Tous conviendront que l’Assemblée nationale du Québec ne peut modifier unilatéralement seule le Droit international ni le Droit constitutionnel canadien. Mais plusieurs conviendront aussi qu’il n’est pas opportun pour le Fédéral de contester la validité de la Loi 99. À cet égard, la Motion présentée le 23 octobre à l’Assemblée est une noble protestation, qui apporte par ailleurs une certaine clarification au débat.
Les règles du Droit international en matière de sécession sont bien connues. Le droit à l’indépendance existe en faveur des peuples opprimés ou soumis à un régime colonial ; ce serait aussi le cas où un groupe défini se voit refuser un accès réel au gouvernement pour assurer son développement politique, économique, social et culturel. Mais cela n’exclut pas la possibilité ou la faculté pour un peuple, une nation ou une collectivité d’aspirer à former un État indépendant pourvu que le processus soit démocratique. Ce nouvel État auto proclamé n’entre cependant dans la communauté internationale que s’il est reconnu par d’autres États ; cette reconnaissance est capitale pour donner la personnalité internationale au nouvel État.
La Loi québécoise de 1999 respecte-t-elle le Droit international ? La Loi commence par proclamer que « Le peuple québécois peut, en fait et en droit, disposer de lui-même. Il est titulaire des droits universellement reconnus en vertu du principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d'eux-mêmes. […] Le peuple québécois a le droit inaliénable de choisir librement le régime politique et le statut juridique du Québec. […] Le peuple québécois détermine seul, par l'entremise des institutions politiques qui lui appartiennent en propre, les modalités de l'exercice de son droit de choisir le régime politique et le statut juridique du Québec […]Toute condition ou modalité d'exercice de ce droit, notamment la consultation du peuple québécois par un référendum, n'a d'effet que si elle est déterminée suivant le premier alinéa ». Compte tenu du Droit international, il serait excessif de considérer que l’Assemblée nationale crée en faveur du peuple québécois un « droit » qui serait automatiquement opposable à tout autre État et à la communauté internationale. Il s’agit plutôt d’une faculté et non pas d’un droit absolu, qui au surplus serait inaliénable. Le peuple québécois peut déterminer seul son régime politique et son statut juridique, mais cette auto détermination n’a une valeur juridique absolue qu’en droit interne québécois.
La Loi 1999 respecte-t-elle le Droit constitutionnel canadien ? Et a-t-elle à le respecter ? La Cour suprême a évidemment dit oui dans son Renvoi de 1998. De son côté, la Cour internationale de justice a insisté, dans son Avis sur le Kosovo du 22 juillet 2010, sur l’importance du cadre constitutionnel à respecter en cas de sécession. Le Droit constitutionnel en l’espèce c’est le Renvoi de la Cour suprême qui l’énonce et non la Loi fédérale sur la clarté. Or la Cour suprême a posé plusieurs principes ou règles. La sécession d’une province est possible dans le cadre constitutionnel canadien, mais elle exige une modification de la Constitution. Une Province a l’autorité constitutionnelle de déclencher une consultation référendaire et de formuler elle-même la question. Ainsi par sa Motion, l'Assemblée nationale a raison de réaffirmer qu’elle seule « a le pouvoir et la capacité de fixer les conditions et modalités entourant la tenue d'un référendum conformément à la loi sur les consultations populaires, y compris le libellé de la question référendaire ». Cependant, le Droit constitutionnel exige que la question soit claire. Et la réponse donnée par l’électorat doit aussi être claire, sans ambiguïté. Si l’électorat opte pour l’indépendance, le Fédéral et les autres Provinces ont l’obligation constitutionnelle d’engager une négociation avec la province sécessionniste. Cette négociation doit être « régie par les mêmes principes constitutionnels que ceux qui ont donné naissance à l’obligation de négocier : le fédéralisme, la démocratie, le constitutionnalisme et la primauté du droit, et la protection des minorités » ( Renvoi, par. 90). En apparence, certains termes de la Loi 99 pourraient être difficilement compatibles avec les principes et règles du Droit constitutionnel canadien, par exemple l’expression « détermine seul ».
