Il y a eu mort d'hommes à Paris, à Dammartin (Île de France) et à Verviers (Wallonie). Le titre que j'ai choisi pour cette chronique est ma manière à moi d'approcher ces événements en partant du fait que la France a un autre rôle à jouer dans le monde et singulièrement pour nous Wallons ou Québécois.
Les interventions du président de la République française le jour des attentats contre Charlie-Hebdo et le lendemain ont été directement relayés par la RTBF qui sert toujours de chaîne de télévision principale à la Wallonie en dépit du fait que l'attention que lui portent ces journaux télévisés belges francophones, qui n'est certes pas inexistante, part sans cesse du principe que le pays wallon est secondaire dans l'ensemble francophone belge, ce qui sans doute explique que les Wallons regardent de plus en plus les chaînes de télévision françaises qui concernent un ensemble francophone bien plus vaste et bien plus important, même s'il y sont peu présents, puisqu'ils sont de toute façon secondaires même aux yeux de la télévision de leur pays devenue une radio d'État au service exclusif de Bruxelles.
Comment partir d'événements aussi dramatiques pour faire valoir encore ces récriminations wallonnes me dira-t-on? Parce qu'elles prennent place dans une plus vaste critique que je voudrais adresser aux moyens modernes de communication, aux médias.
Des événements graves
Personne ne niera que ce qui s'est produit à Paris est très grave. J'ai lu dans un journal américain que comparer la gravité de ce qui s'est produit à Paris aux milliers de victimes du terrorisme islamiste en même temps au Nigéria, est un argument «bon marché». Mais on se sent obligé pourtant de le reprendre à son compte et justement par considération de ce qui pourra encore se passer en France aussi, ou chez nous. Jamais le regard que les médias portent sur les événements ne m'a paru avoir autant l'effet mensonger de loupe qu'ils exercent sur notre vision du monde. Du mercredi 7 janvier au dimanche 11 janvier en moins de quatre jours et, je le redis, pour des attentats certes inexcusables, mais on en a fait trop. Les éditions spéciales ont succédé aux éditions spéciales, ce qui avait comme conséquence que les journaux consacraient dix pages, vingt pages à des événements non pas qui nécessitaient autant d'espace en vue d'informer mais en vue de grossir les choses, ce à quoi les médias tendent de plus en plus.
Avec la conséquence qu'une manifestation monstre a été organisée à Paris que l'on a comparée stupidement à celle organisée lors de la Libération de Paris et qui a vu un million de Parisiens défiler de l'arc de triomphe à Notre-Dame le 26 août 1944. «Paris depuis plus de quatre ans était le remords du monde libre» écrit le général de Gaulle dans ses Mémoires de guerre et le coup porté à la France méritait bien cette belle métaphore, la France ayant subi en 1940 la défaite la plus humiliante de son histoire qui n'était pas qu'une défaite de la France mais effectivement celle de la liberté humaine. Le défilé du 26 août 1944 était de ce point de vue la manifestation que la liberté humaine avait gagné avec la France et il me semblait, il me semble toujours qu'il faut conserver de cet événement toute notre vigilante mémoire, notamment en soulignant que cet instant-là est unique dans l'histoire de la France et du monde, comme tout instant historique mais spécialement celui-là.
Le défilé du 11 janvier et le capital moral de la France, sa grandeur
Il me semble aussi que le capital moral de la France comme grande puissance demeure intact. Lorsque l'on compare les réactions des Etats-Unis ou du Royaume-Uni à la suite d'attentats d'ailleurs bien plus meurtriers chez eux, on constate qu'ils n'ont pas invité le monde comme la France l'a fait. Cela me faisait songer aux funérailles à nouveau du général de Gaulle en novembre 1970 où la presse a dit que, pour un moment, le village de de Gaulle, Colombey, était la capitale de la France et Paris celle du monde en proportion de tous les grands leaders mondiaux présents à cet événement. Cela s'est reproduit le 11 janvier dernier, démontrant à nouveau que le capital moral de la France est intact.
