Perspectives - La naine et le banquier

L'affaire de la CDP - commission parlementaire

La crise financière et économique actuelle est assez grave pour que l'on se donne la peine d'en étudier les causes de façon transparente et détaillée. C'est le plus sûr moyen d'en tirer les bonnes leçons et d'éviter de répéter les mêmes erreurs.
La commission d'enquête attirait tellement l'attention publique à cause de ses révélations fracassantes sur le monde de la finance qu'un de ses membres l'avait qualifiée de cirque. Flairant le coup de pub, le cirque Ringling Brothers profita d'une pause pour y faire asseoir l'une de ses stars (Lya Graf, 2 pieds 3 pouces) sur les genoux du puissant banquier J.P. Morgan Jr qui y était alors soumis au supplice des questions du redoutable président de la commission, Ferdinand Pecora. La photo, de la petite femme souriante en robe de satin bleu et de l'imposant magnat complètement dépassé par les événements, allait symboliser l'ampleur de la déchéance de Wall Street au lendemain du krach de 1929.
La commission Pecora n'en est pas moins encore considérée aujourd'hui comme celle qui a eu le plus d'impact sur la société américaine après celle sur le Watergate, rappelait récemment un article sur sujet dans le New York Times. Elle mènera notamment à la création d'une autorité des marchés financiers (la fameuse Security and Exchange Commission ou SEC) et à l'adoption d'une loi (Glass-Steagall Act) obligeant la séparation des activités bancaires de nature commerciale de celles liées à l'investissement.
Le Congrès américain essaie actuellement de remettre sur pied quelque chose de semblable. Il est question d'une commission d'enquête indépendante d'une dizaine de membres qui ne pourraient pas être des élus ni provenir des administrations Obama ou Bush. Bâtie sur le modèle de la commission qui a fait enquête sur les événements du 11-Septembre, elle disposerait des pouvoirs d'un tribunal et d'un budget de recherche de cinq millions et aurait pour mandat d'établir les causes de la crise et les changements à apporter pour éviter sa répétition.
On rêverait que l'idée soit reprise ailleurs, mais c'est loin d'être certain. Il est assez normal que notre attention soit surtout occupée présentement par des problèmes plus immédiats comme celui de trouver une façon de sortir l'économie mondiale du bourbier dans lequel elle est enfoncée et celui de s'assurer que cette orgie de mesures de relance ne prépare pas la prochaine bulle qui nous éclatera au visage. D'un autre côté, on peut parier que les gouvernements et les grands acteurs économiques auront encore moins envie de se livrer à de profonds exercices d'introspection et de remise en cause une fois sortis de la crise que maintenant.
Une tâche plus ardue
Le travail de ces nouvelles commissions Pecora risque d'être plus complexe que pour la première. Pour bien comprendre les causes de l'actuelle crise financière, il ne leur suffira pas, comme dans les années 30, de démasquer les erreurs et les magouilles de quelques grosses légumes du monde financier.
Il faudra, par exemple, se pencher sur l'importante part de responsabilité qui revient aux pouvoirs publics. On a beaucoup parlé, ces derniers temps, du tort immense qu'avaient causé plus de 30 ans de déréglementation du secteur financier. On a toutefois aussi relevé plusieurs cas de pure et simple incompétence, même là où il y avait encore des lois et des agences de surveillance.
Cet exercice risque de donner une mauvaise image d'un peu tout le monde, à droite comme à gauche, en Europe comme aux États-Unis. C'est, par exemple, un Congrès à majorité républicaine et un président démocrate qui ont aboli, en 1999, la fameuse loi Glass-Steagall léguée par la première commission Pecora. De plus en plus de voix s'élèvent aussi de l'autre côté de l'Atlantique pour dénoncer le pitoyable manque de leadership, dans cette crise, des pays européens et de leur prétendue union.
Pour bien faire leur travail, nos commissions d'enquête devraient aussi regarder le fonctionnement du secteur financier dans son ensemble, c'est-à-dire à l'échelle de la planète. S'il manquait des règles et une autorité des marchés financiers aux États-Unis dans les années 30, la crise actuelle nous a montré qu'il nous manque aussi des règles et des mécanismes d'encadrement, mais cette fois-ci sur la scène mondiale.
Certains gouvernements, dont celui de Barack Obama, ont déjà mis en branle des réformes pour éviter que ne se répètent les erreurs qui nous ont amenés là où l'on se trouve actuellement. Un ensemble de solutions est aussi en voie d'élaboration au G20.
On ne peut toutefois que souhaiter que l'autopsie de la crise ne soit pas escamotée et qu'au contraire, les États-Unis et comme d'autres pays aient la lucidité et le courage de s'embarquer dans une aventure comme celle de l'ancienne commission Pecora. Une enquête publique et indépendante est le plus sûr moyen de faire toute la lumière sur les circonstances qui ont mené à ce spectaculaire gâchis économique et humain. Meilleure est notre compréhension de ces événements, meilleures seront nos chances d'en tirer les bonnes leçons et d'adopter les bonnes solutions.
Il serait toutefois surprenant que plusieurs gouvernements empruntent cette voie. Les décideurs n'aiment pas, habituellement, les choses qui pourraient tourner au cirque. Ils les aiment encore moins lorsque des gens d'affaires importants (ou des politiciens) risquent d'y passer pour des clowns.


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