Ottawa -- «Est-ce que c'est responsable d'avoir deux courses au leadership avec le même monde et une élection qui s'en vient? Non.» Ainsi Gilles Duceppe justifiait-il sa décision, en 2005, de ne pas se porter candidat à la chefferie péquiste.
Qu'a-t-il bien pu se produire, en deux courtes années, pour que celui qui dirige les troupes bloquistes dans un Parlement fédéral toujours aussi minoritaire et imprévisible décide que la poursuite de ses ambitions personnelles ne soit plus contraire à la vitalité du mouvement souverainiste?
D'abord, il y a certes les considérations personnelles. Il y a ce sentiment, pour M. Duceppe, que c'est maintenant ou jamais. On ne peut pas lever deux fois le nez sur l'occasion de diriger le Parti québécois et être encore, par la suite, considéré comme un prétendant sérieux. Il y a aussi l'âge. M. Duceppe aura 60 ans en juillet. La prochaine fois pourrait arriver bien tard pour lui.
Mais il y a plus, évidemment. Contrairement à 2005, où le Bloc flottait confortablement en tête des sondages, le sort du parti fédéral est désormais lié à celui du PQ. Et à l'heure actuelle, le grand frère de Québec «tire le Bloc vers le bas», comme l'illustrait un ex-député bloquiste cette semaine. Il en va désormais de la survie, non seulement du PQ, mais aussi du BQ. D'où la «sérénité» (ou résignation?) affichée cette fois par les collègues de M. Duceppe.
Tous les sondages publiés depuis six semaines pointent dans la même direction. Les intentions de vote pour le Bloc québécois sont en baisse. Et substantiellement. Le 1er mai, la maison CROP plaçait le parti fédéral à 28 % (plus ou moins 3 %), à peine deux points en avance sur les troupes de Stephen Harper. À la même date, la firme Decima le plaçait à 34 % (+/- 6,1 %). Quelques jours plus tôt, Ipsos Reid évaluait les appuis du Bloc à 31 % (+/- 6,4 %). Seul Strategic Counsel les évaluait encore à 39 % (+/- 6,3 %). À la mi-avril, le Bloc arrivait à égalité avec le Parti conservateur, avec seulement 34 % des intentions de vote (+/- 4,9 %). Tous ces chiffres placent le parti de Gilles Duceppe bien en deçà des appuis traditionnels, dont ses 42 % au dernier scrutin.
Advenant des élections fédérales, le Bloc québécois pourrait perdre beaucoup de plumes, en particulier dans les circonscriptions en périphérie des villes où l'ADQ a fait des percées le 26 mars dernier. D'ailleurs, le Parti conservateur a dans sa mire une quinzaine de circonscriptions qu'il pense prenables dans la province.
La thèse consistant à dire que Gilles Duceppe fuirait un navire en perdition ne trouve pas preneur aux yeux des députés bloquistes. Au contraire, ce serait les perpétuels tiraillements péquistes qui auraient fini pas déteindre sur lui. Et c'est ainsi que les députés bloquistes estiment, contrairement à 2005, que c'est un moindre mal que de perdre un chef efficace si c'est pour aller sauver le vaisseau amiral de la souveraineté. «Il y a unanimité pour dire que la décision appartient à Gilles Duceppe», résumait cette semaine Michel Guimond, le whip du parti. Il ne s'en est trouvé que deux hier, Réal Ménard Christiane Gagnon, pour se dire «déçu» et «triste» que son chef ait choisi de sauter en même temps que Pauline Marois.
La sortie de Louis Plamondon sur la nécessité de «botter le derrière» et l'attention que celle-ci a attirée sur le style autoritaire de Gilles Duceppe ont nui à sa campagne embryonnaire. Mercredi, M. Duceppe a réuni son équipe pour lui indiquer clairement qu'il n'avait toujours pas pris de décision. Sa réflexion était réelle et sincère, et il ne voulait pas que son équipe lance des signaux dans un sens ou dans l'autre qui lui nuiraient par la suite.
