PROVOCATEURS ET INTOLÉRANTS

Les Loyalistes et les Rébellions de 1837-1838

L’âme des peuples se trouve dans leur histoire

PAR CLAIRANDRÉE CAUCHY, Collège du Vieux-Montréal


Le présent travail vise à analyser le rôle que les Loyalistes ont joué dans le cadre des rébellions de 1837-38 et leur lutte pour la prépondérance britannique au Bas-Canada. En premier lieu, nous abordons la situation politique au Bas-Canada à l'époque des Rébellions, vue sous l'angle des Loyalistes. Dans cette optique, nous énoncerons la thèse du double soulèvement de l'historien Maurice Séguin. Par la suite, nous traitons des diverses organisations loyalistes et de leurs actions à l'époque des troubles, comme les sociétés nationales, les associations constitutionnelles, les groupes paramilitaires et les corps de milices. Finalement, nous verrons comment ces organisations participeront à la provocation des troubles ainsi qu'à leur répression. Ainsi, nous faisons référence à l'échauffourée du 6 novembre et à la façon dont elle a permis d'émettre des mandats d'arrestation contre les leaders patriotes. Nous expliquons également que les Loyalistes seront très actifs dans la répression des troubles, en citant notamment le cas de la bataille de St-Eustache et de l'incendie de St-Benoît.

Introduction

D'aucuns s'étonnent du fait que les anglophones du Québec n'approuvent pas, et ce massivement, le projet de souveraineté du Québec et que bon nombre d'entre eux ne reconnaîtraient pas le droit du Québec à l'autodétermination advenant une réponse affirmative à un référendum sur la souveraineté. Pourtant, une telle attitude ne date pas des 15 dernières années. L'animosité des anglophones face au désir d'autonomie des Canadiens français s'est manifestée à plusieurs reprises dans l'histoire.

À l'époque des rébellions de 1837-38, les Britanniques ont tout mis en oeuvre pour empêcher que le pouvoir politique au Bas-Canada ne soit pris en main par les Canadiens français. Alors qu'on aborde fréquemment les rébellions par le biais des patriotes et de leur organisation, nous avons voulu connaître davantage l'attitude et le comportement des Britanniques face aux aspirations des Canadiens français.

En premier lieu, nous nous pencherons sur les Loyalistes et la situation politique au Bas-Canada à l'époque des rébellions et nous aborderons la thèse de Maurice Séguin alléguant qu'il y aurait eu un double soulèvement, dont le soulèvement des Loyalistes constitue le premier temps. Nous étudierons ensuite les organisations loyalistes à la veille des troubles de 1837, des associations constitutionnelles jusqu'aux corps de volontaires. Finalement, nous aborderons le rôle des Loyalistes britanniques dans la provocation et la répression des troubles.

Les Loyalistes et la situation politique au Bas-Canada à l'époque des rébellions

Bien qu'on ait traité abondamment de la situation des Canadiens français et de leurs doléances face au système politique en vigueur au Bas-Canada, on a en général fait peu de cas des Loyalistes, les Britanniques du Bas-Canada fidèles au pouvoir exécutif. Pourtant, ces Loyalistes ont joué un rôle majeur dans les rébellions de 1837-38, participant à la montée de la tension politique, à la provocation à la veille des troubles et à la répression de la révolte patriote.

Nous allons tout d'abord dresser un rapide portrait de ces Britanniques du Bas-Canada. Dans l'ex Province of Quebec, qui constitue maintenant les territoires du Haut-Canada et du Bas-Canada, on retrouve, à la veille des troubles, environ 120 000 anglophones au Bas-Canada. Ces 120 000 Britanniques sont noyés au Bas-Canada dans une mer de 490 000 Canadiens français. Il est paradoxal pour les Britanniques d'être minoritaires alors qu'ils se considèrent en territoire conquis; ainsi, ils se comportent souvent comme un groupe majoritaire. Ces 120 000 anglophones sont principalement concentrés dans les régions de Montréal, Québec, des Cantons de l'Est (Eastern Townships) et au sud du Richelieu. Les Britanniques loyaux, c'est-à-dire fidèles à la Couronne britannique et à ses traditions, ont une hantise d'un État contrôlé par les Canadiens français catholiques. De plus, les Loyalistes craignent les idées républicaines venues des États-Unis. Ils souhaiteraient éventuellement assimiler les Canadiens français, ou à tout le moins les mettre en minorité, pour bâtir un pays calqué sur les traditions britanniques et basé sur la puissante économie commerciale.

