La nationalisation du pétrole au Québec

Chronique de Bernard Desgagné

La population se plaint que les pétrolières font trop de profit. Les médias en font un scandale. Certains politiciens proposent de contrôler le prix de l'essence. Tout le monde s'agite, mais peu de gens vont au fond des choses.
Les profits scandaleux des pétrolières et la frustration des consommateurs seraient pourtant l'occasion de faire une réflexion utile. Quelle est exactement la place du capitalisme dans le développement des sociétés et dans l'épanouissement de l'être humain? Quand le secteur privé a-t-il un rôle à jouer? Quand est-il en revanche nécessaire de règlementer ses activités ou encore de l'exclure d'un domaine en particulier?
Il se trouve malheureusement des gens, comme le ministre fédéral de l'Industrie, Maxime Bernier, pour défendre bec et ongles l'idée que la liberté quasi totale du capital est garante de la liberté des êtres humains. M. Bernier confond les profits d'une petite minorité avec la liberté du peuple. Sa religion est la loi du plus fort. La désunion fait la force. Moi Tarzan, toi Jane.
À l'inverse, je suis de ceux qui croient fermement que le capitalisme est un outil de développement et de libération, et non une fin en soi. Le péril environnemental et les inégalités croissantes sur la planète prouvent que la main du marché n'est pas magique et que l'État et les autres acteurs sociaux doivent veiller au grain pour dompter le capital lorsque son caractère sauvage devient une menace.
Les abus des grandes pétrolières sont une démonstration patente d'une mauvaise utilisation du capitalisme. Le secteur privé ne devrait pas être le maitre d'oeuvre de l'exploitation du pétrole, ni d'ailleurs de l'exploitation des ressources naturelles en général. Le rôle du secteur privé est d'avoir des idées et de l'initiative. Le secteur privé doit mettre en valeur les richesses, et non les piller pour se remplir les poches rapidement. C'est relativement simple de prospecter la terre et d'y creuser des trous. Ça l'est beaucoup moins d'inventer de meilleurs moyens pour ce faire ou de trouver des façons d'économiser ou de recycler les ressources. Alors, quand il n'y a aucune règle et que le marché est complètement libre, les pillards en profitent. Le rendement pour les actionnaires est ainsi bien supérieur et les risques sont moins élevés que lorsqu'il faut réinvestir une grosse partie des bénéfices en recherche, en formation et en protection de l'environnement.
Lorsque René Lévesque a voulu nationaliser l'électricité, la classe dirigeante lui a dit que c'était de la folie, à commencer par Jean Lesage. Évidemment, bien des riches fainéants risquaient ainsi de perdre une vache à lait, alors ils se sont mis à faire peur au peuple. Comme Maxime Bernier et ses frères spirituels conservateurs, adéquistes et libéraux, ils se sont mis à abreuver la population de clichés: le secteur public est inefficace; le capital va fuir le Québec; il y aura des pertes massives d'emplois; la concurrence garantit des prix bas pour les consommateurs.
Or, que s'est-il passé? Il s'est passé qu'Hydro-Québec est devenue un formidable instrument de développement économique. Le prix de l'électricité au Québec est stable et parmi les plus bas au monde. L'approvisionnement est fiable. Le secteur privé a pu vendre des appareils et des machines à Hydro-Québec. Les entreprises aujourd'hui sont heureuses de pouvoir s'établir au Québec en sachant qu'elles ne se feront pas couper le courant à tout bout de champ comme c'est le cas par exemple en Californie. Bref, la nationalisation de l'électricité est loin d'avoir ralenti le développement économique. Elle a plutôt orienté les investissements du secteur privé et l'exploitation des ressources naturelles de manière à bien servir l'intérêt général plutôt que l'intérêt de quelques riches actionnaires peu inventifs.
Au lieu de songer à des mesures de contrôle des prix, l'État québécois pourrait nationaliser le secteur pétrolier comme il l'a fait jadis pour l'électricité. L'approvisionnement en énergie devrait être un service public. Les ressources naturelles ne sont pas faites pour être pillées, mais bien pour être exploitées sagement et rationnellement, surtout lorsqu'elles ne sont pas renouvelables et lorsque leur consommation est une source importante de pollution. Mais, vous allez me dire qu'il n'y a pas de pétrole au Québec. Je vous le concède, mais il y a quand même des raffineries. De plus, rien n'empêcherait par exemple la Caisse de dépôt ou une nouvelle SOQUIP d'acquérir une société pétrolière oeuvrant à l'étranger. Le Québec pourrait ainsi, au même titre que la France, qui n'a pas de pétrole elle non plus, garantir son approvisionnement.
Si l'État québécois nationalisait le pétrole, les profits de la vente de l'essence reviendraient en quelque sorte aux Québécois, comme c'est le cas avec l'électricité. Le prix pourrait être plus stable et on pourrait établir dans la loi des mécanismes obligeant l'éventuelle société nationale du pétrole à rendre des comptes au peuple québécois. De plus, l'État québécois pourrait se servir d'une bonne partie des profits pour mettre en oeuvre de véritables mesures d'économie d'énergie. Il pourrait par exemple favoriser le transport en commun et le transport ferroviaire.
Mais surtout, au lieu de piller la planète et d'exploiter les consommateurs, le secteur privé pourrait jouer le rôle qui lui revient vraiment: innover, créer et mettre en valeur.
Bernard Desgagné

Gatineau


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    25 mai 2007

    Bien que les coûts exorbitants des produits pétroliers puissent déconcerter les consommateurs, il n'en demeure pas moins vrai que lorsqu'il y a une hausse de la demande au même moment qu'une baisse de l'offre, il ne peut s'ensuivre qu'une hausse majeure des prix.
    Léo-Paul Lauzon, ardent partisan de la nationalisation du pétrole, pointe du doigt les profits colossaux des pétrolières Shell et Esso, minimisant du même fait un constat pourtant bien réel : « Les pays producteurs hors de l'OPEP épuiseront rapidement leurs réserves, soit dans une quinzaine d'années, à moins que de nouvelles découvertes importantes ne soient faites »1. Les travaux de recherche du géophysicien Marion Hubbert King démontrent de façon claire et logique, par la courbe que suit l'évolution des niveaux de production de pétrole au fil des années, que ceux-ci diminuent maintenant au même rythme que leur précédente et fulgurante croissance. Ce « pic de Hubbert » s'explique par les difficultés d'extraction encourues lorsque le gisement a dépassé ce point, faisant considérablement augmenter les coûts de fabrication. Le scientifique avait, en 1970, prédit ce pic de production aux États-Unis, ce qui rend d'autant plus légitime la validité de sa thèse.
    Dans un second temps, il serait important de se poser la question suivante : « Un commerce aussi gigantesque devrait-il, dans la société québécoise, voir son monopole détenu par les autorités étatiques ? ». En se basant sur la confiance de l'électorat envers les élus politiques, il est aisé de répondre à cette question. Tout le monde se rappelle bien l'époque où Paul Martin siégeait au ministère fédéral. Les fonds encaissés des poches des contribuables ont été gaspillés durant la campagne électorale du PLC. Si un parti politique a la conscience négligeable au point de contribuer à une telle profanation, pourquoi n'aurait-il pas le pouvoir, la volonté et le malice d'attenter au bien public et de l'utiliser à des fins douteuses ?
    Bref, il me semble clair qu'une telle entreprise n'est pas la solution au problème des prix offerts par les stations services ou leurs fournisseurs. Elle empêcherait l'épanouissement de la liberté indivuelle au profit de gens ne méritant pas un tel contrôle des marchés pétroliers.
    Maxime Bergeron
    Montréal