Absence du Canada au Conseil de sécurité

La revanche de Lester B. Pearson?

Canada - ONU

Quelle leçon peut-on tirer de l'échec du Canada dans sa tentative d'obtenir un siège au Conseil de sécurité des Nations unies? Cette défaite ne reflète pas un déclin du prestige du Canada ni une érosion de son pouvoir en tant que puissance moyenne dans la politique mondiale. La réponse se trouve ailleurs: dans la mise à l'écart des diplomates professionnels du ministère des Affaires étrangères dans la conduite de la politique internationale du Canada.
On le sait: les conservateurs se méfient des fonctionnaires et surtout ceux des Affaires étrangères, qu'ils soupçonnent de sympathies libérales et à qui ils reprochent un certain relativisme moral à propos des grands conflits qui divisent la planète.
Dès leur arrivée au pouvoir, les conservateurs ont voulu politiser la politique étrangère et se distancer du centre en se rapprochant des extrémismes de George W. Bush aux États-Unis et de Benjamin Nétanyahou en Israël. Pour ce faire, ils ont concentré la conduite des affaires étrangères au cabinet du premier ministre et ont de plus en plus écarté des processus décisionnels les avis et les conseils formulés par les diplomates de carrière.
Liens de confiance
Or, la diplomatie internationale, et certainement celle qui se joue dans les corridors de l'ONU, est d'abord et avant tout l'affaire de bureaucrates. Ce sont eux, étant donné leur permanence et leur expérience, qui tissent, au fil des rencontres avec leurs homologues, les liens de confiance entre pays. C'est la régularité de leurs contacts, de même que leur savoir-faire et leur réputation qui amènent les pays à négocier leurs différends et à travailler dans des directions communes.
La diplomatie est largement une affaire de patience, de prévisibilité et de routine bureaucratique. Ce n'est pas le lieu de la politique partisane. Les politiciens passent, mais les diplomates restent. Ce ne sont pas les Dimitri Soudas de ce monde qui disposent de l'expertise servant à lubrifier les rouages des grandes organisations internationales. C'est cela qu'a appris à ses dépens le gouvernement Harper. Son approche hyperpartisane de la politique internationale lui a fait perdre une place à la table où se décident les affaires de la gouvernance mondiale. Paradoxalement, cette défaite est en quelque sorte la revanche de Lester B. Pearson, ou du moins des employés qui travaillent dans l'édifice qui porte son nom et qui abrite le ministère des Affaires étrangères.
Des valeurs institutionnelles
Les conservateurs voient dans la diplomatie canadienne une approche «libérale» au sens partisan et idéologique du terme. Ils n'ont pas compris que si, depuis les années 1960, les valeurs du Parti libéral convergent effectivement avec l'approche traditionnelle d'intermédiaire impartial (honest broker) du Canada sur la scène mondiale, ce n'est pas parce que les valeurs libérales ont «infiltré» le ministère des Affaires étrangères. C'est plutôt l'inverse qui s'est passé, le Parti libéral ayant fait siennes les valeurs promues par les fonctionnaires de la diplomatie canadienne. Ce sont d'abord et avant tout des valeurs institutionnelles et non celles d'un parti politique en particulier.
La preuve en est que le Bloc québécois — qui ne brûle certainement pas d'amitié pour les libéraux — est pourtant l'un des plus ardents défenseurs des symboles et des valeurs qui ont traditionnellement caractérisé la politique étrangère du Canada. En fait, s'il y a un domaine de politique publique fédérale qui rallie encore une forte majorité de Québécois, c'est bien celui de la politique étrangère du Canada. La diplomatie canadienne est l'une des rares institutions encore capables de rallier les deux communautés historiques et fondatrices du Canada.
La politique étrangère est toujours le reflet de l'image qu'une société veut projeter d'elle-même dans le monde. Les années Pearson ont été fortes à la fois sur le plan interne pour son ouverture aux revendications du Québec et sur le plan externe pour le déploiement d'une approche dite «internationaliste» fondée sur le multilatéralisme, le respect de la règle de droit et le maintien d'une solidarité transatlantique.
Cette approche est peut-être devenue un mythe au fil du temps, mais elle forme néanmoins «l'ADN» de la diplomatie canadienne. C'est à partir d'elle que le reste du monde perçoit le Canada. Si les conservateurs de Harper ont été incapables d'obtenir un siège au Conseil de sécurité, c'est parce que le monde n'a pas reconnu le Canada dans le néoconservatisme que son gouvernement pratique en politique internationale.


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