Outre les Anglais et les Gallois, on retrouve, parmi la population anglophone du Bas-Canada, des Écossais et des Irlandais. Les Écossais tendent à se ranger du côté des Anglais et à demeurer loyalistes. Les Irlandais, généralement catholiques, se trouvent déchirés. Beaucoup d'entre eux vont, en effet, appuyer les patriotes, trouvant des similitudes dans la lutte pour l'autodétermination de leurs deux peuples et partageant la même religion. Des patriotes aussi importants que Daniel Tracey, Jocelyn Waller et, bien sûr, Edmund B. O'Callaghan sont tous des enfants d'Eire. D'autres se rangeront du côté des loyaux, s'identifiant vraisemblablement à l'empire britannique et partageant sa langue.

L'historien Maurice Séguin montrera bien que les Britanniques ont joué un rôle majeur dans les rébellions. Selon M. Séguin, la révolte de 1837 est, en réalité, un double soulèvement: le soulèvement des Britanniques du Bas-Canada contre la menace d'une République canadienne-française, soulèvement de la section la plus avancée des nationalistes canadiens-français contre la domination anglaise.

Dans l'optique du célèbre historien, les rébellions seraient en fait une guerre civile entre deux groupes nationaux opposant chacun leur vision d'un État à bâtir. Séguin est d'ailleurs le premier à faire ressortir l'importance des organisations loyalistes en marge du pouvoir et de l'armée.

Bénéficiant de l'appui populaire, l'élite canadienne-française peut, de son côté, se faire élire à la Chambre d'assemblée et ainsi combattre l'oligarchie britannique «soutenue par Londres, installée dans le Conseil exécutif et le Conseil législatif et entourant le gouverneur». S'engage alors une lutte pour la prépondérance, c'est-à-dire pour l'orientation des destinées du futur État séparé. Car, pour les patriotes comme pour les Loyalistes, la colonie n'est qu'un état politique transitoire.

Dans la perspective de cette lutte pour la prépondérance britannique, un sentiment de frustration règne du côté des anglophones du Bas-Canada depuis l'Acte constitutionnel de 1791. Cette constitution avait créé un Bas-Canada massivement francophone doté d'une assemblée de députés élus où on retrouve principalement des représentants issus de la majorité franco-catholique. Un certain pouvoir politique est donc accordé à la majorité, au grand dam des anglophones qui souhaitent mettre les Canadiens en minorité sur le plan politique. Maurice Séguin notera que la division de 1791 donne un souffle de vie au mouvement d'émancipation canadien-français.

Par la division de 1791 et l'octroi aux Canadiens d'une Chambre d'assemblée, elle (la poliltique anglaise) organise et relance puissamment un mouvement de libération. Et ce, malgré les protestations des Britanniques, maîtres de la vie économique, définitivement ancrés au coeur même du Bas-Canada, dans les villes de Québec et de Montréal, et premières victimes de la politique impériale.

De plus, le nationalisme canadien-français, qui obtient une chance de s'affirmer avec la division de 1791, peut constituer une épine dans le pied des Britanniques qui souhaitent la création d'un État du British North America, qui regrouperait l'ensemble des colonies britanniques d'Amérique, afin d'éviter la menace républicaine en provenance des États-Unis et de conserver les traditions britanniques. Le Bas-Canada représente le centre névralgique de l'économie des colonies britanniques. Un État regroupant les colonies britanniques excluant le Bas-Canada, s'il était contrôlé par des Canadiens français, serait très faible et susceptible d'être englobé par le géant américain alors en pleine expansion.

