France et Belgique vues de Wallonie

Chronique de José Fontaine

En tant que Wallon (et francophile), je n'adhère pas à toutes les visions qu'entretiennent les patriotes belges à propos de la France. En particulier la «» éprouvée par certains Belges devant les difficultés de la France actuelle.
La France rend service à la Belgique
Les patriotes belges (les «belgicains» disent les autonomiste wallons dont je suis), ignorent le bien que fait la France à l'unité belge. Lorsque François Mitterrand était président de la République, deux Présidents wallons, Guy Spitaels et Robert Collignon sont allés lui demander en quelque mesure que la France traite la Wallonie comme le Québec mais ils se sont heurtés à une fin de non-recevoir. Mitterrand les a même salués en leur disant qu'ils comptaient sur eux et de tout faire pour sauver l'unité belge.
C'est une conviction qui n'est pas seulement celle d'un homme mais, je crois, de tout un pays. Yves Lacoste , le directeur de la revue Hérodote nous avait dit dans une interview donnée à la revue TOUDI, la manière dont les Français voient la Wallonie. Paul Tourret, un autre collaborateur de cette revue, avec qui j'ai discuté dans le bureau même où j'écris ces chroniques, a un jour estimé que la Wallonie et la Suisse romande ne faisaient pas partie des représentations géopolitiques des Français. Lorsque le Président du Conseil Clémenceau rendit visite à Albert I à la veille de l'offensive de 1918 qui devait donner le coup de grâce à l'Allemagne, il dit au roi des Belges que, considérant la Belgique comme une ancienne province française, il avait eu longtemps quelque peine à la considérer comme un Etat.

En décembre 1960 éclate une grève autonomiste en Wallonie : assez rapidement son leader André Renard lance le mot d'ordre du fédéralisme. Attention, dans une Belgique alors aussi centralisée que la France et dont la capitale pesait sur ses habitants bien plus que n'a jamais pesé Paris sur la France, c'était vraiment quelque chose de révolutionnaire. Or les syndicats français qui au départ s'étaient enthousiasmés pour cette grève «belge», jugent sévèrement cette orientation donnée au mouvement, pourtant donnée par un leader ouvrier authentique, même si celle-ci a été aussi vivement critiquée par l'extrême-gauche en Wallonie. Pas par toute l'extrême-gauche cependant, car certains trotskistes admettent qu'il n'y a personne qui, durant la grève, pouvait se situer à gauche d'André Renard. Michel Pigenet écrit : «La dimension fédéraliste du conflit intrigue les militants français tentés d'y déceler une dérive aussi regrettable qu'incongrue [...] L'incompréhension reste totale le 19 janvier, quand Raymond Guyot [communiste français] fait sien le réquisitoire du PCB [Parti communiste belge] contre le «mot d'ordre de séparation de la Wallonie et de la Flandre».[[Michel Pigenet, Entre solidarité et principe, opportunité stratégique et incompréhension, Le PCF et la CGT face à l'imbroglio des grèves belges de l'hiver 1960-1961 dans Benard Francq, Luc Courtois, Pierre Tilly (directeurs), Mémoire de la grande grève de l'hiver 1960-1961 en Belgique, Le Cri, Bruxelles, 2012, p. 54-65, p. 63.]] »
Le cas intéressant de la grève de 1960-1961
On le voit, ce rejet de la Wallonie —du moins de la Wallonie politique—, est une constante politique française. Même si le livre que j'ai cité signale aussi d'autres intellectuels français comme André Gorz en appelant à une «République socialise de Wallonie»[[Bernard Francq, Luc Courtois, Pierre Tilly (directeurs), Mémoire de la grande grève de l'hiver 1960-1961 en Belgique, p. 71.]]. On me dira évidemment que les Wallons auraient pu ne pas tenir compte de ces réticences françaises et continuer comme ils l'entendaient.
Mais d'une part, c'est bien ce qu'ils ont fait. Il est difficile d'expliquer autrement que par la prise en compte par le plus important syndicat de Wallonie —la FGTB, qui d'ailleurs s'affirme clairement comme un syndicat wallon dans les domaines régionalisés et tout en gardant pour le reste les liens avec ses homologues bruxellois et flamands—, le fait que le fédéralisme en Belgique est tout autant un fédéralisme reposant sur trois Régions qu'un fédéralisme purement communautaire lié seulement aux langues parlées (qui reposent à 99% [[La Communauté germanophone représente moins d'un % de la population belge.]] sur deux Belgique, la francophone et la néerlandophone). Pourquoi? Parce que le reste du monde politique wallon autre que socialiste a toujours été réticent face au fédéralisme. Il fallait bien que ce monde politique très hostile à l'idée d'autonomie wallonne accepte l'exigence d'une Belgique à deux voulue par les Flamands (qui partagent toujours aujourd'hui cette vision), car on ne peut pas mener une politique en Belgique contre la Flandre, majoritaire démographiquement depuis toujours et de plus en plus aujourd'hui politiquement et économiquement.

