Henri-Paul Rousseau, Don Quichotte de la Caisse

Henri-Paul Rousseau professait sous serment qu’il ne cachait rien, sauf son incompétence, selon moi.

L'affaire de la CDP - commission parlementaire



La comparution de M. Henri-Paul Rousseau devant la commission parlementaire a permis de savoir que La Caisse de dépôt et de placement possédait des actions majoritaires dans Gaz Métro, sans doute à travers infragaz s.e.c. et Noverco. Ce fut peut-être la révélation la plus importante et la plus vraie de son long témoignage de six heures, que j’ai écouté avec patience et attention.
Au détour d’un exemple, en effet, pour prouver que ladite Caisse investissait dans des entreprises québécoises, il a laissé tomber nonchalamment qu’elle avait largement investi dans cette compagnie qui est à l’origine du projet Rabaska, port méthanier de gaz naturel liquéfié à Lévis, face à l’Île d’Orléans. Pas étonnant que Glenn Kelly, le promoteur, ait pu disposer d’autant d’argent pour soudoyer, brocanter, gangrener, corrompre et que Robert Tessier, son président alors en exercice, soit devenu le président du nouveau conseil d’administration de la Caisse. Avec toutes ses tentacules, Gaz Métro ratisse large dans les hautes sphères des décideurs de toute nature, publics ou privés.
Rien ne se perd. Tout semble survivre dans cette étrange société québécoise, dont nous ne sommes que des “nègres blancs”, dirait Pierre Vallière, réduits à payer des impôts pour que monsieur Rousseau touche un salaire de deux millions, obtienne des primes de rendement de sept millions et une gratification de séparation, pour son départ volontaire. Les victimes de Gaz Metro, par contre, surtout celles qui sont situées dans un rayon de 1,5 km, autour de Rabaska, n’auront droit à aucune considération des ministres et des députés du parti au pouvoir. Leur pétition, signée par 92% des 125 familles concernées, a été déposée à l’Assemblée nationale le mardi 19 mai 2009. Elle risque, toutefois, de demeurer lettre morte. Ces résidants, profondément angoissés, souffrent sans cesse dans leur vie quotidienne, comme s’ils étaient devenus cancéreux, sans que le ministre Claude Béchard ne daigne manifester la moindre commisération. Il consent, tout au plus, à les écouter. Belle affaire ! Comme disait le député Bernier, il est tenu par la ligne du parti. Belle excuse !
Les interventions remarquables de François Legault, nombreuses, étayées, soutenues, à titre de représentant de l’opposition officielle, a déstabilisé M. Rousseau, sans lui enlever sa superbe et sa morgue. Une petite place a été laissée à Amir Kadir, par bonheur, pour qu’il situe le problème dans un contexte économique et politique plus large. Il a ainsi apporté un éclairage pertinent sur l’environnement idéologique de la Caisse. Malheureusement, son parti d’opposition ne comptait pas suffisamment de députés pour disposer du temps nécessaire pour exposer toute sa pensée. Il n’eut droit qu’à quelques maigres minutes, interrompues, de surcroît, par le président qui le réprimandait de traiter l’ex-président de la Caisse de “lâche”, ayant quitté le bateau en pleine tourmente. Il n’eut pas le temps de dire que la Caisse est alors demeurée sans président désigné et sans certains membres de son conseil d’administration. Pourtant, c’était une tempête que M. Rousseau a qualifiée de “parfaite”. On ne sait plus, à la fin, où loger la lâcheté, car lâcheté il y eut dans cette tempête parfaite.
Les mots ont-ils un sens ? Cette contradiction dans les termes est à l’image du personnage. Pour le député Khadir, “l'ex-président de la Caisse incarne cette «culture de la cupidité» des grands patrons qui empochent «des primes et des bonus”, qu'ils soient compétents ou incompétents, qu'ils fassent fortune ou qu'ils ruinent les cotisants». On aurait donc souhaité qu’il puisse aller au bout de son exposé. La réponse de l’ineffable Rousseau fut qu’il avait fait de “lourds sacrifices” pour venir travailler à la Caisse. Il faut le citer en entier, tellement c’est attendrissant : “J’ai laissé des millions de dollars pour venir servir les Québécois”. Quand on entend cela, on se demande quelle est cette “culture du service” qui coûte aussi cher et qui vide les coffres que nous ne cessons de remplir péniblement avec nos impôts ? C’est proprement ahurissant ! Plusieurs fables de Lafontaine acquièrent, ici, une portée très contemporaine, en particulier “Les vautours et les pigeons” (VII,9) ; “Le savetier et le financier” (VIII, 2).
On connaîtrait davantage, évidemment, les dessous de cette catastrophe de 40 milliards, aux frais des déposants, en particulier les caisses de retraite, si le livre de Mario Pelletier La Caisse dans tous ses états n’avait pas été victime d’un bâillon, d’une SLAPP, d’une censure ou d’une mise en demeure, au choix. Par qui ? Par la Caisse elle-même. On est alors réduit à faire nos propres recherches et à tenter de débusquer quelques lièvres bien cachés. Mais, on n’a pas la compétence de Mario Pelletier.