Mais c'est ici que je redeviens très critique. Il me semble que ce capital moral a été très mal utilisé, gâché qu'il l'était à la suite d'un emballement médiatique disproportionné en regard des événements et du problème posé par ces événements. Le 26 août 1944 les Français défilaient en l'honneur de la liberté retrouvée et pour une France qui allait adopter le programme du CNR (Conseil national de la Résistance), faisant faire à la démocratie sociale et économique un bond en avant sans précédent. Ici, ces millions de Français ont défilé pour des raisons finalement très vagues ou consensuelles (qui peut être contre la liberté d'expression? Personne! Mais qui l'utilise vraiment? Pas grand-monde!) et en passant à côté de l'essentiel aujourd'hui à savoir la vraie menace qui pèse sur la liberté humaine en Europe et au-delà, ce que souligne très bien Bruno Poncelet dans un ouvrage de 400 pages édité par la FGTB wallonne en 2014 : «Désormais, l'avenir auquel travaille résolument l'Union européenne, c'est la mise à mort de la démocratie économique et sociale [[ Bruno Poncelet, Europe, une biographique non autorisée, Cepag, Namur 2014, p. 335.]].»
Un collaborateur du journal Le Monde Diplomatique, met en garde ses lecteurs (il écrit lui aussi dans la foulée des événements), sur le fait que l'Union européenne actuelle est irréformable et j'ajouterais que le système autoritaire qu'y a mis en place l'Allemagne est aussi en train de développer, à côté de la dictature qu'il représente au plan économique et politique, la prolongation qu'il requiert soit un État unitaire européen policier. Ce que dit Frédéric Lordon est très lucide et très grave, il s'agit de l'impossibilité de sortir de l'Union européenne actuelle, étant donné que sa réforme est impossible : «La propension au rêve n’est pas ce qui fait défaut à l’européisme ébranlé. « Seule une refondation démocratique de l’Europe permettrait de mener des politiques de progrès social » déclare ainsi avec emphase Thomas Piketty 9]. Sans doute – d’ailleurs si ma tante en avait. Malheureusement (?), elle n’en a pas. Il s’agirait donc de s’aviser que la neutralisation des souverainetés populaires n’est pas une erreur accidentelle, ou une mauvaise tournure malencontreusement acquise en cours de route, mais bien un parti pris constitutionnel et réfléchi, [voulu au premier chef par l’Allemagne pour garantir l’absolu respect des principes auxquels elle a conditionné sa participation à la monnaie unique.»
Parmi les collaborateurs de Charlie-Hebdo assassiné le 7 janvier, il y avait aussi . Il écrivait sous un pseudo dans l'hebdomadaire et y mettait également en cause la dangereuse folie néolibérale qui s'est emparée de l'Allemagne et de l'Europe et qui débouchera bien plus sûrement que le terrorisme islamiste sur l'anéantissement des libertés humaines. La question des caricatures de l'hebdomadaire est controversée. Je ne dis pas que ce n'est pas important. Je dis simplement que la gravité de cette question est sans commune mesure avec la menace cent fois plus grave que fait peser sur les peuples européens la dictature de la Commission européenne soutenue par l'Allemagne, la France et tous les pays de la zone euro, y compris celui que domine actuellement l'Etat belge avec le consentement hélas! de ses dirigeants, mon pays, la Wallonie.
Deux morts à Verviers
J'ai mis beaucoup d'espoir dans les mouvements de grève qui se sont développés en novembre et décembre contre les mesures antisociales mises en place par un gouvernement belge qui n'est soutenu que par un quart des électeurs wallons. Il n'est pas possible de ne pas tenir compte du fait que cette contestation du gouvernement belge actuel dominé par les nationalistes flamands néolibéraux (et où le premier ministre belge, le libéral wallon Charles Michel ne joue que les utilités), est fatalement aussi une contestation profonde de l'Union européenne qui dicte ces mesures. Je crains que ce mouvement de contestation profonde n'échoue lui aussi comme la plupart des mouvements européens qui ont décidé de résister à la plus grave menace qui pèse sur l'Europe depuis l'avènement du fascisme en Allemagne en 1933.
La police belge a mené une action préventive contre des individus qui se préparaient à .attaquer et à tuer des policiers belges.
La police belge a tué deux terroristes dangereux et personne ne le critiquera, moi non plus.
Elle l'a fait à Verviers, une ville wallonne de 60 000 habitants où vivent un très grand nombre d'immigrés d'origine marocaine (comme en bien d'autres endroits en Wallonie), une communauté ethnique et religieuse à laquelle venait de rendre visite l'évêque de Liège, visite qui souligne lumineusement le fait que l'écrasante majorité des musulmans chez nous n'ont strictement rien à voir avec l'islamisme et qui, eux, ont bien plus légitimement peur de nous dans la mesure où toute cette excitation médiatique risque surtout de faire des victimes chez eux alors qu'en cette période de chômage induit par la dictature économique européenne, ils ont tout à redouter pour leurs emplois et leurs vies.