Mais ce même monde politique wallon de droite a, par contre, durement combattu l'autonomie de la Wallonie et même l'idée d'un fédéralisme fondé non sur la langue, mais le territoire, bien que celui-ci soit véritablement la marque de fabrique wallonne dans le fédéralisme belge. Plutôt que de donner des références, je mettrai en avant un souvenir personnel : lors de la première réunion d'un Parlement wallon (et non pas francophone), tout provisoire à Wépion en 1979, réunion auquel j'assistais, le comportement des élus démocrates-chrétiens avait quelque chose de décourageant. Je me souviens que le chef du groupe démocrate-chrétien fit un discours pour souligner l'importance tout à fait secondaire du pouvoir politique qui naissait alors.
Et, d'autre part, la Wallonie, voisine de la France dont elle partage à peu près tout sur le plan linguistique, culturel et médiatique, est forcément influencée —idéologiquement dirais-je—, par son grand voisin dont tout indique qu'il ne comprend rien à rien à ce qui se passe chez nous. Et d'ailleurs l'avoue clairement très souvent, partant de l'idée que «les choses sont complexes». Alors que dans la littérature de langue anglaise (historique, sociologique, économique), la question wallonne est bien comprise, chez nos amis français, elle ne l'est pas et d'ailleurs rares sont les chercheurs qui s'y intéressent vraiment. Tandis que même pour les sujets les moins connus du mouvement autonomiste wallon, on trouve très vite de bonnes études, comme ici sur le Manifeste pour la culture wallonne, en . Et même si la recherche en langue anglaise est forcément plus vaste, il ne faut quand même pas oublier la position très «française» de la Wallonie en Europe.
La France vient au secours des belgicains
Il existe même une situation tout de même fort étrange sur la Wikipédia de langue française. Alors que si on consulte cette encyclopédie on peut avoir l'impression que le mot lui-même de Wallonie n'est connu qu'en (on y voit clairement que la Wallonie est connue dans le monde entier). Cette encyclopédie, contrairement à l'encyclopédie de langue française, ne considère pas (aussi absurdement que ne le fait l'encyclopédie française), que «Wallonie» serait un cas d'homonymie, susceptible de «desambiguation».
Tout cela est d'autant plus étrange qu'il y a au fond des Belges les plus nationalistes et les plus à droite (qui sont souvent les plus antiwallons), une véritable haine de la France, mêlée d'envie, de rejet de la laïcité, de détestation de la République, du plus réactionnaire cléricalisme en certains cas.

Ceci dit, en dépit du caractère tout de même écrasant de l'influence française (dont Wikipédia est peut-être l'exemple le plus étonnant), les Wallons appartiennent à une société qui, elle, est vraiment très différente de la France [L'erreur des partisans de la réunion de la Wallonie à la France est de ne pas s'en rendre compte.]]. Les rapports entre les interlocuteurs sociaux y sont institutionnalisés par cette sorte de «Sénat» wallon qu'est le [Conseil économique et social où siègent patrons, syndicats, agriculteurs et travailleurs indépendants. Le rapport avec les différentes immigrations n'est pas non plus le même car ces immigrations ont profondément modifié le visage de la Wallonie, à son avantage d'ailleurs. On dit d'ailleurs parfois que ce serait cette situation de «mélange» qui affaiblirait l'identité wallonne, mais je pense le contraire. Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas de racisme en Wallonie : ce phénomène s'identifie toujours à une classe moyenne crispée sur elle-même et intolérante à autrui. Ce qui nous menace tous.
Ce qui est plus grave, c'est que les Wallons n'osent pas «se dire» dans leur langue, le français. C'est à un tel point vrai que le mot même de «Wallonie» bien qu'il ait été à l'unanimité désigné tant par le Gouvernement wallon que par le Parlement wallon comme le nom officiel du pouvoir politique wallon (au lieu de «Région wallonne»), est toujours considéré comme illégal ou à tout le moins «officieux», même par certaines autorités intellectuelles[Etienne Arcq, Vincent de Coorebyter, Cédric Istasse, Fédéralisme et confédéralisme, CRISP, Bruxelles, 2012, p. 46.]], cela parce que c'est ainsi que la Constitution belge la nomme ainsi, alors que pourtant, ce n'est pas à la Constitution belge de donner [le nom qui désigne les entités fédérées. Ces questions de vocabulaire révèlent bien le malaise absurde qui affaiblit les Wallons et qui ne provient pas seulement de la fragilité de la Wallonie mais d'un monde belge qui lui est réellement hostile.

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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