La Wallonie se redressera par elle-même

Chronique de José Fontaine

Les partis politiques belges, tant wallons et francophones que flamands sont en train de former un gouvernement, alors que la crise qui avait amené la dissolution des Chambres date d'avril 2010, suivie des élections de juin. Cette crise qui dure depuis 16 mois, sans que le gouvernement belge soit un gouvernement de plein exercice, s'explique sans doute par ce qui a provoqué la crise d'avril 2010, soit le statut de l'arrondissement de Bruxelles-Halle-Vilvorde.
Les conflits symboliques sont les plus difficiles à résoudre

Voilà la carte qui permet de comprendre cette question qu'on abrège en disant BHV (Bruxelles est en rouge sur la carte, la partie flamande de l'arrondissement en bleu et les six communes à facilités autour de Bruxelles en rouge foncé). La frontière linguistique a d'abord été tracée une première fois en 1932 puis définitivement fixée en 1962. Elle délimitait le territoire de la Flandre, de la Wallonie et de la région bilingue de Bruxelles. En fait ces trois Régions n'ont été instituées qu'en 1980 (1989 pour Bruxelles: je ne parlerai pas ici des communautés, le territoire de la Communauté germanophone qui est en partie aussi une Région date de 1974 mais il concerne une population moindre : de 70.000 habitants). Plusieurs anciennes institutions belges ont continué à chevaucher cette frontière comme la province de Brabant finalement scindée en trois tronçons sans beaucoup de conflits et donnant naissance au Brabant flamand, au Brabant wallon, la Région de Bruxelles reprenant toutes les compétences de la province de Brabant ancienne pour ce qui est du territoire bruxellois.
Restait l'arrondissement judiciaire et électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde. Dans cet arrondissement (les provinces wallonnes et flamandes, autrefois belges, sont subdivisées en arrondissements administratifs qui peuvent être aussi des arrondissements judiciaires et électoraux). Dans le cas de BHV, il y avait trois cas différents. La Région bruxelloise qui devient de plus en plus une région à part entière à l'instar de la Flandre et de la Wallonie. Les six communes dites « à facilités» où les francophones jouissent de plusieurs droits importants depuis un compromis intervenu en 1962, d'écoles entre autres, mais qui font partie du territoire de la Flandre quoique à majorité écrasamment francophone (ces communes sont gouvernées par des collèges échevinaux majoritairement francophones pour la plupart). Enfin le reste de l'arrondissement avec des communes où les francophones sont en nombre et obtiennent des élus au niveau communal mais aussi aux élections fédérales et régionales. L'accord en vue de la formation d'un gouvernement prévoit que les habitants des six communes, en dépit de la scission de l'arrondissement, pourront continuer à voter pour des candidats de l'arrondissement de Bruxelles. Faculté qui sera désormais refusée au reste des habitants de BHV, mais qui jouiront encore de droits spécifiques dans leurs rapports avec la Justice. Certains disent que les francophones auraient capitulé. Mais ils ne peuvent le dire qu'en fonction de leurs rêves qui était de voir s'élargir Bruxelles à tout ou partie de BHV, ce qui aurait signifié la francisation rapide de cet arrondissement dans lequel les Flamands, défendant leur langue, se défendent tout simplement comme les Québécois à Montréal. Le poids énorme de la capitale belge est un facteur puissant de francisation (il ne reste plus que peu de Flamands à Bruxelles), de la Flandre contre lequel celle-ci doit se défendre, exactement comme le Québec se défend contre l'anglais. En outre, les francophones les plus radicaux de Bruxelles, rassemblés dans le FDF (qui s'est séparé des libéraux wallons et bruxellois qui ont accepté l'accord comme les autres Wallons), ont souvent tenu des propos visant à élargir Bruxelles non seulement à la Flandre, mais aussi à la Wallonie.
De vieilles questions
A mon sens, les droits des francophones de la périphérie sont bien respectés par cet accord. Quand on est en démocratie, il faut admettre que l'on ne puisse pas faire perdre la face à son adversaire et qu'on ne puisse pas lui arracher des concessions qui le mettent en cause vitalement. Ce qui se serait passé si le territoire de la Flandre (comme le FDF le demandait), soit amputé d'un grand nombre de communes, la Wallonie passant sans doute à la casserole en même temps. Ces questions de langue sont anciennes. Elles sont même plus anciennes que la constitution de l'Etat belge lui-même. Lors de la Contre-Réforme catholique aux XVIe et XVIIe siècles, dans les Pays-Bas alors espagnols, amputés des Provinces unies calvinistes à la suite de la longue lutte nationale et religieuse de la Hollande contre les Espagnols catholiques, des ordres religieux comme les capucins et les jésuites s'investirent massivement. Non seulement dans la prédication, le culte, mais aussi diverses tâches qui étaient celles de l'Eglise alors, comme l'assistance aux pauvres, aux malades, l'enseignement et même la lutte contre les incendies. On estime qu'alors l'ensemble de ces religieux formaient 3% de la population totale des Pays-bas restés catholiques et espagnols, soit à peu près l'actuelle Belgique moins la conquête sanglante de territoires que Louis XIV estimait nécessaire à sa «gloire», soit l'actuel Nord-Pas-de-Calais. Ce qui est remarquable c'est que face à la diversité linguistique de la population, les deux grands ordres religieux créèrent dès le début du XVIIe siècle une province de Wallonie et une province de Flandre, délimitant ainsi sur le terrain, non certes politiquement, mais à quelques égards administrativement et socialement, le territoire des deux plus grandes Régions belges actuelles.

