Une super commission?

Une commission d'enquête sur la mafia sans coupable et sans sentence? Délire!




Le thème de la commission d'enquête revient encore comme remède à tous les maux qui affligent notre démocratie.

Depuis la Confédération, il y a eu plusieurs centaines de ces commissions. Selon la Loi du Québec, «lorsque le gouvernement juge à propos de faire faire une enquête sur quelque objet qui a trait au bon gouvernement du Québec, sur la gestion de quelque partie des affaires publiques, sur l'administration de la justice ou sur quelque matière importante se rattachant à la santé publique ou au bien-être de la population...».
Toutefois, ces commissions ne sont pas des institutions permanentes et essentielles à notre régime constitutionnel, elles «complètent les organes essentiels de l'État» (Commission de la réforme du droit, 1977).
La commission d'enquête s'insère dans un tissu institutionnel qui comprend d'autres organismes d'enquête plus spécialisés par domaine ou par type de problème: enquêtes parlementaires, enquêtes policières, Vérificateur général, DGE, commission municipale. À cela, on peut ajouter les interventions du Protecteur du citoyen et des nombreux autres commissaires aux plaintes. La création d'une commission d'enquête publique ne devrait pas se substituer à ces institutions au seul motif qu'elles sont moins médiatisées, qu'elles seraient moins efficaces.
Lorsque la demande d'une commission survient à la suite d'un scandale ou d'une situation qui indigne la population ou l'opposition, il faut se demander si l'enquête vise surtout à faire appliquer le Code criminel ou d'autres lois et rechercher des condamnations, ou si elle s'attaque à un système de corruption complexe.
La dimension systémique rend plus appropriée l'enquête publique que l'enquête policière: commission Salvas, CECO, commission Cliche. Ce n'est pas le cas lorsque certaines commissions ont à se pencher sur des faits très particuliers ou spécifiques, comme les commissions Keable, McDonald, Oliphant, Bastarache. Dans ce dernier cas, il y avait déjà une poursuite judiciaire pendante basée sur les mêmes faits; d'autre part, le système de nomination des juges au Québec était loin d'être considéré comme scandaleux.
Les commissions d'enquête ne sont pas une panacée. Il faut être conscient des écueils qui les guettent, et des effets pervers qu'elles peuvent produire.
Le premier écueil est celui de la surmédiatisation, la commission devenant un spectacle suscitant des performances de la part de ses principaux participants. Le plus bel exemple est la commission Gomery. En plus des coûts astronomiques pour l'État, cette commission a eu des retombées assez limitées. La GRC avait déjà tout ce qu'il fallait pour mener à terme les poursuites pénales. Les principaux protagonistes du programme de commandites, M. Chrétien, M. Pelletier et autres, s'en sont par ailleurs assez bien tirés.
Parmi les effets pervers, il se peut que les conséquences politiques de la publicité donnée soient démesurées. Au lendemain de la commission Gomery, le Parti libéral du Canada en a payé le gros prix; des candidats qui auraient mérité d'être réélus ont mordu la poussière. Certaines conséquences peuvent être imprévisibles; ainsi, à la suite de la commission Salvas, on aurait pu croire à la disparition de l'Union nationale, qui pourtant a été réélue en juin 1966; et les poursuites pénales se sont envolées en fumée...
Dans le cas de la construction, il s'agit de l'adjudication et de la réalisation des grands marchés de travaux publics où se soulèvent diverses questions interreliées et difficiles à élucider, tels les contrats sans appel d'offres, la mécanique même du système des appels d'offres, la collusion entre les entrepreneurs, les conflits d'intérêts et l'éthique, le lien entre entrepreneurs et caisses électorales, le lien entre certaines entreprises et le crime organisé, le rôle des syndicats de la construction, le fait que la problématique soit susceptible de se poser de la même façon dans le domaine municipal comme au niveau gouvernemental ou paragouvernemental (Hydro, SAQ).
On est en présence d'une question grave qui a une dimension systémique. La création d'une commission d'enquête publique dont le mandat serait bien ciblé pourrait bénéficier des travaux ou apports des autres institutions parallèles (police, Commission municipale, DGE, Vérificateur général). Cette commission pourrait être davantage un holding, une supercommission qui confierait des mandats aux autres institutions, coordonnerait l'ensemble du travail, le compléterait au besoin en tenant des audiences publiques, en faisant faire des recherches et proposerait des réformes.
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Patrice Garant
L'auteur est professeur émérite de droit public à l'Université Laval.


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