Le corridor Bruxelles-Wallonie

Chronique de José Fontaine



On sait que la capitale belge, Bruxelles, autrefois peuplée à égalité de Bruxellois de langue française et de la langue néerlandaise (encore en 1930-1940), s’est peu à peu francisée, de telle manière que même des Flamands de Bruxelles admettent que cette ville a maintenant comme ligua franca le français.

Bruxelles, francophone, pose problème à la Flandre

Le fait que Bruxelles soit la ville belge la plus importante, qu’elle vive sa vie de ville francophone pratiquement au coeur de la Flandre pose problème à cette Flandre qui veut sauvegarder sa langue, le néerlandais, menacée par l’extension de Bruxelles qui parle une autre langue. Dans la périphérie bruxelloise il existe d'ailleurs plusieurs communes où les francophones sont devenus majoritaires, même très largement, mais la Flandre a obtenu cependant au début des années 60 que ces communes demeurent sur le territoire de la Flandre, maintenant érigée en Etat fédéré.

Il faut le dire parce que c’est vrai, les militants wallons les plus pointus ne s’intéressent pas à cette question et la manière dont je vais en parler est dépassionnée.

Depuis longtemps, les Bruxellois francophones vivent mal la façon dont la Flandre les redoute. Avoir peur de quelqu’un, c’est un peu l’agresser. Même si dans ces communes flamandes, il y a bien des dispositions qui font songer à celles que le Québec a prises en matière linguistique, ces Bruxellois francophones les considèrent comme le reflet d’un nationalisme d’un autre âge. J’ai entendu un important journaliste de la RTBF dire un jour que ces mesures sont celles de cerveaux qui se sont arrêtés de fonctionner il y a un siècle. C’est profondément injuste, parce que si un pays veut défendre sa langue, il faut bien qu’il le fasse par des lois qui contraignent. « Entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime et la loi qui libère. »

La peur des Bruxellois

Mais cette attitude défensive de la Flandre autour de Bruxelles engendre la peur à Bruxelles que la Flandre veuille encercler Bruxelles et l’étouffer. Bien que je n’aie pas ce sentiment, je peux comprendre que certains l’éprouvent, d’autant plus que j’ai quelques amis bruxellois que j’estime sages qui m’ont fait part d’un sentiment identique et que je connais des gens peu intéressés par les questions politiques qui voient les choses de cette façon.

Or, ces quelques communes font actuellement partie du même arrondissement électoral que Bruxelles et du même arrondissement judiciaire. Les Flamands, voulant prendre leur distance par rapport à la menace que constitue la ville de Bruxelles majoritairement francophone, exigent de toutes leurs forces que cet arrondissement -- Bruxelles-Hal-Vilvorde -- soit scindé. Dans la carte au-dessous de cette page, la région Bruxelloise (un million d'habitants francophones à 90%), est le cercle blanc entouré de la couronne brune. Au sud de ce cercle s'étend la Wallonie séparée de Bruxelles par un mince filet de communes flamandes (en brun, dont Rhode-Saint-Genèse, dont je vais parler).
Cette exigence , dictée par une peur que j’estime légitime (la peur de la Flandre de se voir peu à peu grignotée par la francisation), redouble la peur des Bruxellois de se voir encerclés et étouffés par la Flandre. Cette peur est celle de toutes les enclaves et me semble aussi légitime.

Un « couloir »

Dès lors, la proposition récemment (ré)apparue de créer un lien territorial entre Bruxelles et la Wallonie en soustrayant quelques kilomètres carrés du territoire flamand pour établir un « corridor » entre Bruxelles et la Wallonie ou encore un « couloir » doit être examinée. Elle a beau faire penser à la guerre (ce dont nous sommes quand même fort éloignés !), et faire penser, effectivement, à des considérations d’un autre âge, elle risque d’apaiser les craintes des uns et des autres. C’est vrai qu’elle fait penser à la guerre mais n’oublions pas que les frontières sont aussi des « fronts » aussi pacifiques que soient les pays que ces « fronts » délimitent. Il est vrai aussi que les partis politiques wallons et bruxellois ont peur que le nationalisme flamand ne fasse éclater la Belgique. Et cela les rassure de pouvoir compter en cas d’éclatement sur une fédération Bruxelles/Wallonie que le lien territorial Bruxelles/Wallonie « consoliderait ».


