La gestion de risques

L'affaire de la CDP - commission parlementaire

Monique Jérôme-Forget a encaissé l'injure sans broncher, mais on sentait la moutarde lui monter au nez, et pour cause. En se présentant devant la commission parlementaire, hier matin, la ministre des Finances savait très bien qu'elle allait passer un mauvais quart d'heure, mais de là à se faire brutalement traiter d'incompétente par un député péquiste qui en est à ses premières armes en politique...
Même s'il est un spécialiste de la gestion de portefeuilles, Jean-Martin Aussant a peut-être poussé un peu fort en évoquant avec condescendance son diplôme en psychologie, mais Mme Jérôme-Forget a elle-même manifesté un mépris inacceptable quand elle a qualifié d'«enfantillages» les questions du député adéquiste François Bonnardel, qui lui demandait si elle se reconnaissait une responsabilité dans les résultats désastreux de la Caisse de dépôt.
Il est vrai que, dans un dossier aussi complexe, le simplisme peut devenir exaspérant, et Mme Jérôme-Forget y est carrément allergique. C'est toutefois une chose avec laquelle tous ceux qui décident de faire de la politique doivent apprendre à composer. Les questions de M. Bonnardel semblaient peut-être naïves aux yeux de la ministre des Finances, habituée à la valse des milliards, mais le commun des mortels les trouve certainement légitimes.
Avant d'accepter la tenue de la commission parlementaire, qui le ferait inévitablement mal paraître, le gouvernement s'était assuré que la nomination-surprise du nouveau président et chef de la direction de la Caisse viendrait faire diversion. Encore aurait-il fallu s'assurer de ne pas alimenter la grogne.
Avec la nomination de Michael Sabia, dont le passage à BCE a été apprécié diversement, pour dire le moins, il pourrait maintenant se retrouver avec deux problèmes pour le prix d'un. Pour reprendre une expression fréquemment utilisée ces jours-ci, ce sont les aléas d'une politique de «gestion de risques».
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Inévitablement, plusieurs interpréteront ce choix comme un relent de colonialisme et une démonstration qu'aux yeux du gouvernement, il n'y a pas de Québécois francophone suffisamment compétent pour gérer la Caisse de dépôt et qu'il a donc fallu recruter un Ontarien qui a choisi de s'établir dans la Belle Province.
Hier, le nouveau président du conseil d'administration de la Caisse, Robert Tessier, littéralement ébloui par sa nouvelle recrue, semblait même surpris qu'un candidat aussi «extraordinaire» ait accepté d'en prendre la direction, comme s'il s'agissait d'une binerie, tandis que Bernard Landry criait déjà à la provocation.
Avec ce nouveau coup de théâtre, le débat sur les orientations de la Caisse va prendre une nouvelle tournure. En commission parlementaire, il a été stupéfiant d'entendre Mme Jérôme-Forget expliquer qu'il appartenait à la direction de la Caisse d'interpréter elle-même le mandat que la loi adoptée en 2004 lui a assigné.
Puisque le gouvernement ne veut pas s'en mêler, comment le nouveau président de la Caisse, dont la culture socioéconomique semble très différente de celle de ses prédécesseurs, concevra-t-il la contribution de la Caisse au développement du Québec? En conférence de presse, M. Sabia a expliqué qu'il entendait faire bénéficier la Caisse du dynamisme des PME québécoises, mais que cela constitue une idée dont il devra discuter avec le conseil d'administration avant d'être en mesure de l'expliquer.
Il a cependant laissé clairement entendre qu'il ne mesurerait pas la contribution de la Caisse à l'importance de ses investissements. Il ne semble pas davantage estimer qu'il lui appartient de faire en sorte que les sièges sociaux des grandes entreprises demeurent au Québec.
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On peut au moins espérer que son expérience à Ottawa, avant de faire carrière dans le secteur privé, rendra M. Sabia plus attentif aux avertissements de la Banque du Canada, qui avait conseillé dès 2007 au ministère des Finances du Québec d'être prudent avec les papiers commerciaux adossés à des actifs (PCAA).
En commission parlementaire, Mme Jérôme-Forget a été incapable d'expliquer que cet avertissement n'ait eu aucun effet. Cela fait partie des innombrables questions qu'elle a demandé à l'opposition d'adresser plutôt à Henri-Paul Rousseau quand il viendra témoigner à son tour.
Qu'il s'agisse de la politique de gestion de risques, de la politique de rémunération ou même des fonds gérés par la Caisse, qui relèvent de son propre ministère, Mme Jérôme-Forget a manifesté un manque d'intérêt qu'un esprit le moindrement soupçonneux pourrait facilement confondre avec de la mauvaise foi.
Vu son souci constant d'assurer à la Caisse la plus complète indépendance, on imagine ses sueurs froides en apprenant que celle-ci serait dirigée par un vieil ami du chef de cabinet du premier ministre Charest, Dan Gagnier, un autre ancien du Conseil privé.
Remarquez, cela permettra peut-être au gouvernement d'être mieux informé de l'état des fonds administrés par la Caisse, qui ont une incidence directe sur les finances publiques. L'ignorance dans laquelle il a été tenu durant la dernière campagne électorale a certainement été très mortifiante.
Mme Jérôme-Forget doit revenir témoigner devant la commission parlementaire après que les anciens dirigeants de la Caisse auront eux-mêmes comparu. Elle pourra alors renvoyer toutes les questions au nouveau président.


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