La langue, c’est aussi de la politique

PQ et bilinguisme


Si les articles consacrés aux questions de langues dans Le Monde diplomatique ne passent pas inaperçus, les rassembler dans une livraison de Manière de voir (1) leur donne une tout autre portée en introduisant la dimension linguistique dans le débat politique. Complétés par une chronologie, des documents, des références à des ouvrages et à des sites, ainsi que par une iconographie originale à partir d’un conte de Rudyard Kipling, ces quelque trente articles dont plusieurs inédits mettent en évidence le rôle des langues dans la géopolitique mondiale.
Une série de contributions porte sur des situations que l’on peut, au sens large, qualifier de conflictuelles dans la mesure où plusieurs langues ou variétés de langues sont en présence, et où leur usage s’insère dans des rapports sociaux, des relations de pouvoir ou des phénomènes identitaires : ainsi pour la Catalogne, le Québec, Malte, la Belgique, le Paraguay. Les auteurs s’emploient à montrer comment ces « conflits » sont ou peuvent être résolus. Jacques Derrida décrit la tentative du philosophe Theodor Adorno de situer le nouveau rôle de la langue allemande dans l’Allemagne contemporaine. Edward W. Said explique la gestion complexe des différentes variétés d’arabe, notamment dans la vie politique.
La coexistence des langues, surtout quand l’une d’elles est issue de la colonisation, induit des choix difficiles, mais qui peuvent être assumés, comme en témoignent les écrivains Assia Djebar, Albert Memmi et Tahar Ben Jelloun. Plusieurs articles évoquent le rôle que la francophonie pourrait jouer en faveur d’une multipolarité planétaire. La parole est donnée à plusieurs acteurs anciens (comme Philippe Rossillon) et actuels (comme Abdou Diouf) de ses institutions. On formulera un regret : la faible part que, paradoxalement, les questions linguistiques occupent dans les activités des institutions francophones aurait mérité d’être davantage pointée.
Les débats très vifs sur l’usage véhiculaire de l’anglais et les stratégies de rechange constituent la partie la plus développée de la publication. Ce n’est pas la langue anglaise elle-même qui est mise en cause, mais, comme le souligne Bernard Cassen, son usage comme vecteur de la mondialisation néolibérale, et ses agents ou relais, politiques, économiques, médiatiques, en particulier en France. Les pratiques des grandes entreprises et celles qui ont cours dans les milieux de la recherche sont mises à nu, avec des témoignages de syndicalistes et des contributions de scientifiques, notamment Jean-Marc Lévy-Leblond.
Parmi les possibilités de résistance, l’accent est mis sur les proximités linguistiques, particulièrement entre communautés et locuteurs de langues romanes. Leur prolongement pédagogique devrait être l’apprentissage de l’intercompréhension au sein de chaque famille de langues. La résistance peut aussi passer par la volonté du législateur. La portée des textes s’apprécie dans l’usage qui en est fait, et donc dans le temps. Ainsi la loi Toubon de 1994, raillée par certains médias et par une partie de la gauche de l’époque, constitue actuellement un recours en matière de droit au travail, à l’information, à la santé.
Il y a vingt ans, le multilinguisme (ou plurilinguisme) apparaissait comme le fondement d’une autre voie, telle que la propose José Vidal-Beneyto dans une contribution datant de 1989. Aujourd’hui, tout le monde s’en réclame officiellement, jusques et y compris les institutions européennes (qui sont pourtant très loin de donner le bon exemple en la matière), au point que la Commission annonce, pour 2008, un plan stratégique pour le multilinguisme...


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