Crise politique

Pour une vérification spéciale

Sheila Fraser serait une candidate de choix

Enquête publique - Quels mandats?


Yves Boisvert et Rémy Trudel - Les auteurs sont respectivement professeur titulaire d'éthique et de gouvernance et professeur associé à l'École nationale d'administration publique

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Le gouvernement ne reculera pas sur l'idée de tenir une commission d'enquête, car le premier ministre Jean Charest aurait l'impression de perdre la face. Pourtant, une telle démarche est absolument nécessaire pour protéger nos institutions publiques, dont la crise actuelle menace la crédibilité et la légitimité.
Pour redonner confiance aux citoyens du Québec, l'inertie gouvernementale actuelle n'est plus une avenue. Il faut donc soumettre une nouvelle proposition qui nous permettrait de bien comprendre les dysfonctionnements politiques et administratifs qui ont permis le développement d'un système de déviance.
Afin de dénouer l'impasse et de mettre un terme au désolant spectacle public auquel nous assistons, nous proposons la mise en place d'une vérification spéciale avec un mandat simple, adéquat et non limitatif.

- Mission principale: vérifier la légalité et l'intégrité des marchés publics québécois.
- Éléments d'enquête: enquêter sur les facteurs de risque qui influencent négativement l'attribution des contrats publics: financement politique, collusion, corruption, conflits d'intérêts.
- Marchés publics devant faire l'objet d'enquête: ceux des ministères, municipalités, organismes publics et sociétés d'État.
- Types de marchés à privilégier: construction, ingénierie, services professionnels d'avocats ou de comptables, services ou produits informatiques, services-conseils.

Pouvoirs légaux
Pour être pertinente, cette vérification spéciale ne devra pas se limiter au volet administratif; on devra permettre le débordement du côté de l'analyse des conduites des acteurs et institutions politiques (notamment les partis). On devra également permettre au vérificateur spécial d'avoir les mêmes pouvoirs légaux que les commissaires faisant enquête, notamment le droit d'obliger toutes les personnes possédant des informations de témoigner devant lui sous peine d'outrage. On lui accorderait le budget nécessaire pour que ce dernier puisse s'adjoindre une équipe de collaborateurs expérimentés et spécialisés dans ce type de travail.
Le vérificateur spécial n'aurait pas de pouvoir de poursuite, mais il aurait, comme cela se fait régulièrement dans les démarches faites par nos vérificateurs généraux, la possibilité de transférer à la Sûreté du Québec tous les dossiers et les informations concernant des actions contrevenantes au Code criminel. Son travail serait complémentaire à celui entrepris par l'escouade spéciale de l'Opération Marteau.
Stratégies
À la différence d'une commission d'enquête, la vérification et les interrogatoires se feraient loin de l'espace médiatique. Le vérificateur et son équipe feraient, comme dans tous les mandats de vérification, un travail discret, mais très rigoureux. L'important ne serait pas de dévoiler publiquement tous les détails et les noms des acteurs qui se retrouvent en situation d'irrégularité, mais plutôt de comprendre le fonctionnement des divers systèmes de déviance qui ont gangréné nos marchés publics au cours des dernières afin de faire des recommandations pragmatiques afin de corriger les dysfonctionnements structurels et de proposer des stratégies de socialisation et de sensibilisation permettant de revoir la culture politique et administrative.
La démarche sera certes moins spectaculaire, et c'est tant mieux à ce stade-ci, mais les résultats devraient être tout aussi probants, voire même plus précis.
Le choix du vérificateur sera important, on devra nécessairement confier ce mandat à une personne neutre, indépendante, intègre et expérimentée qui pourrait faire l'unanimité au sein de la population québécoise. Ce type de candidat peut être difficile à trouver, mais ce n'est pas impossible. La très respectée Sheila Fraser serait à ce niveau une candidate de choix. Cette grande Québécoise (elle est née au Québec, elle a étudié à McGill et commencé sa carrière dans un bureau de la ville de Québec) qui a fait sa marque comme vérificatrice générale du Canada prend justement sa retraite de ce poste sous peu. Nous croyons qu'il s'agit là d'une conjoncture idéale pour lui demander de venir faire une contribution sociale significative pour la société québécoise.
Compromis
La mise en place de ce dispositif de vérification nécessitera un vote à l'Assemblée nationale afin d'adopter un projet de loi spécial. Il serait donc préférable que le gouvernement consulte l'opposition en amont afin de s'assurer qu'une telle démarche pourra recevoir l'appui unanime du Parlement. Il est nécessaire que le vérificateur spécial ait le sentiment qu'il a un soutien fort des parlementaires et qu'il aura leur pleine collaboration. Avec la collaboration de l'opposition, le gouvernement pourrait agir très rapidement en passant par la procédure dite du 1, 2, 3.
Nous sommes conscients que cette proposition peut avoir certaines limites, mais elle représente une solution de compromis, dont le seul objectif est de protéger nos institutions publiques et de permettre de mettre fin à des conduites illégales, immorales et inadéquates.


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