Souveraineté et éducation

Pourquoi je me suis dissocié d'un projet inquiétant

Parlons de souveraineté à l’école


Le guide pédagogique Parlons de souveraineté à l'école soulève plusieurs questions. J'étais membre de la commission de l'éducation du Conseil de la souveraineté du Québec. J'étais convaincu que la construction d'un nouveau pays devait d'abord s'appuyer sur le développement d'un système éducatif qui assure à tous les jeunes une véritable égalité des chances d'acquérir une formation initiale forte et polyvalente. On ne peut pas construire un nouveau pays sans assurer, avant tout, le développement d'une citoyenneté créative.
La Commission a pris une autre voie. J'ai dû m'en dissocier, et voici pourquoi.
Comparaison boiteuse
On ne peut pas, comme le font les auteurs dans l'introduction de ce guide, établir un parallèle entre le but de «libérer la parole face à l'indépendance» et l'idée de libérer la parole face à l'homosexualité, à la pensée magique ou à la théorie de l'évolution. Cette comparaison est boiteuse car il s'agit, dans ces derniers cas, d'une reconnaissance de droits fondamentaux et donc de libérer la parole face à une discrimination dénoncée par les chartes des droits, voire d'un projet éducatif fondamental en ce qui a trait à l'apprentissage de la pensée critique.
Quant à l'indépendance, il s'agit d'une option politique face à une autre option tout aussi légitime, même si elle n'est pas celle à laquelle on souscrit.
Lorsqu'il s'agit de l'enseignement primaire et secondaire, l'expression «libérer la parole face à l'indépendance» est une expression fort ambiguë. À ce niveau d'enseignement, il y a bien sûr une nécessité éthique de s'opposer aux discriminations liées aux droits fondamentaux, de lever les silences à cet égard et d'aborder ouvertement ces questions. Il y a de même une nécessité pédagogique d'assurer une initiation à la pensée critique, y compris la méthode de pensée expérimentale, face à tout obscurantisme niant les apports scientifiques reconnus. Mais il en va autrement de l'objectif de promouvoir un choix politique qui fait l'objet d'un débat public.
Pour les jeunes en formation initiale, primaire et secondaire, l'important est d'apprendre à devenir des citoyens créateurs et actifs dans une société plurielle. Plus tard, une fois adultes, ces femmes et ces hommes voudront et pourront faire un choix sur le contexte politique dans lequel ils voudront vivre et agir politiquement en conséquence.
Les enfants, à leur âge, ont des choses encore plus importantes à exprimer et à débattre : le respect de leur identité, la défense contre les violences dont plusieurs d'entre eux sont les victimes, la découverte progressive du monde et de ses divers continents, l'inquiétude de vivre sur une planète où les guerres n'arrêtent pas, le plaisir et le besoin de rêver leur avenir, d'apprendre à devenir citoyens, le défi aussi de devenir de plus en plus curieux des différences, la soif d'apprendre à apprendre, bref, justement, comme on le dit dans le document, «cheminer sur le chemin de la connaissance, du raisonnement, de l'esprit critique».
Comparaison n'est pas raison
Ce n'est pas parce qu'ailleurs au Canada et même au Québec, on aurait utilisé l'école pour faire de la propagande pour une autre option politique, ce n'est pas parce que les «commanditaires» du Canada ont tenté, tout comme Coca-Cola, d'imposer leur oriflamme, qu'il faut tomber dans ce piège tragique de la propagande et de l'antipropagande car, alors, tout deviendrait permis à l'école. Tous les courants politiques et même toutes les idéologies en mal d'adhérents revendiqueraient alors leur droit d'intervenir dans l'école.
On doit être aussi vigilant à ce sujet qu'en ce qui a trait à la défense nécessaire d'enseignants qui, tout en exerçant correctement leur profession, seraient mis à la porte pour leur option personnelle, souverainiste ou autre. Bien sûr, «faire taire les enseignants sur l'indépendance» est inacceptable. Comme collectif, ils ont le droit de s'exprimer; comme citoyens, ils ont le droit de participer à la société civile et de nourrir le débat; mais dans les salles de cours, le problème n'est plus le même, il y a là une éthique professionnelle à respecter, peu importe les options.
Plus encore, il y a, pour nous, un objectif fondamental à amener les jeunes à exercer leur jugement, à pratiquer l'art du doute provisoire, à se faire, par eux-mêmes, une idée des différentes questions qui les confrontent dans leur vie quotidienne, à devenir des citoyens créatifs capables de débat dans une communauté de plus en plus plurielle.
