Euromutilation du Parlement wallon

Chronique de José Fontaine

Le Parlement wallon et le Parlement bruxellois ont donc décidé de ratifier le traité d'austérité européen. Longtemps après les autres Parlements, flamand, belge et germanophone. De sorte que l'Etat belge rentre maintenant tout entier dans la prison européenne où les Etats ont décidé de se suicider.
Un traité castrateur
Il s'agit en effet d'un traité qui va interdire pratiquement aux Etats d'investir, puisqu'ils devront limiter leur déficit budgétaire à 0,5 % du PIB, avec toutes les conséquences que cela aura sur la croissance économique, mais aussi les dépenses sociales et de santé. Déjà on annonce que 50.000 chômeurs vont être exclus du chômage en janvier 2015 (dont 35.000 en Wallonie). Or ces chômeurs ont droit «à la vie»! Ils vont donc se tourner vers les communes dans leur tâche d'assistance publique. Mais les communes sont également concernées par le traité d'austérité européen comme toutes les collectivités publiques. Comment vont-elles faire face à ces charges accrues? Elles licencient déjà du personnel pour en sortir!

Comment en est-on arrivé là? Ecrivant cette chronique, je me souviens que, à la veille de Noël 1973, lorsque j'habitais encore Dinant (il y a 40 ans), j'avais appris qu'un jeune que je connaissais s'était tiré une balle dans le visage. J'avais moi-même 27 ans. La radio disait déjà que nous allions entrer dans une période de restriction et d'austérité. Elle disait déjà que nous avions vécu les années précédentes «au-dessus de nos moyens».
Certes, tout n'était pas encore aussi noir qu'aujourd'hui à cette époque. Je me suis marié, j'ai eu des enfants. J'ai pu faire face à la vie. Mais déjà dans les années 1980, le gouvernement belge s'est lancé dans une politique d'austérité terrible qui a fait perdre à ma femme et moi certaines années quelque chose comme le quart de notre pouvoir d'achat. La dette publique belge augmentait comme l'explique Olivier Bonfond dans Si on arrêtait de payer, CEPAG, Namur 2012, non pas parce que l'Etat s'endettait de plus en plus, mais parce que les taux d'intérêt avaient été relevés jusqu'à 14% aux USA, en vue de combattre l'inflation et en vue de relancer la machine économique avec des répercussions mondiales en matière de taux d'intérêt.
La presse européen, une presse de propagande néolibérale
Tous les chiffres que j'ai pu lire depuis et ceux que Bonfond donne, indiquent de manière très claire que les dépenses publiques sont restées stables depuis le suicide de mon compatriote dinantais. Si l'Etat est en difficulté, chez nous comme en France, c'est en raison des hauts taux d'intérêt (jamais les médias ne parlent de ce facteur de la crise), depuis. Mais aussi de ce que l'on appelle pudiquement les «dépenses fiscales», c'est-à-dire les diminutions d'impôts consenties au début des années 1980 aux 5% de ménages (et les plus grands détenteurs de la dette publique), dont le patrimoine s'élevait alors à des milliers de milliards de francs belges de sorte que, après dix ans d'austérité très dure, ils avaient vu doubler leur patrimoine (la dette étant elle multipliée par quatre). Et après, pas seulement en Wallonie ou en Belgique.

