La polémique ontarienne sur l'implantation de tribunaux islamiques a traversé l'Outaouais ces dernières semaines. La question se pose cependant en des termes différents au Québec, où l'arbitrage est expressément interdit par le Code civil. Le Conseil musulman de Montréal envisage néanmoins de structurer davantage la médiation, dans le cadre du contexte juridique déjà existant.
Alors qu'en Ontario les décisions d'un arbitre sont exécutoires et que la cour ontarienne fait office de cour d'appel, l'arbitrage est interdit par le Code civil québécois pour les divers familiaux. Lorsqu'un juge est saisi d'une cause en droit de la famille, il oblige les époux à participer à une séance d'information sur la médiation. Par la suite, ceux-ci peuvent choisir de participer à une médiation, remboursée par l'État, par des professionnels dûment accrédités (avocats, notaires, travailleurs sociaux, conseillers en orientation et psychologues).
Rien n'empêche cependant des croyants de s'adresser à un médiateur religieux de leur choix (qui n'a pas besoin d'être accrédité), sans en saisir la justice. Profitant de cette occasion, le Conseil musulman de Montréal envisage de structurer davantage la médiation basée sur la charia, qui s'exerce déjà dans différentes mosquées, en créant une instance de médiation.
Il y a deux semaines, Le Devoir révélait que le Conseil musulman de Montréal avait l'intention de rencontrer le ministre de la Justice en janvier pour lui demander d'officialiser une telle instance qui s'inspirerait des tribunaux rabbiniques.
Au cabinet du ministre de la Justice, Jacques Dupuis, on insiste pour dire que la porte est fermée à double tour à toute modification du Code civil pour favoriser l'arbitrage religieux ou étendre les pouvoirs de médiation à d'autres catégories de médiateurs.
Irrité par le battage médiatique qu'a suscité son projet d'instance de médiation familiale (et d'arbitrage commercial), le président du Conseil musulman de Montréal, Salam Elmenyawi, souligne qu'il ne demande rien à l'État. «Les outils existent déjà dans la loi actuelle», précise-t-il, refusant de discuter davantage de la mécanique de la médiation afin de ne pas donner prise à «l'hystérie».
Il prend pour modèle les tribunaux rabbiniques, qui existent au Québec depuis 1922. Dans la religion juive, on invite les croyants à régler tous leurs différends en s'adressant au Beth Din (tribunal rabbinique). De leur plein gré, deux juifs peuvent donc s'adresser au Beth Din pour trancher notamment des litiges familiaux. «Si une personne ne respecte pas la décision du Beth Din, elle peut s'adresser à la cour, qui peut juger de nouveau la cause. Mais dans 99 % des cas, les gens acceptent de se soumettre à la décision», explique le rabbin Saul Emanuel, mentionnant que le tribunal entend environ 300 causes par année, dont la moitié portent sur des questions familiales.
Pour qu'une médiation puisse avoir valeur légale, elle doit cependant être homologuée par un juge. «Le juge peut l'annuler si elle est contraire à l'ordre public», explique Anne Saris, chargée de cours en droit de la famille à l'université McGill. Si une entente survenue à la suite d'une médiation portant sur un litige familial (garde d'enfants, pension alimentaire, partage du patrimoine familial) est portée à l'attention du juge, celui-ci peut alors enclencher le mécanisme formel de médiation avec des médiateurs accrédités.
Pour la directrice des affaires juridiques à l'Association femmes et droit, Andrée Côté, l'élargissement du recours à une médiation religieuse devrait donner lieu à un débat de fond. «On a beau interdire l'arbitrage en droit de la famille au Québec, il y a des pratiques qui se développent qui vont avoir les mêmes effets», constate Mme Côté. Les féministes devraient selon elle s'interroger sur la façon de s'assurer que les femmes ne soient pas poussées à accepter la médiation. «Est-ce qu'on doit adopter des règles pour faire en sorte que les femmes ne puissent pas abdiquer leurs propres droits ?», s'interroge Mme Côté. Un sujet délicat, qui risque de faire couler encore beaucoup d'encre.
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