Henri-Paul Rousseau professait sous serment qu’il ne cachait rien, sauf son incompétence, selon moi. Mario Dumont savait, depuis le mois de novembre 1977, près d’un an avant la tempête parfaite, que la Caisse perdait près de 4 milliards dans “les papiers commerciaux” (La presse canadienne, 21 novembre 2007). Le premier ministre s’est contenté de le ridiculiser. M. Rousseau savait lui-même que la fiducie Coventree inc, vendait des PCAA synthétiques à la Caisse, c’est-à-dire des PCAA non garantis par des banques, puisque la Caisse dont il était le président, y était actionnaire. “La CDPQ (Caisse de dépôt et de placement du Québec) a joué des deux côtés de la clôture dans ce dossier, écrit Pierre Cloutier : en participant au financement d’un des prometteurs du PCAA (Coventree Capital inc de Toronto) et de sa partenaire au Québec (Alter Moneta), donc en étant "vendeur" du produit toxique, tout en étant "acheteur" pour 13.2 milliards$, soit 86% du PCAA au Québec et 60% au Canada” ([Vigile, 21 février 2009->18097]). Ce grossier conflit d’intérêts ne fut jamais évoqué. Henri-Paul Rousseau peut-il dire sous serment qu’il n’en savait rien ? La question ne lui a pas été posée. Comme Malroney, sans doute, il ne répondait qu’aux questions et dans leur sens le plus étroit.
Selon Pierre Coyette, ex-président de la Banque Laurentienne et ex-membre de la Caisse de dépôt et de placement, “ce fut une erreur d’analyse déficiente, une erreur de jugement, une erreur de concentration de risque exagéré et même une faute de dissimulation au Conseil d’administration”(Vigile, 30 mars 2009). Mais l’erreur fondamentale, selon lui, ce fut d’en avoir acheté. Les Teachers de l’Ontario ne l’ont jamais fait.
M. Rousseau s’est toujours contenté de confesser, non pas d’en avoir acheté, mais d’en avoir trop acheté. Dès 2002, pourtant, Moody’ et Standard & Poor’s refusaient d’annoter les PCAA. “L'investissement dans le papier commercial adossé à des actifs (PCAA) est un "acte de foi” pour les investisseurs canadiens”(note de Standard & Poor’s, 2 août 2002). M. Goyette soutient que “le moindre pépin empêche les émetteurs d'avoir accès aux liquidités dont ils auraient besoin pour traverser les turbulences”. “On pourrait dire, ajoute-t-il, que c’est plus facile à dire en rétrospective. NON”, répond-il péremptoirement (Ibidem). On ne peut être plus clair, par quelqu’un d’aussi qualifié.
D’ailleurs, l'Association des comptables agréés du Canada (ICCA), en octobre 2007, mettait en garde tous les conseils d’administration contre les PCAA. “Les conseils d’administration et la direction de toutes les sociétés, pas seulement de celles qui interviennent directement sur le marché du papier commercial, doivent songer aux conséquences de la crise de liquidité du PCAA et y être préparés”(James L. Goodfellow, FCA). Si M. Henri-Paul Rousseau, encore président de la Caisse, avait su s’informer, avait su gérer nos fonds de retraite, avait su suivre ses affaires, avait su écouter, avait été compétent, en somme, il aurait dû savoir tout cela. Le député Kadir avait raison de répéter : “Si moi je le sais, vous devez le savoir”. Il faut croire qu’il était tout absorbé par les moulins à vent qu’il n’a cessé de nous décrire avec éloquence, faconde, exubérance, prolixité, verve et volubilité.
L’incompétence, au demeurant, semble bien s’être associée à la négligence, à l’imprudence, à la légèreté, à l’étourderie ou à l’insouciance puisque le PDG ne semblait pas savoir ce que faisaient les petits promoteurs, laissés à leur appétit de rendement. Il y a eu erreur grave d’administration et M. Rousseau devrait en assumer la responsabilité. Il le fit, mais de façon purement rhétorique. En aucun moment, il n’a songé à en payer le prix, serait-ce symboliquement, en remettant sa gratification de départ. Il a juré qu’il ne le ferait pas.
Qui de nous serait assez immoral pour se comporter ainsi ? Dans la culture de monsieur tout le monde, on est tenu de réparer une erreur, davantage une faute quand elle est démontrée, établie, confirmée, reconnue. Tout se passe comme s’il existait une culture de l’irresponsabilité chez les grands patrons. Il suffit de penser à notre caisse populaire nationale. On y a également acheté des PCAA toxiques et les petits épargnants sont maintenant privés de leurs ristournes. La présidente, par contre, gardera sa rémunération de trois quarts de million de dollars et les primes de rendement éventuelles. Monique F. Leroux ne semble guère se soucier de ses petits épargnants qui se saignent à blanc pour investir dans sa Caisse à elle, trompés par la confiance qu’ils portent à cette Institution depuis tant d’années.
Nous ne sommes donc que des porteurs d’épargnes dont les patrons profitent largement. Les regrets d’usage de tous ces profiteurs, « pour les appeler par leur nom » dirait Lafontaine, rappellent les larmes de crocodiles pour les Anciens Latins. “Jusques à quand abuseras-tu de notre patience, Catilina ?” Vieille question posée par Cicéron, l’an 63 avant notre ère. La question est d’une brûlante actualité.
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Joseph Melançon, professeur émérite de l’Université Laval, membre de la Société Royale du Canada