Faisant la même constatation pour l'Etat français, mais pour des périodes plus récentes, ATTAC France écrivait il y a deux ans «Trois facteurs sont donc à l’origine de l’augmentation de la dette publique : la baisse des recettes fiscales avec les cadeaux fiscaux successifs aux entreprises et aux contribuables les plus riches ; l’interdiction que les gouvernements se sont imposée de faire financer les déficits publics par la banque centrale ; les variations des taux d’intérêt
Soit les trois facteurs dont ne parlent jamais les médias dans leur immense majorité.
Vers la destruction de l'Etat social et de la démocratie en Europe
Prenons le premier facteur, l'interdiction d'emprunter auprès des Banques centrales. Olivier Bonfond le commente comme suit : «Depuis 1992 et le Traité de Maastricht, les pays de l'Union européenne ont renoncé à la possibilité d'emprunter auprès de leur propre banque centrale à du 0% et sont obligés de s'adresser aux grandes banques privées, à des taux qui sont fixés par les marchés internationaux de capitaux. Ce choix a coûté très cher à la Belgique. Faisons un petit calcul: sur la période 1992-2011, le taux d'intérêt moyen sur les titres de la dette publique belge a été de 5,2%. Durant cette même période, l'État belge a remboursé en intérêts de la dette un montant équivalent à 313 milliards d'euros. Si l'État belge avait pu emprunter les mêmes montants auprès de sa banque centrale, mais à un taux de 1%, il aurait alors dû payer environ 63 milliards d'euros et non 313, ce qui fait une économie de 250 milliards d'euros… Pour rappel, la dette belge s'élève à 360 milliards d'euros

Voilà ce que l'on appelle «vivre au-dessus de ses moyens»! Mais comme tout le monde le croit (jusqu'ici), cela a comme conséquence que les politiques successives d'austérité depuis, toujours, le suicide ce jeune Dinantais, se succèdent aux politiques d'austérité et on vit toujours « au-dessus de nos moyens», malgré les diminutions hallucinantes des salaires, la suppression des agents des services publics et la fragilisation de ceux-ci que vont encore aggraver durablement —éternellement disent même certains—toutes ces politiques néfastes et absurdes dont le traité consacre l'ignominie et la stupidité.
On se demande de quel droit certaines personnes —un vraiment petit nombre d'entre elles—s'estiment en mesure de détenir (comme créanciers et puisque les dettes publiques équivalent parfois au PIB), somme toute l'ensemble de toute la richesse produite par des nations européennes en un an. Aucun raisonnement économique ne me fera jamais croire une seconde cette impossibilité ontologique.
La leçon de Rafael Correa à Paris

Le président de l'Equateur Rafael Correa a pris la parole le 6 novembre à la Sorbonne pour, en somme, reprendre l'essentiel des arguments que je viens de développer ici. La crise que subit l'Europe est pour lui une crise tout à fait irrationnelle. Il concluait sur ces mots : «Les capacités européennes sont pourtant intactes. Vous disposez de tout : le talent humain, les ressources producties, la technologie. Je crois qu'il faut tirer des conclusions fortes : il s'agit ici d'un problème de coordination sociale, c'est-à-dire de politique économique de la demande, ou comme on voudra l'appeler. En revanche, les relations de pouvoir à l'intérieur de vos pays et au niveau international sont toutes favorables au capital, notamment financier, raison pur laquelle les politiques appliquées sont contraires à ce qui serait socilement souhaitable. Matraqués par la prétendue science économique et par les bureaucraties internationales, nombre de citoyens sont convaincus qu' «il n'y a pas d'alternative». Ils se trompent[[Rafael Correa, L'Europe reproduit nos erreurs, dans Le Monde Diplomatique, décembre 2013, p. 1 et p.16-17.]].»
Certains me disent que c'est se faire plaisir de raisonner comme cela mais que ferais-je d'autre? J'aurai bientôt 68 ans. Depuis 40 ans et le suicide du jeune Dinantais de 1973, je n'entends jamais qu'une seule chose, que nous avons trop bien vécu, qu'il faut payer et encore payer. Avant, au moins, on disait encore : «mais après cela ira mieux». On ne le dit plus et de fait, le traité que le Parlement wallon vient de signer en se suicidant (encore un suicide!), instaure une longue période où l'Europe va consciencieusement gâcher toutes ses possibilités et détruire peu à peu tant son système social que la démocratie, car l'un est lié à l'autre et ils seront emportés tous les deux, ensemble. Que vont devenir mes enfants et mes petits-enfants si tous les pays d'Europe continuent à se suicider comme cela lentement? C'est à eux que je pense en me disant que je devrais hurler.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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