Ainsi le gouvernement précédant l'actuel gouvernement belge a cru devoir exclure du bénéfice du chômage 30.000 Wallons, mesure que l'on connaît depuis longtemps, qui devront dès lors ne plus pouvoir compter que sur l'assistance publique, ce qui les condamne à une mort sociale qui a toutes les allures d'un lent assassinat voué à demeurer impuni, bien sûr. La mesure ne rapportera d'ailleurs qu'à l'État fédéral, les communes wallonnes payant cette «économie».
Les événements graves de Paris et de Verviers, je ne les oublie pas, mais je donne raison au journal Le Soir qui s'inquiétait samedi de la psychose créée par les emballements médiatiques absurdes en tout particulier des chaînes télé. Le chercheur de l'université flamande de Louvain (Leuven), Montasser Alde'ehmed, répond à La Libre Belgique d'aujourd'hui (il s'est signalé surtout par le fait qu'il a rendu visite aux combattants belges musulmans partis en Syrie ou ailleurs et attiré l'attention sur le danger que revenus au pays, ils représentaient), à une question sur ce danger capital dans le contexte de la menace terroriste : «Une centaine de combattants sont revenus, je pense que la toute grande majorité d'entre eux ne sont pas très dangereux [[La Libre Belgique du 20 janvier 2015, p. 6]].» Il ajoute un peu plus, loin qu'il s'agit de 10 personnes sur 11 millions d'habitants.
En attendant, les chaînes de télé en sont à des dizaines voire bientôt des centaines d'heures sur le sujet : qui lira qu'il y a 10 personnes dangereuses dans l'État belge relativement à l'islamisme et son danger le plus immédiat en tout cas?
En terminant cette chronique, j'entends la RTBF radio reprendre à 13 heures une interview de Christophe Mincke qui insiste sur le fait que la cause du terrorisme et des peurs qu'il engendre serait le lent détricotage de l'État social qui aggrave à chaque étape de cette oeuvre de mort une insécurité de plus en plus grande dans nos sociétés.
J'entends aussi que la FGTB wallonne n'a pas renoncé à la lutte.
La France avec son capital moral de grande et vieille nation est au coeur de l'Europe, soit le continent qui pourrait jouer le rôle le plus positif en faveur du monde et de la paix dans le monde. Elle a choisi de privilégier l'émotion et d'éviter les vrais problèmes qui se posent à elle comme à l'Europe et au monde. Elle a raté le coche. Je suis bien content de ne pas être allé à Paris à ce qui m'est apparu d'emblée comme une méprise totale sur la France et l'histoire de France et, par-dessus tout, la République.
La France que nous aurions aimée entendre, elle s'était pourtant manifestée avec éclat lors de la seconde guerre d'Irak, il y a si peu de temps!.
La France du 11 janvier ce n'est pas la vraie France, celle de Malraux disant en 1958 : «La France n'est la France que lorsqu'elle incarne une part de l'espérance humaine». Je cite de mémoire mais on pourra aussi se reporter à ceci. Comme Wallon, amoureux de son propre pays, de la France, du Québec et au-delà, je continue à croire, malgré tout, que Malraux a raison : la nation française ne peut être autre chose qu'un exemple de grandeur et un modèle d'indépendance. Car elle représente aussi - pour les autres - une idée que Malraux appelait la générosité du monde :
«La France est l'amie des peuples et la soeur des nations. Elle ne saurait oublier son devoir de défendre le droit des peuples à avoir un État national, c'est-à-dire une part de dignité universelle.»
Ce n'est ni celle de Sarkozy, ni celle de Hollande, à coup sûr et mon inquiétude en tant que Wallon républicain, c'est que la France de Malraux a peut-être disparu corps et biens.
Mais c'était aussi le cas le 18 juin 1940 jusqu'à ce que la BBC fasse entendre à Londres l'Appel que l'Histoire n'oubliera jamais.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
1 commentaire
Archives de Vigile Répondre
22 janvier 2015"J’aspire à une autre France".... Vous n'êtes pas le seul, croyez le bien !