Le NON irlandais au traité de Lisbonne

Chronique de José Fontaine


Le reportage sur l'anniversaire de la "Nouvelle France" qui paraît cette semaine dans "L'Express" est remarquablement équilibré mais j'en avais lu le début comme si cela avait été un Belge francophone qui l'avait écrit (en effet, il se publie en Wallonie et à Bruxelles une sorte de demi-Express, lié à un ancien journal de chez nous "Le Vif"). On y disait que le Québec avait été reconnu par le Parlement d'Ottawa comme une nation, en entourant ce mot de guillemets. Et on insistait sur le fait que le "pan" de la nation québécoise en faveur de l'indépendance était "minoritaire".
J'avais vraiment le sentiment que c'était un unitariste de chez nous qui écrivait ces lignes, étant donné que les nations sans Etat ne sont pas bien vues pour le moment et que peu ou prou quand il s'agit de leur émancipation, on a tendance à penser que cette volonté n'est le fait que d'une "minorité". Ce qui reste à prouver, dans le cas du Québec, puisque le résultat du référendum de 1995 est si contestable que l'on est en droit de se demander si les indépendantistes n'y étaient pas de fait majoritaires.
Comme autonomiste wallon, on est sans cesse confronté à ces réserves pleines de sous-entendus. Lorsque l'Ecosse a voté son référendum d'autonomie en 1998, un grand journal bruxellois, tout en ne critiquant pas trop la chose, n'a pas pu s'empêcher quand même de parler de "léger repli sur soi".
L'Irlande dit NON au traité de Lisbonne
Les nations sans Etat s'écrivent avec des guillemets et en plus sont suspectes de "repli", mot usé jusqu'à la corde mais qui sert bien mieux qu'une corde prête à se rompre. Je parie que l'on va dire que l'Irlande en disant NON à l'Europe s'est aussi repliée sur elle-même.
A propos du référendum par lequel l'Irlande vient de refuser le nouveau traité qui devait organiser l'Union européenne, on a parlé dans nos médias de consultation "polluée" par des problèmes de politique intérieure, on a mis en cause cette consultation parce qu'un référendum tend à ne pas porter exactement sur la question véritablement posée, etc.
Plus fort encore, lors de la signature du traité de Lisbonne fin 2007, une journaliste de la RTBF a expliqué froidement que cette fois, les politiques européens allaient éviter avec soin l'obstacle que constituerait le fait de soumettre ce traité à l'approbation directe des peuples européens et choisiraient pour cette raison de soumettre le traité à la seule ratification des parlements (ce qui est d'ailleurs une manière de mépris formidable pour ces assemblées).
On ne s'en faisait pas trop sur l'Irlande (en Irlande, la Constitution elle-même impose le référendum). Mais quand ils ont appris le NON irlandais, nos médias ont commencé à se lamenter, d'une manière moins diplomatique que le président de la Commission qui reconnaissait quand même que l'un des slogans du NON était fondé: nous votons NON parce que nous ne savons pas pourquoi nous votons (on reproche au gouvernement irlandais d'avoir mal expliqué à la population ce qu'était ce traité exactement).
Dans certains cas le peuple compte et dans d'autres non
Ce qui est lassant (je parle des médias belges francophones), c'est cette atmosphère intellectuelle de plus en plus antidémocratique qui fait que la consultation directe des populations semble un obstacle à la poursuite et aux progrès de l'Union européenne. Ce n'est certes pas par opposition à l'idée européenne que je le dis, mais parce qu'il y a dans nos médias et chez nos élites le sentiment que l'on ne doit pas demander l'avis du peuple sur l'Europe. Dont la valeur centrale est cependant... la démocratie.
