Absence du Canada au Conseil de sécurité

Brusque changement d'image à l'ONU

Canada - ONU



On serait porté à croire que le Canada peut de bon droit réclamer une place au Conseil de sécurité des Nations unies. Après tout, il s'agit d'un grand pays industrialisé, le septième contributeur en importance de l'ONU, membre du Groupe des 8, fondateur du Groupe des 20, ami des grandes puissances et partie à pratiquement tous les groupes et traités d'importance, dont l'OTAN.
Sa signature internationale est importante et magnifiée à l'ONU par le rôle de premier plan qu'il a joué dans le développement du maintien de la paix, répondant ainsi parfaitement aux conditions attendues d'un candidat à l'élection au Conseil: être en l'état de faire une contribution à la paix et à la sécurité internationales.
Pendant des décennies, le Canada a mené une politique étrangère indépendante; nonobstant son incontournable proximité culturelle, économique et stratégique avec les États-Unis, il n'hésitait pas à se mettre d'accord sur les désaccords. Intermédiaire pour certains, modérateur pour d'autres, notre pays a su pendant des années se tenir loin des extrêmes grâce à une diplomatie active et un réseau complexe d'ambassades et de représentations internationales. Trois qualités qui lui ont valu d'être élu par ses pairs au Conseil de sécurité toutes les décennies depuis 1948 et dès le premier tour en 1998 avec 131 voix, excédant la majorité requise des deux tiers des membres de l'Assemblée générale.
Place respectable
Et ce n'était pas pour rien. On attendait du Canada qu'il dynamise le Conseil, dont la vraie couleur est donnée par les membres élus pour un mandat de deux ans. Grâce à ses ressources, sa diplomatie et sa créativité, le Canada a toujours su se tailler une place plus que respectable à la table du Conseil et à y jouer franc jeu avec les grands. Notre dernière présence au Conseil (1999-2000) a été marquée par des percées significatives dans la transparence du Conseil, le renforcement des capacités de l'ONU dans le maintien de la paix, l'efficacité des comités de sanctions et l'adoption de résolutions du Conseil sur les femmes et les enfants dans les conflits, conformes à nos objectifs de sécurité humaine. Le Canada avait un programme, s'inscrivait dans la durée et le dialogue.
Nous savions encore à ce moment mener une charge victorieuse dans des dossiers aussi délicats que l'action contre les mines, le Tribunal pénal international et maintenir une aide généreuse, notamment pour la Palestine, sans verser dans des positions tranchées. Il est sûr qu'il y a une place pour un tel pays au Conseil de sécurité, car il a une influence réelle à la table et force les cinq membres permanents, dont nos amis américains, britanniques et français, à plus de transparence, de créativité et d'action pour le maintien de la paix et de la sécurité internationales.
C'est la première responsabilité du Conseil de sécurité et c'est de ça qu'il s'agit lorsqu'on brigue un siège au Conseil. Cette dimension est encore plus importante pour les membres élus, dont on s'attend à ce qu'ils contrebalancent le pouvoir des cinq permanents et fassent avancer les dossiers d'intérêt pour l'ensemble des pays, car même si les cinq permanents font aussi partie de l'Assemblée générale, ils peuvent s'en garder par l'usage actif ou passif du veto et écarter certaines questions de la table.
Lente dérive
Devant la déconvenue du 12 octobre, on peut se demander si notre diplomatie a suivi. Les Affaires étrangères ont une influence en nette diminution, les ressources du ministère ont été radicalement réduites et le Bureau du Conseil privé (ministère du premier ministre) est peuplé d'une myriade de conseillers et d'analystes agissant indépendamment de notre diplomatie, souvent sur la base «d'informations amies» plutôt que celles de ses propres envoyés.
Cela fait partie de la lente dérive de la politique étrangère du Canada, bien amorcée sous les libéraux, mais accélérée avec les conservateurs. Une dérive marquée par notre renoncement à l'environnement, notre alignement sans nuance sur les États-Unis et Israël sur la question de la Palestine, notre réduction de l'aide en Afrique et au Moyen-Orient et notre engagement militaire en Afghanistan, où nous qualifions d'«opération de paix» un conflit armé, qui d'offensive en offensive s'enlise et pourrit. Ces signaux ne sont pas conformes à l'image historique du Canada. Notre image, constatons-le, a changé. Voilà sans doute pourquoi la campagne canadienne pour un siège au Conseil de sécurité a été qualifiée de «confidentielle» et que notre programme semble se limiter à «être prêt à servir si on nous appelle».
On ne nous a pas appelés, néanmoins, notre réputation a la vie dure et le Canada a réussi à faire bonne figure au premier tour, hommage à ce que nous avons été. L'Allemagne se fait élire paradoxalement avec une approche très «canadienne» des grands dossiers, ses assises européennes et un grand chéquier tout en affichant l'ambition de se faire élire une fois pour toutes à un poste permanent. Le Portugal, que l'on estimait léger, présente moins d'aspérités que le Canada, il est très présent et appuyé en Afrique, où nous avons fâcheusement réduit notre présence depuis plusieurs années. Sa diplomatie nous a damé le pion ailleurs dans le monde.
Notre nouveau visage et nos «nouveaux principes» nous ont nui. Si nous avons jadis réussi à convaincre nos pairs de ne pas envoyer plus d'un autre pays européen au Conseil, où il y en a déjà deux permanents, pourquoi enverraient-ils en échange ce qui risque de paraître un clone américain alors qu'ils attendent un représentant?
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Michel Duval - Ambassadeur du Canada à l'ONU de 1997 à 2002 et président de l'Observatoire sur les missions de paix et opérations humanitaires de la chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques de l'UQAM


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