pédagogie nouvelle et infantilisée dont les souverainistes ont besoin pour relancer leur option, mais d'une politique, d'une résolution exemplaire dans sa poursuite, et surtout, de se délivrer des mauvaises inhibitions idéologiques qui les empêchent de mobiliser la dimension profondément nationaliste de leur entreprise.
Cette propagande vulgaire n'a pas sa place dans une lutte nationale sérieuse, qui ne confond pas l'odeur de la guimauve avec celle du combat politique. Cette pédagogie infantilisante fait honte aux souverainistes sérieux qui travaillent à relancer leur option en mobilisant les arguments véritablement fondateurs du mouvement national. La fuite en avant dans le souverainisme pédagogique, dont ce petit manuel est le pire exemple en date, doit cesser au plus vite. L'indépendance est une affaire de grandes personnes. Et plutôt qu'entrer dans la caboche des mômes cette propagande gâteuse, les souverainistes aux commandes devraient s'entrer dans la leur qu'une société n'est pas une classe, non plus qu'une cour d'école, et qu'il faudra un peu plus de combativité et d'ardeur à la tâche qu'on nous en présente en ce moment pour enfin faire du Québec le pays qu'il doit être. Il n'est pas certain que la direction actuelle du mouvement soit à la hauteur de cette nécessité.
Mathieu Bock-Côté
_ Candidat à la maîtrise en sociologie, UQAM


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