Les Britanniques, autant les marchands de Montréal et de Québec que les colons des zones en cantons, craignent la mise sur pied d'un État, ou même d'une colonie, gouverné par des Canadiens français, agriculturistes et jugés rétrogrades. Si bien que jusqu'en 1833, des Anglais de Montréal demandent régulièrement à être rattachés au Haut-Canada, des Anglais de Restigouche-Gaspé leur rattachement au Nouveau-Brunswick et des Anglais des Eastern Townships de même avec les États-Unis. Évidemment, la Chambre des députés dénoncera ces demandes qui ne semblent pas avoir eu de suites.

Cette peur des Britanniques de se voir gouvernés par des Canadiens français sera amplifiée, à l'hiver 1834, par le dépôt des 92 résolutions qui exigent principalement que les membres des conseils soient élus par le peuple. La majorité étant canadienne-française, les Britanniques du Bas-Canada perdraient ainsi le grand poids politique qu'ils détiennent par le contrôle de l'Exécutif. Selon les Loyalistes, un conseil électif «enlèverait les barrières qui nous défendent contre la tyrannie française», qui tient à tout prix à «s'arroger la prépondérance dans les affaires de la province». Les Britanniques ne sont pas pour autant en désaccord avec les principes démocratiques à la base des revendications des patriotes, en autant qu'ils ne remettent pas en question la prépondérance des Britanniques au Bas-Canada.

Les Britanniques loyalistes dénoncent aussi la politique de conciliation menée par les autorités coloniales qui se laissent impressionner par la majorité canadienne-française; ils craignent que Londres ne cède aux doléances des Canadiens français en leur accordant davantage de pouvoirs. Dans une lettre au gouverneur Gosford, en 1835, le polémiste et journaliste au Montreal Herald, Adam Thom, affirmera que depuis la Conquête on parle trop des Canadiens français, sujets choyés, en oubliant les sujets anglais des colonies. Il ajoutera que la politique de conciliation menée par Gosford permet au vaincu (le peuple canadien-français) de dicter la politique coloniale.

Les esprits s'échauffent du côté des Anglais à mesure que la campagne autour des 92 Résolutions fait son chemin. Selon Adam Thom, la révolte à craindre n'est pas tant celle des Patriotes que celle des Loyalistes car les représailles seraient terribles si une seule goutte de sang britannique devait être versée. Thom n'hésite pas, par l'intermédiaire de son journal, à inciter les Loyalistes à s'armer.

Les esprits s'échauffent du côté des Anglais à mesure que la campagne
autour des 92 Résolutions fait son chemin. Selon Adam Thom, la révolte à craindre n'est pas tant celle des Patriotes que celle des Loyalistes car les représailles seraient terribles si une seule goutte de sang britannique devait être versée. Thom n'hésite pas, par l'intermédiaire de son journal, à inciter les Loyalistes à s'armer.

En 1835, il devient de plus en plus clair que la minorité anglaise refuserait catégoriquement d'être gouvernée par des Canadiens français et serait même prête à y résister. La Commission Gosford-Grey-Gibbs, qui avait pour principal but de «concilier les parties et de régler les différends», arrivera à la conclusion suivante:

«Si l'Angleterre retirait sa protection, il s'ensuivrait une lutte immédiate entre les deux races, et même je doute si, sans la présence d'une force imposante, les mêmes conséquences ne se produiraient pas, lors même que l'on souscrirait aux présentes demandes de l'Assemblée et comme dans ce cas, le parti anglais serait probablement l'agresseur, les forces du gouvernement auraient d'abord à être dirigées contre des hommes qui, non seulement sont nos co-sujets, mais qui pour la plupart sont natifs des îles».

Pour arriver à assurer la prépondérance des Anglais sur le territoire, les Loyalistes doivent briser la politique de conciliation du gouverneur Gosford. Or, les patriotes ne semblent pas enclins à faire usage de la force, force qui serait de toute façon ridicule, les patriotes étant dépourvus d'armes et de cadres militaires. Les Loyalistes ont cependant tout avantage à provoquer les Patriotes pour que ceux-ci s'arment afin de défendre leurs propriétés et leurs familles.