En réalité, je ne crois pas que la Belgique soit vraiment menacée d’un éclatement soudain. Mais à nouveau, il y a dans cette proposition,le germe d’une entente possible avec les Flamands sur la scission de l’arrondissement. Sur la carte de Wikipédia (1), on voit bien apparaître la partie flamande de cet arrondissement en brun (Halle-Vilvoorde) et on voit aussi sur la carte qui situe la commune de Rhode-Saint-Genèse que celle-ci est le seul « obstacle » à un lien territorial entre Bruxelles (en bleu) et la Wallonie (en vert). Le corridor serait établi sur le territoire de cette commune et ne compterait que quelques arpents de bois, plus deux ou trois dizaines d’habitants, souvent francophones d’ailleurs. Je le redis encore, je ne suis pas passionné par cette question, mais si elle peut débloquer les choses, permettre au gouvernement Leterme de procéder à la réforme de l’Etat qu’il compte faire voter, alors je me réjouis que la question soit résolue. Car la réforme que veut mettre en route le gouvernement Leterme va accroître considérablement encore les compétences des trois Etats fédérés de Wallonie, de Bruxelles et de Flandre. Et c’est cela qui importe. Le Président flamand, Kris Peeters, déclarait aujourd’hui dans Le Soir : « L’Etat fédéral n’est plus selon moi, le soleil autour duquel tournent les entités fédérées ; ce sont ces mêmes entités qui forment le centre et l’Etat fédéral qui se met à leur service. » Je partage à 100% cette vision. D’autant plus que certains Flamands – cerise sur le gâteau pour votre serviteur ! – proposent que le couloir soit considéré comme territoire non pas bruxellois, mais wallon… Oufti! (2)

José Fontaine

(1) On critique beaucoup Wikipédia, mais même si les pages auxquelles je me réfère sont à améliorer, pour l’essentiel dont il est ici question, elles font voir le problème.
(2) Interjection wallonne qui veut dire à peu près "mince alors!" (ou "ouche" ou "oups" etc.).

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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7 commentaires

  • José Fontaine Répondre

    5 juillet 2008

    Je suis bien forcé de redire ce qui me semble en conscience la vérité:
    1) l'ensemble de la classe politique flamande défend la même position dans cette affaire et les modérés comme les "extrémistes", à l'exception (relative) de Groen! (les écologistes);
    2) les méthodes flamandes pour défendre le néerlandais ont des analogies avec les méthodes québécoises et sous ma plume, il ne s'agit pas de stigmatiser les Québécois dont le profil politique est différent de celui de la Flandre, celle-ci étant plus à droite, mais une droite démocratique;
    3) les Wallons en 1960 ont été très conscients de ce qu'ils faisaient: on peut même montrer qu'ils étaient plus autonomistes que les Flamands de l'époque et que, comme c'est toujours le cas d'une minorité agissante en Wallonie (un peu moins de 20% selon le dernier sondage), ils souhaitent un accroissement des pouvoirs de la Wallonie, mais la question qui, pour l'instant fâche le plus, concerne surtout Bruxelles et la Région bruxelloise, même si les partis wallons et francophones sont très déterminés en cette affaire et ne peuvent être considérés comme contribuant tous à l'apaisement, notamment pas ceux qui sont nostalgiques de l'unité belge. S'ils la voulaient vraiment, ils n'auraient, à mon sens, pas cette attitude qui la menace objectivement, mais dont certains comptent tirer les dividendes électoraux, indépendamment de l'entente qu'ils disent prôner. Certes, tout parti désire gagner les élections...

  • Archives de Vigile Répondre

    5 juillet 2008

    Bonjour
    Il est une image que certains emploient pour qualifier la francisation continue autour de Bruxelles,c'est le phénomène de la tâche d'huile ...
    Celà étant,je vous trouve fort compréhensif à l'égard de ceux qu'ici en Europe l'on qualifierait plutôt d'extrêmistes flamands ( ou "flamingants "); y compris, mais oui, en Flandres .
    Brel le Flamand a écrit des mots terribles sur certains de ses compatriotes ..
    La pratique de la langue française est un très vieil usage,en ces contrées qui furent toujours commerçantes et bi ou trilingues : les bourgeoisies flamandes picardes wallones et liégeoises avaient ainsi un outil de communication courtes et longues distances.
    Faut il tracer un trait entre flamands et francophones ? ce fut fait, en 1963, je crois, sans que les francophones ne réalisent ce qu'il récelait virtuellement .Pourquoi ? Parce ce que la Belgique existait comme réalité incontestée, parce que la construction européenne confirmait l'effacement progressif des frontières terrestes au sein de notre communauté .
    Nos amis flamands viennent souvent chez nous en France en vacances, et au passage améliorent encore leur français ..
    Alors, avec un peu de désespérance, au cas où la Belgique éclaterait - ce que comme Français et Européen convaincu je ne souhaite pas - les francophones de Belgique vont rechercher une ligne de partage viable .D'un côté, la Flandre, de l'autre, les francophones de Wallonie, de Bruxelles, des six communes à facilités de la périphérie bruxelloise; peut être d'autres, car un vote commune par commune serait bien sûr souhaitable .