Au niveau de l'enseignement postobligatoire, certes, la propagande, quelle qu'elle soit, demeure tout aussi inacceptable. Toutefois, le problème se pose différemment. Les étudiants sont devenus des adultes de plus en plus intéressés à la chose politique. On revendique d'ailleurs de plus en plus le droit de vote à 16 ans.
Qu'il y ait alors, dans les activités parascolaires, l'organisation sur une base volontaire de débats ouverts sur la souveraineté, bien sûr. Qu'on suggère aux professeurs, dans un enseignement où la liberté intellectuelle est garantie, du matériel optionnel de nature pédagogique pour illustrer le droit à l'autodétermination des peuples, pour voir comment la citoyenneté québécoise est en reconstruction, comment le Québec se situe dans la mondialisation et peut jouer un rôle spécifique dans l'altermondialisation, en histoire, en géographie, en philosophie, bien sûr, mais dans le respect de la liberté intellectuelle et de l'objectif d'un enseignement de qualité.
Auditoire captif
Le cahier pédagogique se donne aussi pour objectif d'«amener les étudiants à construire le lendemain de l'indépendance». Il pose comme objectif ultime que ces jeunes trouvent ces activités si intéressantes qu'ils feront avancer l'idée dans leur milieu.
S'il vous plaît, «amener les étudiants à construire demain», ce n'est certainement pas recourir à l'auditoire captif des élèves pour les convaincre et ensuite les inviter à passer le message aux autres. En outre, «amener les étudiants à construire le lendemain de l'indépendance» à travers les mathématiques, en comptant les dépenses de la représentante de la reine, est risible. Compter autrefois les anges ou aujourd'hui le salaire de la gouverneure générale, dessiner jadis l'oeil omniprésent de Dieu ou aujourd'hui les fleurs de lys, c'est du même acabit.
Ce projet est doublement inquiétant. Premièrement, il charrie une ambiguïté dangereuse sur la place des options politiques dans le cursus et l'enseignement des écoles primaires et secondaires eu égard à l'espace à faire, malgré les résistances de mouvements conservateurs, à l'enseignement des droits fondamentaux. Ce projet ouvre la porte à toutes sortes de débordements qui pourraient mettre en cause notre projet, dans ce Québec à construire, d'une école démocratique, dispositif fondamental non de reproduction sociale mais d'une plus grande égalité des chances (un chantier énorme !), et de l'apprentissage à participer dans une société plurielle.
Deuxièmement, «ce projet, écrivais-je déjà à l'automne 2005, par les foudres qu'il suscitera avec raison, risquera gravement de ternir le projet large de débat et d'esprit démocratique qui caractérise jusqu'à aujourd'hui le Conseil de la souveraineté du Québec».
Il faut arrêter cette opération non seulement ambiguë mais dangereuse.
Quelle position ?
La position d'un comité à la recherche d'un nouveau pays possible devrait être de revendiquer une école publique ouverte à tous, où les jeunes peuvent se développer comme «citoyens en devenir» dans un environnement où on pratique quotidiennement la démocratie, où l'éducation civique se fait dans un contenu pluriel et ouvert.
Le projet devrait consister à corriger la politique actuelle qui, à l'égard des populations immigrantes et par ses budgets insuffisants, ne répond pas à la demande croissante de cours de francisation.
La position consisterait à voir à ce qu'on remette en place une politique d'éducation des adultes non limitée à la formation scolaire et professionnelle, où l'éducation populaire abordant les enjeux de citoyenneté, d'environnement, de santé, etc., retrouverait sa place.
Le projet fondamental, pour la construction d'un pays et d'une nouvelle citoyenneté, est celui d'une école de qualité pour tous, une école soucieuse de créer une égalité des chances d'apprendre, une école axée sur le développement de la créativité avec nos différences et notre solidarité.
Hélas, on a préféré faire un court-circuit, aux dépens des conditions et des objectifs fondamentaux d'une formation citoyenne dans les premiers âges de la vie.
Paul Bélanger
_ Professeur associé au département de sociologie de l'Université du Québec à Montréal et ex-membre de la commission de l'éducation du Conseil de la souveraineté du Québec


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