L'historien Gérard Filteau propose la thèse d'un complot entre le général Colborne, Adam Thom, le procureur Ogden et la clique du château en général, consistant en une provocation concertée, notamment par les échauffourées du 6 novembre entre les Fils de la liberté et le Doric Club (dont nous traiterons plus tard), qui aurait justifié l'émission de mandats contre les chefs patriotes. Filteau demande ainsi: à qui profite le crime? «Il n'y a qu'un parti qui avait intérêt à ce que les troubles se produisent et c'est celui des Bureaucrates».

Les organisations loyalistes

Devant les revendications des patriotes, qui menacent le régime britannique, les Loyalistes, fidèles à la Couronne et qui souhaitent le maintien de la constitution, sentent le besoin de se regrouper, de s'organiser. Ce besoin fait suite aux nombreuses assemblées de soutien aux 92 Résolutions qui ont lieu durant l'été de 1834 et à la cuisante défaite des Britanniques aux élections de l'automne 1834. Durant cette année, plusieurs sociétés nationales, tant du côté patriote que loyaliste, verront le jour. La première sera la Société Saint-Jean-Baptiste créée par les patriotes en 1834. Par après, naîtront des organisations semblables du côté loyaliste; on parle entre autres de la St. George's Society, la St. Andrew's Society, la St. Patrick's Society et la German Society. À partir de 1834, ces associations organisent de multiples réunions et rassemblements populaires pour dénoncer les 92 Résolutions, soutenir la Constitution et mobiliser la population loyaliste.

Toutes ces organisations loyalistes se réuniront sous un même comité parapluie à compter de janvier 1835, avec la création de la Montreal Constitutionnal Association (MCA). Une association constitutionnelle avait également été formée à Québec en décembre 1834, la Quebec Constitutionnal Association (QCA). Les associations constitutionnelles avaient pour but de défendre la Constitution de 1791, et de conserver le Conseil législatif sous sa forme actuelle. «Ainsi, les Britanniques défendent leurs propres intérêts de minorité dominante qui veut se protéger contre une formule démocratique [l'élection du Conseil législatif] qu'utilise spontanément la majorité canadienne-française». La tenue d'assemblées constitutionnelles s'étendra au reste du Bas-Canada alors que des associations constitutionnelles régionales se formeront dans les mois qui suivent, principalement là où sont concentrés les Britanniques.

Ces associations constitutionnelles organiseront d'impressionnants rassemblements populaires. Ainsi, le 31 juillet 1835, environ 5000 personnes seront réunies à Québec pour réaffirmer leur loyauté envers la Couronne britannique et leur attachement à l'Empire, dénoncer le désordre qui règne à la législature et demander au gouvernement de «préserver la justice». Une missive sera envoyée au gouverneur suite à ce rassemblement.

Des rassemblements similaires se tiennent également à Montréal, alors qu'en décembre 1835, une assemblée loyaliste se déroule à Tattersall's, sous l'égide de la MCA et regroupant plus de 1500 personnes. Une autre assemblée regroupe de 4000 à 5000 personnes sur la Place d'Armes de Montréal le 6 juillet 1837; et une autre de 2000 à 7000 (selon les sources du Montreal Gazette) au même endroit le 23 octobre; le jour même où à St-Charles les patriotes tiennent l'assemblée des Six-Comtés.

Mais les Loyalistes ne se contentent pas de se former en associations constitutionnelles et d'organiser des assemblées publiques. On assiste, particulièrement à partir de 1835, à la mise sur pied d'organisations loyalistes armées. Dans son rapport, la Commission Gosford-Gipps-Grey avait prédit que les colons britanniques «ne consentiraient jamais sans une lutte armée à l'établissement de ce qu'ils regardent comme une République française au Canada».

