Le problème n'est pas tellement qu'il y a eu de la casse et des infractions au Code criminel, mais le fait que bon nombre d'étudiants, voire les associations elles-mêmes, ont cru que ce droit de manifester «pacifiquement» les autorisait à envahir l'espace public, y compris les établissements publics, à y régner en roi et maître de manière à empêcher toute autre personne d'y avoir accès et à exercer leurs droits.
La Loi 78 adoptée hier, comme la plupart des lois spéciales, ne serait pas nécessaire en temps normal, si la situation ne s'était pas envenimée par un exercice abusif du droit de manifestation que les chartes protègent pourvu qu'il soit «pacifique». Le problème n'est pas tellement qu'il y a eu de la casse et des infractions au Code criminel, mais le fait que bon nombre d'étudiants, voire les associations elles-mêmes, ont cru que ce droit de manifester «pacifiquement» les autorisait à envahir l'espace public, y compris les établissements publics, à y régner en roi et maître de manière à empêcher toute autre personne d'y avoir accès et à exercer leurs droits. On a prétendu qu'un vote de grève pris démocratiquement à main levée dans une association autorisait le blocus des établissements publics, l'envahissement des voies publiques sans égard aux droits des autres citoyens d'y circuler, d'avoir accès aux lieux ou ils ont affaire, etc.
Les articles 13 à 16 de la Loi, s'inspirant du terme «pacifique» qui qualifie le droit constitutionnel d'expression et de manifestation, interdisent le blocus des établissements. L'exercice d'un droit constitutionnel étant limité par celui des droits d'autrui, la Loi interdit aux personnes et aux associations «d'entraver le droit d'un étudiant de recevoir l'enseignement dispensé... de faire obstacle ou de nuire à la reprise et au maintien des services... ni de contribuer directement ou indirectement à ralentir, altérer ou retarder la reprise ou le maintien des services». Ces dispositions sont déjà implicitement contenues dans la notion de service public et dans l'ensemble de nos lois. Ce qui est nouveau, c'est l'obligation faite aux associations de salariés et d'étudiants de prendre des mesures appropriées pour amener leurs membres à ne pas contrevenir aux dispositions précédentes; c'est certes le caractère exceptionnel de la situation présente qui semble justifier cette disposition qui ne sera pas facile à sanctionner.
La Section 3 de la Loi prévoit des dispositions visant à préserver la paix, l'ordre et la sécurité. La sévérité de ces dispositions ne peut se justifier que par les trois mois de perturbation vécus pendant la crise et du caractère temporaire de ces dispositions. Néanmoins, la Charte n'interdit nullement une règlementation de l'exercice du droit de manifestation pacifique et notamment la facilitation du travail des forces de police. De telles dispositions devraient cependant être réétudiées et remaniées si elles devraient devenir permanentes.
Enfin les Sections 4 et 5 relatives aux mesures administratives, civiles et pénales sont certes d'une grande rigueur et ne peuvent être justifiées que par les circonstances exceptionnelles. On pourrait invoquer contre elles la théorie constitutionnelle de «l'effet paralysant» (chilling effect) selon laquelle des personnes craindraient d'exercer leur droit constitutionnel par crainte de poursuites.
J'ai de la difficulté à me convaincre que l'ensemble de ces dispositions, compte tenu des circonstances exceptionnelles et de leur caractère temporaire, constituent des limitations déraisonnables au droit de manifestation «pacifique» de même qu'à la liberté d'expression consacrés par nos chartes.
Patrice Garant
L'auteur est professeur émérite de droit public à l'Université Laval.
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