Dans les coulisses à Ottawa, plusieurs bloquistes reconnaissent que M. Plamondon n'a fait que dire tout haut ce que bien des militants pensent tout bas. «Il faudrait que l'aile parlementaire péquiste comprenne qu'elle n'est pas toute seule, explique un stratège bloquiste dans l'entourage du chef. Il y a les militants aussi et ils ne sont pas subordonnés aux élus. Au contraire, ces élus devraient être au service des militants. Et des commettants en général, bien sûr.»
Dans cette optique, peut-on penser que, dans le contexte d'une élection au suffrage universel, cette sortie a satisfait bien des militants qui se disent fâchés de voir les péquistes se déchirer continuellement sur la place publique?
Certes, reconnaissait ce stratège cette semaine, mais avant de se rendre au scrutin lui-même, il fallait lancer sa candidature. «C'est ce à quoi Louis [Plamondon] n'a pas pensé. C'est le très court terme qui est important en ce moment.» Et ce court terme, laisse entendre cette personne dans la haute direction bloquiste, a été hypothéqué par la sortie de M. Plamondon, «colorée» peut-être, mais condescendante aussi. «Le Bloc québécois est encore perçu comme le petit frère du PQ, et on n'aime pas ça quand le petit frère botte le derrière du grand.»
C'est que la position de M. Duceppe cette semaine était intenable. Ne sachant pas encore s'il ferait le saut sur la scène provinciale, il n'a pas voulu demander aux députés péquistes qui l'appuient de «sortir» publiquement, question de faire contrepoids aux commentaires négatifs des élus péquistes tels que Pascal Bérubé, Danielle Doyer ou encore Denis Trottier.
Il s'en trouve plusieurs au Parti québécois pour mettre en garde les militants contre l'arrivée de Gilles Duceppe, un ex-syndicaliste à la CSN. Duceppe a voulu immédiatement minimiser ces liens. «Écoutez, même Pierre Elliott Trudeau est passé par la CSN!», avait-il lancé à la blague mercredi.
Il n'en demeure pas moins que, sous sa gouverne, la coalition arc-en-ciel qu'était au départ le Bloc québécois a pris une tendance résolument de gauche. Graduellement, ses éléments les plus à droite ont quitté le navire. Ainsi, les Ghislain Lebel (candidat controversé à la dernière course à la chefferie péquiste) et Pierrette Venne, pour ne nommer que ceux-là, sont partis. Les deux avaient confié au Devoir en 2006 avoir voté conservateur aux élections!
Il reste certes quelques éléments plus traditionalistes, comme Gilles-A. Perron, Gérard Asselin ou encore Serge Cardin, mais ils restent discrets et ne sont pour ainsi dire jamais invités à prendre les devants de la scène au nom du parti. En 2000, par exemple, l'entourage de Gilles Duceppe avait été irrité que Le Devoir souligne qu'un quart de sa députation avait voté contre un projet de loi accordant aux conjoints de même sexe des privilèges égaux. De ces 10 récalcitrants, seulement trois (ceux nommés plus haut) sont encore en place. Le plus récent débat sur le mariage gai a laissé Louise Thibault sur le carreau, et celle-ci a finalement claqué la porte elle aussi.
Gilles Duceppe, fils du comédien Jean, est né et a grandi dans le quartier populaire montréalais d'Hochelaga-Maisonneuve. Exposé jeune aux idées les plus progressistes, il est toujours resté fidèle à ses idéaux de justice sociale et de redistribution de la richesse. Il se joint au milieu des années 1970 au Parti communiste ouvrier, ce qui l'amène à s'abstenir au référendum de 1980. Il rompt avec le PCO au début des années 80 et devient organisateur, puis négociateur syndical pour la CSN dans le secteur de l'hôtellerie. Il a été le premier député bloquiste élu, à la faveur d'une partielle, le 13 août 1990.
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