  • José Fontaine Répondre

    24 juin 2008

    Le problème des partisans wallons de l'unité belge à tout prix c'est qu'ils ne voient pas toujours bien que leur intransigeance contrarie les Flamands (mais aussi certains Wallons, minoritaires, peut-être, mais pas si rares), qui n'y voient que de l'arrogance wallonne ou francophone. Et créent ce paradoxe qu'en militant pour l'unité, ils contribuent à attiser les querelles ou, pour reprendre votre mot, au désossement du pays. Il faut rappeler que du côté wallon, Reynders, Ducarme, Collignon et le Bruxellois Moureaux, par exemple (tous les quatre ont un poids politique évident), se sont prononcés pour le confédéralisme (soit un peu la création d'Etats indépendants mais liés entre eux). C'est peut-être "désosser", mais si c'est la seule façon d'agir en faveur de l'entente entre citoyens des trois composantes belges, Bruxelles, la Flandre, la Wallonie? Ou au bon fonctionnement de la Belgique (ou de ce qu'il en reste)? Je ne cherche pas à vous convaincre mais à vous dire que l'on peut aussi être favorable à l'entente entre les êtres humains de ce pays sans forcément pour cela maintenir une unité qui ne fonctionne pas, à mon avis (qui n'est pas le vôtre).
    Je reviendrai en principe sur ces propositions confédéralistes samedi prochain et j'indiquerai les sources et les textes qui alimentent ce débat.
    José Fontaine

  • Archives de Vigile Répondre

    23 juin 2008

    Il serait grand temps que les hommes et femmes politiques se rappellent pourquoi ils ou elles sont à ce poste d'Etat. Pour ceux et celles qui l'aurait oublié, ils et elles ne sont pas à ce poste pour "désosser" la Belgique mais pour veiller à son bon fonctionnement. Merci de vous en souvenir...

  • Archives de Vigile Répondre

    22 juin 2008

    Le second lien donné ne fonctionant pas ... voici ICI le rectificatif :
    Sur Toudi M adumoul avait écrit:
    La revendication d'elargir Bruxelles est une consequence du refus flamand de tolerer officiellement l'expression de communautes non-flamandes sur son territoire....
    Réponse de M Wilder
    La revendication n'a rien de nouvelle. En 1954 on a élargie Bruxelles avec 3 communes (Berchem-Saint-Agathe, Evere et Ganshoren). Pourquoi? Parce-que ces 3 communes d'origine Flamandes étaient devenue à majorité francophone. On est simplement témoin d'un espace linguistique qui essaye de bouffer un autre. La Communauté Française(de Belgique) est carnivore! ;-)

  • José Fontaine Répondre

    22 juin 2008

    Effectivement par "autrefois" je visais les années 1930-1940 comme le fait remarquer mon aimable correspondant qui, je l'espère, me compte au nombre des gens honnêtes...
    JF

  • Archives de Vigile Répondre

    21 juin 2008

    La première phrase de l'article posté ici par le professeur Fontaine est à mettre fortement en doute par tout qui connait l'histoire de la Belgique et dont même l'université de Laval vous éclairera d'une façon différente sur la réalité bruxelloise depuis le début de notre pays en 1830.
    Petit passage choisi :
    [Au moment de la création de l'État belge en 1830, la Constitution avait prévu un État unitaire, sans langue officielle reconnue. En effet, l'article 23 se lisait comme suit:
    Article 23
    L'emploi des langues est facultatif en Belgique, il ne peut être réglé que par la loi et seulement pour les actes de l'autorité publique et pour les affaires judiciaires.
    Dans les faits, ce fut le français qui fut utilisé comme seule langue officielle. Or, à cette époque, la majorité de la population belge avait comme langue maternelle soit le néerlandais dans sa forme dialectale (flamand, brabançon ou limbourgeois), soit l’un des idiomes issus du latin (wallon, picard, lorrain, gaumais, etc.). La ville de Bruxelles, quant à elle, ne comptait à ce moment-là que 15 % de francophones, pour la plupart des descendants des Français immigrés dans cette ville plusieurs décennies auparavant->http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/europe/belgiqueetat_histoire.htm]
    DONC et à moins que le {"autrefois"
    de M Fontaine veuille dire "encore en 1930-1940" ... chaque Belge honnête vous avouera que Bruxelles était une ville à 85% flamande en 1830 et qu'il aura fallu attendre un siècle pour que son degré francisation atteigne les 50% ... donc la préface aurait du s'écrire que "Bruxelles était autrefois une ville peuplée à une large majorité de Flamands" ... ce qui donnerait donc aussi une consonnance tout à fait autre pour la suite de son article.
    Bruxelles était à ses débuts une ville de 70.000 habitants et qui se sera francisée peu à peu par un phénomène dit tache d'huile au fil de son expansion (surtout francophone) pour en arriver aux 19 communes actuelles et comptant un peu moins du million d'habitants dont 85% sont répertoriés comme francophones.
    D'ailleurs, sur TOUDI le forum de M Fontaine, un autre intervenant vous en donne aussi une autre version ... voir à : http://forum.toudi.org/viewtopic.php?p=44415&highlight=&sid=1be3c96c6b858c85713f7bd9d2ac2f89
    Merci de m'avoir lu (si je suis publié) ;-)