Le désormais célèbre journaliste Adam Thom, dans le Montreal Herald fera l'apologie de la formation de corps armés dans son édition du 12 décembre 1835:

«L'organisation, pour se combiner avec la détermination morale et la force physique, doit être autant militaire que politique. Il faut une armée aussi bien qu'un Congrès. Il faut des piques et des carabines aussi bien que de la sagesse (...) Appelons donc un congrès provincial immédiatement et portons à 800 le British Rifle Corp de Montréal, qui est son entier complément, envoyons des députés pour soulever les sympathies des provinces voisines».

Le 22 décembre suivant, des Loyalistes achemineront une demande au gouverneur pour qu'il accorde sa sanction au British Rifle Corp. Lord Gosford refusera, alléguant que les droits des Britanniques ne sont pas en danger, et que, même si c'était le cas, ils seraient mieux protégés par l'armée. Faisant fi de la lettre du gouverneur, le British Rifle Corp a organisé, dans les dernières semaines de 1835 et au début de 1836, plusieurs assemblées publiques dans la région de Montréal, dont une réunissant plus de 600 miliciens le 7 janvier et une autre plus de 800 le 20 janvier. Par contre, une assemblée prévue pour le 21 janvier sera annulée suite à une proclamation du gouverneur, ce qui n'empêchera pas des paramilitaires de poursuivre leurs activités sous d'autres noms; on ne trouvera plus, par la suite d'assemblées loyalistes organisées par le British Rifle Corp.

Après la disparition du British Rifle Corp en janvier 1836, une autre organisation paramilitaire verra le jour durant ce même hiver: le Doric Club, groupe de jeunes Loyalistes armés, qui publiera son manifeste de création le 16 mars 1836. On peut y lire:

«If we are deserted by the British government and the British people, rather than submit to the degradation of being subject of a French-Canadian republic, we are determined by our own right arms to work out our deliverance ..., we are ready... to pledge to each other our lives, our fortunes and our sacred honor».

Une organisation semblable sera créée le 1er septembre 1837 à Québec, le Loyal Victoria Club. Ces derniers commencent même à patrouiller dans la haute ville à compter du 3 novembre, entrant en conflit à quelques reprises avec des patriotes. À partir de 1837, suite à l'escarmouche du 6 novembre, le général en chef, John Colborne, s'inscrira ouvertement en faux par rapport aux orientations du gouverneur Gosford. Si le gouverneur favorisait particulièrement la conciliation, le général Colborne s'appuie désormais sur la solution militaire et sur le rôle que peuvent jouer les corps armés de volontaires.

Ainsi, Colborne se met à recruter des volontaires chez les bureaucrates pour les armer ou les incorporer aux activités des troupes. Du 8 au 10 novembre, il fera équiper 10 compagnies de 80 hommes, qu'il placera sous le commandement du lieutenant-colonel Dyer. Plusieurs corps de volontaires seront formés et armés: les Fusiliers Royaux, les Dragons légers de la Reine, la Cavalerie volontaire de Montréal, l'Infanterie légère de Québec, les Volontaires royaux de Québec, les Volontaires de Mégantic, etc. Certains de ces corps (et d'autres qui ne sont pas cités ici) accompagneront fréquemment les troupes régulières – composées de 3000 hommes – au cours de leurs interventions lors des troubles.

Dans certaines régions, les volontaires loyalistes utiliseront l'organisation des anciennes milices pour structurer leur mouvement. En 1812, alors que les Britanniques tentent de bloquer l'invasion militaire du Bas-Canada, les miliciens étaient recrutés par tirage au sort, parmi les célibataires de 18 à 30 ans; les conscrits devaient alors s'enrôler pour trois mois. C'est autour des anciens cadres de milices que se formeront, à l'époque des rébellions, des milices de volontaires. C'est sur ce modèle que se formera, en 1837, le corps de milice de St-Jean qui recrutera 250 hommes. Armés, ces derniers se mettront à arrêter systématiquement les patriotes locaux. Le même phénomène se produit, entre autres, à Granby où la milice était active et recevait des armes de Colborne.