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3 commentaires

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    27 mai 2009

    Monsieur Racine,
    Existe-t-il un organisme humanitaire international où un peuple peut déposer plainte lorsque:
    -son économie publique et privée est retournée vicieusement contre son profit,
    -que la majorité des mass média est concentrée entre les mains de ces empires qui l'oppriment et tiennent dans l'ignorance,
    -que ce peuple, sous le joug imposé il y a 250 ans, a tenté de s'en libérer par les moyens démocratiques et s'est fait rouler, puis par certaines révoltes légitimes et s'est fait écraser militairement...(1867, 1970)
    -qu'il considère l'unification maximale de son opinion maintenant possible par Internet pour confier à ses représentants une déclaration unilatérale d'INDÉPENDANCE !

  • Robert Bertrand Répondre

    27 mai 2009

    Les déposants à la Caisse, ce sont les organismes qui sont au service des Enseignantes-enseignants, des infirmières-infirmiers, des fonctionnaires du gouvernement, ce sont les responsables de la CSST dépositaire des sommes d'argent versées tant par les propriétaires engageant des employéEs, et par les divers employéEs de ces propriétaires -- les PME comme les grandes compagnies --.
    Enlevons la source des sommes d'argent versées à la CAISSE et exigons des organismes qui versent ses sommes d'argent à voir AILLEURS.
    Je ne sais pas, mais on pourra nous dire si l'organisme de la CSN et/ou de la FTQ ne pourrait faire mieux que ceux de la Caisse ?
    Au besoin, s'organiser ensemble, pour se donner une entreprise d'investissements autre que la CAISSE ?
    « Nos voisins de l'Ontario permettent aux caisses de retraite de choisir où ils déposeront leur argent. Et on a pu voir que, devant les turbulences économiques, ces caisses font de bien meilleures performances que la nôtre. »
    « François Bonnardel, a proposé au ministre Bachand de débattre de la possibilité de scinder la Caisse et de laisser l'opportunité aux déposants de choisir où ils veulent placer leur argent. De plus, l'ADQ demande une enquête approfondie du Vérificateur général ou une commission d'enquête publique pour avoir les vraies réponses aux questions des Québécois. »

  • Archives de Vigile Répondre

    27 mai 2009

    Voila plusieurs mois, j'avais fait une petite recherche au sujet de Gaz métro. J'avais aussi aisément trouvé ceci http://www.corporatif.gazmetro.com/Data/Media/Structure%20corporative-10%20d%C3%A9c%202008.pdf
    Effectivement, la Caisse est actionnaire majoritaire dans Gaz Métro.
    Pour les Québécoises et les Québécois qui doutent encore, il est temps de se réveiller car vous êtes totalement inféodés, votre argent sert seulement aux intérêts de Power Corporation et des riches corporatistes du Canada, les ultra-fédéralistes.
    J'avais fait une recherche car je ne comprenais pas pourquoi Gaz métro ne développait pas la production de biocarburant, comme c'est la mode de le faire en Europe présentement. La production de biocarburants, avec la biomasse, est une énergie verte et renouvelable. Le biogaz pourrait être injecté dans le réseau de Gaz métro, et par le fait même générer des profits pour la Caisse de dépôt et rendre le Québec plus "vert".
    Mais mon espoir de voir cela arriver est à environ 5%, car plutôt de faire cela, on a fait Rabaska, pour avoir du gaz naturel de Gazprom et autre tinamis des gens qui en ont rien à foutre du Québec. Excusez mon langage, mais on se fait carrément fourrer. En fait, si le Québec était sérieux, il pourrait produire du biocarburant et les profits iraient aux Québécoises et Québécois, pas à gazprom et aux tinamis et lobbies. Mais, ça, on commence à être habitué de se faire hum hum bien profond.
    J'invite les curieuses et les curieux à vous renseigner à ce sujet:
    http://www.tslskonsult.com/2009/03/region-de-goteborg-lessor-du-marche-des.html
    http://www.tslskonsult.com/2009/04/passat-tsi-eco-fuel.html
    Dernièrement, le PLQ tente de se "construire" une image de bâtisseurs, mais c'est de la pure hypocrisie, c'est une coquille vide. Si le PLQ était sérieux avec la Caisse de dépôt et Gaz métro, vous avez ici un immense potentiel à développer, soit la production de biocarburants. Mais, je doute que cela arrive. J'ai eu beau écrire à Gaz métro et aux médias afin de les informer de ce qui se fait en Suède et en Europe, mais rien, pas de réponse. Voyez ici: http://www.biogasmax.fr/380-le-biomethane-en-europe-quelles-opportunites-pour-son-developpement.html