Les autres

«Les indignés» dans le monde

Chaque crise économique amène son lot de calamités, dont le protectionnisme n'est pas le moindre. Des différentes formes de ce repli sur soi, la plus détestable est sans doute la chasse aux immigrants.
Il n'y a rien de très surprenant dans la montée du discours protectionnisme des derniers mois. De la Grande Dépression à nos jours, les crises économiques ont toujours été un terrain fertile au repli sur soi.
La logique invoquée est toujours la même: les temps sont assez durs comme cela, et l'aide disponible assez rare, le moins que l'on puisse faire est de s'assurer que la priorité est accordée à sa propre population. Tant pis, si cela nous fait manquer à quelques règles de bienséance internationale. De toute manière, les autres le font aussi, ou le feront fatalement bientôt.
Cet appel à la solidarité nationale et au réalisme politique se veut une excuse à la mise en place de mesures d'aide réservées aux entreprises du pays ainsi qu'à la levée de toutes sortes de barrières à l'entrée de biens et services produits à l'étranger. L'histoire a montré plus d'une fois que ces mesures sont non seulement inefficaces, mais dommageables pour tout le monde.
Le plus terrible dans cette logique est qu'elle mène aussi à l'établissement de deux catégories de travailleurs. Il y a les nôtres, ceux qui sont des victimes et qu'il faut aider. Et puis, il y a les autres, les étrangers, ceux qui aggravent inutilement la situation dans le pays, et qu'il faut renvoyer chez eux si l'on n'a pas réussi à les bloquer avant aux frontières.
Les expressions d'hostilité populaire à l'égard de ces derniers se multiplient. Des centaines d'employés britanniques faisaient la grève, la semaine dernière, pour protester contre l'emploi de travailleurs étrangers, et plus de la moitié des Américains accusent les immigrants d'être des «voleurs de job». Cette animosité tourne parfois à la violence. Un immigrant indien a été battu, puis arrosé d'essence à laquelle on a mis le feu, la semaine dernière près de Rome. Un travailleur bulgare avait été aspergé d'acide peu de temps avant en Grèce. Au moins 113 immigrants auraient été assassinés et 340 blessés durant les dix premiers mois de 2008 en Russie. On ne compte plus les meurtres de ressortissants du Zimbabwe et du Mozambique en Afrique du Sud.
Sensibles à cette grogne populaire, des gouvernements ont commencé à serrer la vis à l'immigration. L'Espagne s'est fixé comme objectif de convaincre le quart de ses quatre millions d'immigrés de quitter le pays en échange d'une prime. Moins délicate, la loi italienne oblige maintenant les médecins à dénoncer les immigrants illégaux qui se présentent à eux. Le gouvernement français se vante de son nombre de «reconduites à la frontière», comme s'il s'agissait de statistiques sportives. Le nombre d'expulsions d'immigrants illégaux aux États-Unis a bondi l'an dernier de 319 000 à 361 000, établissant un nouveau record.
Malgré tous ces efforts, le nombre total de travailleurs immigrants reste, pour l'instant, à peu près le même dans tous ces pays, observent les experts. D'ailleurs, il n'y a jamais eu autant de travailleurs immigrants dans le monde, soit une moyenne d'une personne sur trente-cinq.
Cela tient notamment au fait que, aussi haute soit la clôture, il est impossible d'avoir des frontières parfaitement étanches, et que les entrées et sorties des immigrants dépendent, en partie, de leur bon vouloir. Cela tient aussi au fait que ces migrations sont le reflet d'au moins deux tendances lourdes, soit: l'accélération du processus de mondialisation, ainsi que le besoin en main-d'oeuvre des pays riches et l'abondance de travailleurs dans les pays pauvres.
En règle générale, les immigrants ne volent donc la place de personne. Ils occupent des emplois dont personne ne veut ou pour lesquels personne n'était qualifié.
Les immigrants et la crise
L'arrivée d'une crise économique, avec son cortège de chômeurs, ne change pas fondamentalement cette situation, indiquait, la semaine dernière, une étude du Migration Policy Institute (MPI) américain.
Les travailleurs immigrants les plus qualifiés sont le plus à même de repartir pour trouver de meilleures conditions ailleurs, mais ils occupent généralement aussi les emplois les moins touchés par la crise.
La grande majorité des immigrants, légaux ou illégaux, appartiennent toutefois aux groupes des travailleurs moins qualifiés et comptent, par le fait même, parmi ceux qui sont les plus touchés par une crise. Souvent plus disposés à changer de lieu et de domaine de travail, ils disposent d'un certain avantage sur les travailleurs locaux pour s'adapter à la situation. Ils sont cependant souvent les premiers mis à pied et les derniers réengagés durant les cycles économiques et n'ont pas accès au même filet social ni aux mêmes réseaux d'entraide que les autres.
Il n'est pas impossible, dans ces conditions, qu'ils décident de rentrer chez eux. Ils ne le feront toutefois que s'ils ont des raisons de croire qu'ils y amélioreront leur sort. Mais comme leur pays d'origine reste souvent beaucoup plus pauvre que leur société d'adoption, plusieurs décident de rester sur place.
Au final, les immigrants semblent avoir assez peu d'impact sur le sort des autres travailleurs en période de crise, observe le MPI. Mais leur choix de rester à l'étranger, malgré tout, les force à accepter des emplois encore plus difficiles, plus mal payés et plus dangereux. Il les expose, aussi, à la colère populaire qui les prend pour boucs émissaires.


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