Dès la création de la Belgique, un historien wallon démontrait lumineusement que la partie wallonne et la partie flamande étaient bien délimitées. D'ailleurs si, lorsque la Belgique fut française (1795-1815), la République puis l'Empire lancèrent une politique assez dure de francisation de la Flandre, lorsqu'elle devint ensuite hollandaise (1815-1830), le roi de Hollande tenta seulement de préserver le caractère flamand ou néerlandais de la Flandre, créant d'ailleurs la première frontière linguistique à signification politique en 1820, pour reculer ensuite.
Dans l'Etat belge de 1830, les élites étaient toutes francophones, flamandes comme wallonnes. Elles dominèrent en français toute la vie politique, économique et sociale. On s'orientait vers une Belgique devenant intégralement francophone (l'ancienne grande colonie belge, le Congo, le pays francophone le plus peuplé du monde - même si toute sa population ne parle pas le français - , est un produit de cette situation). La langue parlée par les Flamands fut méprisée de même que les Flamands eux-mêmes par cette élite sociale dont la férocité exploiteuse de la classe ouvrière (en Wallonie plus particulièrement) a frappé les observateurs étrangers (Marx, le Professeur Martin Conway entre autres).
La revanche flamande
Dès l'instauration du suffrage universel (à la suite d'une violente grève en Wallonie en 1893, qui fit notamment sept morts au lieu dit Pont-Canal, à Jemappes, où je suis né), la Flandre flamande ou flamingante reprit du poil de la bête. Elle mit en place une longue et patiente stratégie de revanche et de reflamandisation de la Flandre, à la faveur de son poids démographique qui lui permit d'occuper la plupart du temps, soit quasi tous les postes ministériels des gouvernements belges (situation de 1884 à 1914), soit les postes stratégiques principaux (économie, agriculture, finances). La Flandre visait, à travers cela, à renforcer l'influence de sa langue. Cela parfois même au détriment de la Wallonie dont n'émanaient cependant pas vraiment les élites qui la méprisaient (et qui, avec le suffrage universel, avait permis au fond à la Flandre de l'emporter). C'est ainsi par exemple que la prépondérance flamande permit d'empêcher la ville wallonne de Liège à conforter son grand port fluvial (le troisième d'Europe) par des liaisons par voie d'eau avec Rotterdam, port hollandais rival du port flamand d'Anvers. Même si les difficultés de la Wallonie ont aussi des causes internes, le professeur Quévit a pu montrer lumineusement que la prépondérance politique de la Flandre, animée par cette volonté (certes légitime) de renforcer sa langue, allait causer à la Wallonie de graves mécomptes, la Flandre s'adjugeant longtemps l'essentiel des ressources de son développement parfois très clairement au détriment de la Wallonie

L'échec de la grève générale autonomiste de 1960
C'est face à cela qu'est née la revendication du fédéralisme en Wallonie, principalement durant la grande grève de 1960-1961, durement réprimée par un gouvernement à large prépondérance flamande qui fit pratiquement occuper la Wallonie par des dizaines de milliers de militaires (police d'Etat et soldats proprement dits).