Dans les moments que nous vivons en Belgique, cette déconsidération de la démocratie choque d'autant plus que la Belgique se débat dans une crise dont elle a peine à sortir. Or, dans ces mêmes médias francophones, toute manifestation populaire en Wallonie en faveur de la Belgique est constamment montée en épingle. Ainsi, par exemple, des manifestations syndicales importantes contre la vie chère ont eu lieu cette semaine, rassemblant en Wallonie et à Bruxelles près de 70.000 manifestants. Mais à peine un peu plus de 10.000 en Flandre alors que la Flandre regroupe 60% des habitants du pays. Cela n'empêche pas les journalistes de clamer que ces manifestations ont démontré "dans tout le pays" que la population en avait marre des questions institutionnelles. Là, brusquement, c'est le peuple tel qu'on l'imagine, qui a raison. Cependant, les Flamands veulent plus d'autonomie, ce qu'une majorité supposée de Wallons ne voudraient pas, du moins c'est le consensus qu'expriment les élites politiques et les médias wallons et francophones. Peut-être ces élites ont-elles un peu plus raison dans ce cas. Mais...
Mais dans la mesure où les questions concernant l'avenir du pays ne sont pas vécues de la même façon en Flandre et en Wallonie -- et les chiffres que je viens de citer plus haut le disent assez bien -- on feint d'ignorer que lorsque l'on dit "la population", c'est celle seulement de la Wallonie et de Bruxelles dont on parle (et en Belgique, tout est très séparé en, matière de médias et de vie politique, j'aurais même tendance à dire, malgré les apparences, encore plus qu'au Canada: il n'y a pas plus de partis politiques nationaux et fédéraux par exemple).
Les hommes politiques wallons et bruxellois qui misent sur le refus (ou en tout cas sur une franche réserve), à l'égard des propositions flamandes jouent cependant avec le feu. Car s'ils résistent aux propositions flamandes d'aller vers plus d'autonomie, ils risquent évidemment d'exacerber leurs partenaires. Et de rendre alors la crise belge encore plus inextricable. Alors que leur volonté, c'est de "sauver la Belgique": en prenant ce parti de la sauver de cette façon (en n'écoutant que leur opinion publique ou ce qu'ils en font), ils la mettent en péril. Un sondage il y a quelques jours révélait qu'une majorité de Flamands serait en faveur de l'indépendance de la Flandre.
Les hommes politiques wallons, à l'écoute de leurs populations (mais ils l'écoutent autant qu'ils la manipulent), peuvent être critiqués au moins en ceci, c'est qu'ils ne disent pas à leur opinion publique qu'il y a une opinion flamande à laquelle l'opinion wallonne ne ressemble pas du tout sur toutes ces questions. Il est d'ailleurs arrivé par le passé que ce soit les Wallons qui poursuivent leur dessein, quitte à faire sauter la baraque belge, comme lors de l'insurrection de 1950 par exemple et du seul référendum jamais organisé chez nous qui a donné des résultats si opposés en Flandre et en Wallonie que l'on n'ose plus organiser de référendums, que ce soit sur l'Europe ou l'unité du pays (ou son éclatement). En effet tout référendum donnerait à coup sûr des résultats contradictoires en Flandre et en Wallonie -- les sondages et même les élections telles qu'elles se déroulent au moins depuis quarante ans le confirment chaque fois. Bref les peuples de Belgique s'estiment chacun être toute la Belgique et râlent si on ne les écoute pas. Il y a de risques évidents à cela.
***
J'ai tout de même le sentiment, sur fond de NON irlandais, que lorsque les dirigeants d'un peuple (et c'est le cas pour les Wallons, la Wallonie), hésitent à assumer le destin de ce peuple, toute une atmosphère se crée tendant à stigmatiser tout mouvement, quel qu'il soit, allant vers le refus, la résistance et la liberté.
Ce qui est frappant dans le cas de l'Irlande, c'est le fait qu'elle ait mené une longue lutte pour son indépendance, longue lutte qui explique peut-être son NON et qu'on n'osera pas le mépriser ouvertement, du moins chez les hauts responsables européens. J'ai l'impression que trop de mes compatriotes wallons, par contre, mépriseront la fière et belle réponse de l'Irlande à ceux qui veulent faire notre bien sans nous demander ce que nous en pensons.
José Fontaine

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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