Commission d'enquête publique

Le mélange toxique de la politique et de la police

Enquête publique - Quels mandats?


Chaque nouvelle révélation de manquement à l'éthique dans le monde politique québécois réduit toujours un peu plus la marge de manœuvre du premier ministre Jean Charest. Notre chef de gouvernement se retrouve de plus en plus «peinturé dans le coin», incapable de repousser les forces irrésistibles qui alimentent de multiples façons les demandes de l'opposition et de la société pour la création d'une commission d'enquête publique.
Pour un temps, le premier ministre a cru qu'il pourrait stopper cet effet «boule de neige» avec la commission Bastarache, mais cette décision, mal avisée au départ, s'est rapidement retournée contre lui. Celle-ci n'a pas produit les effets de diversion escomptés. Au contraire, comme dans un jeu de vases communicants, il est rapidement devenu apparent qu'il était impossible de traiter de façon séparée la question de la nomination des juges de celle du financement des partis politiques. Incapable de contrer ce débordement, la commission Bastarache a plutôt joué le rôle de catalyseur et est venue renforcer, bien malgré elle, les demandes pour la création d'une commission d'enquête publique.
En politique, il arrive parfois que des événements, en apparence aléatoires et sans lien entre eux, comme le décès du parrain Rizzuto ou les allégations concernant le maire de Laval, puissent tout à coup s'enchaîner et s'imbriquer les uns dans les autres comme s'ils faisaient partie d'une même trame narrative plus ou moins cohérente. Telle une avalanche qui se prépare silencieusement, petit à petit, les événements s'accumulent jusqu'au moment d'atteindre un seuil fatidique où tout bascule soudainement.
Stratégie risquée
C'est exactement devant un tel point de bascule que se trouve présentement le premier ministre Charest. Devant les pressions toujours plus fortes pour la création d'une commission d'enquête publique, le gouvernement n'a qu'une seule réponse: attendre les résultats des enquêtes policières. Mais cette stratégie est risquée, non pas pour la popularité du gouvernement, mais pour l'intégrité de nos institutions démocratiques.
En voulant contenir la force des demandes pour la création d'une commission d'enquête, le gouvernement se trouve à transférer le poids des pressions populaires sur les épaules de l'institution policière. Or, il y a là un véritable danger de pressions politiques indues sur le travail de la police. Le danger ne vient pas vraiment d'une éventuelle intrusion politique directe dans le travail des policiers. Le gouvernement a suffisamment de problèmes sans qu'il ait à s'en créer lui-même de nouveaux.
Le danger tient davantage à l'ambition de certains bureaucrates ou officiers, pressés de plaire aux autorités politiques dans l'espoir d'un éventuel retour d'ascenseur permettant un avancement accéléré de carrière. Dans un cas comme dans l'autre, il y a un véritable risque d'enquêtes bâclées et de non-respect des règles dans le but de produire rapidement des résultats pour calmer l'opinion publique et ainsi valider la position du gouvernement. Bref, la politique et la police doivent toujours être gardées séparées dans toute démocratie digne de ce nom.
La responsabilité de l'opposition
Dans toute cette affaire, l'opposition a aussi sa part de responsabilité. Elle doit prendre conscience que faire monter les pressions pour la création d'une commission d'enquête place les policiers dans une situation politiquement délicate. Pour éviter tout dérapage, il faut dès maintenant proposer au gouvernement des scénarios crédibles quant à la tenue d'une commission, à son mandat et à son mode de fonctionnement. Autrement dit, il faut rendre cette option acceptable au gouvernement, ce qui implique compromis et négociations. Cet exercice ne doit pas donner l'impression qu'il vise à détruire le Parti libéral ou à délégitimer l'option fédéraliste dont il est le porteur.
Or, réclamer une commission d'enquête pour étudier les «liens» entre l'industrie de la construction et le financement des partis politiques ne constitue pas une preuve de responsabilité. Des liens, on en retrouve partout et à propos de n'importe quoi. Le véritable défi est d'établir une causalité dans l'existence de ces liens. Il est facile de dire que tel maire a fait rénover sa maison par le même entrepreneur à qui sa ville a octroyé un contrat. Mais montrer que l'octroi du contrat est la cause de la rénovation de la maison est une affaire beaucoup plus complexe.
Tant et aussi longtemps que les demandes pour une commission d'enquête seront formulées en termes de «liens» entre ceci et cela, le gouvernement continuera de se braquer, risquant ainsi de déplacer les pressions politiques sur les épaules des policiers. Pour ceux qui réclament une commission d'enquête publique, le temps est venu de tailler leurs crayons et de se mettre au travail plus sérieusement.
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Denis Saint-Martin - Professeur titulaire au Département de science politique de l'Université de Montréal


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