Les gendarmes tuèrent, blessèrent et emprisonnèrent, cassant la revendication autonomiste wallonne. Quelques années plus tard, la Flandre dépassait économiquement la Wallonie et quelques années plus tard encore, dès la fin des années 70, la Flandre fit valoir que la Wallonie lui coûtait trop cher (il n'avait pas fallu attendre longtemps pour qu'elle exploite son avantage économique!).
Sans aucune chance de se redresser dans l'Etat unitaire, les Wallons, malgré l'échec de la grève de 1960, réclamèrent l'autonomie économique de la Wallonie qu'ils n'allaient obtenir qu'à partir de 1980, et, de manière substantielle, au milieu des années 90. C'est seulement à partir de là que les gouvernements wallons successifs purent lancer des plans de redressement dont l'actuel baptisé «Plan Marshall» (politique à très long terme), semble porter des fruits.
Les Flamands se plaignent de payer pour une Wallonie qu'ils ont affaiblie
Les Flamands continuent cependant à se plaindre du fait que d'importants transferts (via les impôts et la sécurité sociale), continuent à s'opérer vers une Wallonie qu'ils ont contribué cependant à appauvrir et qui demeure aussi, parmi tous les pays du monde, le meilleur client des produits flamands, ce qui, on en conviendra, relativise fort la dépendance de la Wallonie à l'égard de la Flandre. Cela la relativise pour d'autres raisons encore: d'abord la Flandre ne peut pas se permettre de perdre Bruxelles et une indépendance de la Flandre déclarée unilatéralement lui ferait perdre Bruxelles dont les communes sont gouvernées quasi exclusivement par des Bruxellois francophones, ceux-ci étant prépondérants dans le gouvernement de la Région. En outre la crise financière endémique dont souffre l'Europe et le monde mène les flamands les plus radicaux à envisager l'indépendance flamande par la seule voie possible, celle de la négociation. Tout le processus de transformation (dissolution?) de l'Etat belge montre - et en particulier la longue crise que l'on vient de subir - que la Flandre ne pourra jamais avancer vers l'indépendance qu'en négociant avec ses adversaires qui désirent eux aussi avancer sur la voie de l'autonomie, mais pas aux conditions flamandes unilatéralement imposées. L'accord vers lequel on s'oriente prévoit d'importants transferts de compétences vers les Régions, donc aussi vers la Wallonie. D'ores et déjà on considère que l'Etat fédéral ne gère plus 50% des compétences étatiques (1). Cette proportion va encore se réduire, ce qui entraîne que la Wallonie disposera d'instruments encore plus importants pour opérer son redressement et réduire les trop graves poches de chômage des régions de vieille industrialisation. Il n'y a d'ailleurs pas que la politique de redressement: la FGTB wallonne pose la question de savoir si les importantes réductions des cotisations patronales (plus d'un milliard d'€ par an pour la seule Wallonie), qui sont peut-être une politique à mener dans une région riche comme la Flandre, sont vraiment une politique à mener dans une région qui subit des difficultés économiques, puisque ce sont des milliards gaspillés en vain par les autorités publiques, en tout cas en vain pour relancer l'économie. D'autres politiques de réductions des impôts sont aussi menées sans véritable stratégie adaptée à la Wallonie, comme les intérêts dits « notionnels» (les entreprises investissant sur leurs fonds propres bénéficient de remboursements comme si elles empruntaient). Enfin l'épargne des ménages wallons est très élevée, l'une des plus élevées d'Europe (160% du PIB régional), mais elle n'est pas collectée par des organismes de crédit public qui auraient une politique de développement wallon.
Les Wallons et l'élargissement de Bruxelles
Pour toutes ces raisons, fondamentalement, la Wallonie ne pouvait véritablement pas soutenir le combat pour l'élargissement de Bruxelles, mené soi-disant e fonction des droits des Francophones habitant en Flandre dans des régions où ils alors dominent et où le prix moyen des villas peuvent atteindre 700.000 d'€ alors que dans les deux grandes villes wallonnes, Liège et Charleroi, les maisons valent moins que 100.000 € ou juste un peu plus.


Cela ne remet pas en cause le droit des gens riches à jouir de leurs droits, bien entendu! Mais la minorité francophone autour de Bruxelles est une minorité si riche, dans un pays où le français continue à dominer, qu'il y a quelque chose de scandaleux à ce que leur statut ait occupé à ce point l'agenda politique, alors que muerent de misèrent dans les grandes villes wallonnes des chômeurs dont le nombre peut atteindre 20 à 30% de la population active. La « lutte » à mener contre la Flandre doit surtout porter sur ces points-là, plutôt que sur de vains affrontements linguistiques dans la périphérie de Bruxelles. Certains rêvent de solutions venant de l'étranger, comme de la France par exemple, alors que, dans le contexte belge qui restera le sien longtemps encore (même les plus radicaux des Flamands et des Wallons ne veulent et surtout ne peuvent faire éclater la Belgique), la Wallonie devra compter sur ses propres forces. Toutes les grandes organisations sociales organisées en Wallonie - le grand patronat, les syndicats d'ouvriers et d'employés, le patronat des PME, les agriculteurs - soutiennent le Plan Marshall de redressement wallon qui est aussi bénéficiaire de l'appui des trois grandes universités régionales (Liège, Louvain et l'ULB). Et enfin des partis politiques représentés au Parlement wallon.
On souhaiterait cependant que les dirigeants wallons adoptent un ton plus mobilisateur à l'égard de la population qui ne me semble pas bien comprendre ce qu'ils veulent. Car sans le concours de celle-ci, rien ne sera possible. Il y a des doutes à avoir sur la capacité mobilisatrice de la classe politique wallonne actuelle dont l'inertie est inquiétante. Qui tend à vivre repliée sur elle-même, qui est souvent trop timidement wallonne au point d'éviter même tout terme disant l'étendue de l'autonomie wallonne actuelle au point d'éviter même des mots comme «Etat fédéré» alors que les spécialistes admettent que la Belgique est déjà en grande partie une unité confédérale...

(1) François André a résumé ici la situation actuelle tant au point de vue interne qu'externe, soit la prolongation des compétences des Régions belges sur la scène internationale

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    8 octobre 2011

    Merci, José pour cette étude très fouillée. J'imprime et je relis!
    André Verlaine