Loi fédérale sur la clarté n‘est pas une loi de niveau constitutionnel ; elle concerne les conditions que pose le Fédéral à la négociation qu’impose la Cour suprême après le référendum. On peut se demander si cette Loi est valide, dans la mesure où elle parait s’immiscer dans le champ de la compétence provinciale, et dans la mesure où elle ajoute à la négociation des conditions non prévues par la Cour suprême.
Il y a enfin cette pomme de discorde qu’est l’art. 4 de la Loi québécoise, soit le 50 % plus un vote. Le Droit international ne prescrit aucune norme à ce sujet. Suivant la pratique, la norme du 50 % a été habituellement acceptée, à la suite d’ententes entre les parties, mais il y eut des exceptions, dont celle du Monténégro. Notons que dans la grande majorité des cas l’accès à l’indépendance les majorités ont oscillé entre 75 à 99 %. Le plus récent cas est celui du Sud-Soudan ; après discussion, la norme de 50 % a été retenue, et le oui l’a remporté à 99 % !
La Cour Suprême du Canada n’a parlé que de « majorité claire », tout en mentionnant qu’en matière constitutionnelle, il faut ordinairement plus qu’une « simple majorité ». La Cour a suggéré une évaluation « qualitative » du résultat. Selon elle, les conséquences d’une sécession d’une Fédération peuvent être considérables et amener la disparition de celle-ci. Quant à la Loi fédérale sur la clarté, elle énonce qu’une majorité claire tient compte de « l’importance de la majorité des voix validement exprimées en faveur de la proposition de sécession, du pourcentage des électeurs admissibles ayant voté au référendum, de tous autres facteurs ou circonstances pertinents ».
Il existe un cas récent où une majorité de 55 %, avec participation de 50 %, a été retenue. Il s'agit de la décision unanime du Parlement du Monténégro prise le 3 mars 2006 à la suggestion de l'Union européenne et de la France, à la suite d'un important Avis de la Commission de Venise du Conseil de l’Europe, de décembre 2005. Cette Fédération créée en 2002 sur les ruines de l'ex-Yougoslavie n'a jamais bien fonctionné et il était entendu qu'au bout de trois ans cette union serait remise en cause. Il s'agissait d'une Fédération assez spéciale plutôt voisine d'une confédération d'États semi-indépendants, avec la région du Kosovo sous mandat de l'ONU. Malgré cela, on a considéré que le 50 % n’était pas suffisant. Les raisons développées dans l’Avis de la Commission de Venise sont applicables à toute sécession, même dans le cas de fédérations stables. Les Québécois devraient les méditer.
L’Assemblée nationale peut validement adopter pour elle-même le 50 %, mais elle ne peut l’imposer ni aux divers gouvernements du Canada, ni aux États étrangers appelés à reconnaître le nouvel État. Il y a sur la planète une vingtaine d’États qui ont auto proclamé leur indépendance, souvent à la suite de référendums gagnés haut la main, mais la reconnaissance internationale n’a pas suivi. Mentionnons les cas de la Transnystrie, qui à la suite d’un premier référendum en 1991 se sépare de la Moldavie. Lors d’un second référendum en 2006, le oui l'a emporté à 97,1 % des suffrages, avec un taux de participation à 77,63 %. Or outre la Moldavie, l'Union européenne, l'OCDE, les États-Unis, l'Ukraine, l'Azerbaïdjan et d'autres pays ont fait savoir qu'ils ne reconnaîtraient pas le résultat de cette consultation populaire ; seuls l’ont reconnu l’Ossétie du Sud , l’Abkhazie et le Nagorno-Karabakh. Dans un autre cas, au Nagorno-Karabakh , 98,6 % de la population ont approuvé par référendum en déc. 2006 la promulgation de l’indépendance et d’une nouvelle Constitution , mais seules la Transnystrie, l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie l’ont reconnu. Donc même à 97 ou 98 % une reconnaissance internationale significative n’est pas assurée !
Nouvel éclairage sur la clarté référendaire
Avec un éclairage comme celui-là, autant aller se recoucher
Patrice Garant17 articles
L'auteur est professeur émérite à la faculté de droit de l'Université Laval.
L'auteur est historien amateur.
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