Par contre, si dans certaines régions les Loyalistes recrutent des volontaires à partir de l'organisation des milices, cela est aussi vrai du côté des patriotes. À Saint-Denis, par exemple, les patriotes ont modifié les cadres des milices en élisant de nouveaux officiers et ont recruté des miliciens patriotes, même si on manquait désespérément d'armes. Dans leur esprit, cette organisation n'avait cependant pas pour but de fomenter la révolte mais bien de résister aux arrestations arbitraires.

La provocation et la répression des troubles

La modification des forces loyalistes, ainsi que leur glissement vers des groupes armés, précède de beaucoup celle des patriotes. Cela démontre bien la stratégie des Loyalistes consistant à conserver l'initiative du conflit jusqu'à son issue finale. Les rébellions commenceront d'abord par...

«l'insurrection des Britanniques de Montréal qui ont décidé de prendre en main leurs propres intérêts et ceux du B.N.A. (British North America), et qui cherchent le combat armé pour précipiter les événements et empêcher Gosford de poursuivre la politique de conciliation».

Contrairement aux Loyalistes qui sont fortement armés, soit grâce à Colborne, soit grâce à de riches donateurs, les patriotes ne disposent pas d'armes et ne peuvent résister à l'armée britannique. Pour faire éclater le conflit, les Loyalistes doivent provoquer les patriotes, les faire craindre pour leur sécurité et les inciter à prendre des moyens pour se protéger.

Wolfred Nelson décrira bien l'état de la situation: «Ils [les bureaucrates] voulurent forcer le peuple à prendre les armes et à assumer la défense pour leur vie et leurs propriétés. Ils représentèrent ensuite cette action comme une rébellion contre la Couronne d'Angleterre».

Un autre militant patriote, O'Callaghan, un Irlandais d'origine, comparera la situation qui prévaut au Bas-Canada à celle de son «pays» d'origine:

«On voulait comme à Castlereagh en Irlande, pousser le peuple à la violence, puis abolir ses droits constitutionnels. Dans l'histoire de l'union de l'Irlande avec l'Angleterre, vous retracerez comme un miroir, le complot de 1836-37 contre la liberté canadienne».

C'est à cela que devait penser Edmund B. O'Callaghan en affirmant que le gouvernement a sciemment armé des volontaires, émis des mandats de façon arbitraire pour exciter le peuple et ensuite crier à la rébellion une fois le peuple affolé.

La provocation atteindra un sommet le 6 novembre 1837 à l'occasion de la réunion mensuelle des Fils de la liberté. Comme les bureaucrates ont fait circuler des rumeurs sur l'état des forces des patriotes, des magistrats émettent une proclamation qui interdit toute procession, toute démonstration [sic] – notons que les bureaucrates avaient obtenu une réforme du personnel judiciaire au début novembre et qu'ils avaient placé aux postes de magistrats des partisans loyaux.

Les Fils de la liberté acceptent donc d'annuler leur parade et de se rassembler sur un terrain privé pour tenir leur assemblée, le tout sans arme.

La veille de l'assemblée, des bureaucrates avaient tapissé la ville de Montréal d'affiches invitant à un rendez-vous. Les loyaux et le Doric Club se réunissent sur la Place d'Armes pour provoquer les Fils de la liberté. Les magistrats ne firent rien pour disperser les loyaux, bien qu'ils aient interdit toute «démonstration». Les loyaux marchent jusqu'à l'auberge Bonacina où sont réunis les patriotes pour y lancer des pierres par-dessus la clôture. La bagarre a évidemment éclaté et s'est terminée par la lecture de «l'acte des émeutes». Par la suite les Fils de la liberté se sont dispersés, pour être poursuivis à travers la ville par des membres du Doric Club. Ce soir-là, des Loyalistes ont tenté de s'en prendre à la maison de Papineau et ont saccagé les locaux du journal patriote le Vindicator.

L'échauffourée du 6 novembre et les propos enflammés tenus par des leaders patriotes à l'assemblée des Six-Comtés du 23 octobre, permettent au gouvernement d'émettre des mandats d'arrestation contre les principaux chefs patriotes pour «déclarations subversives» ; ils émettent également des mandats en blanc. On porte des accusations de «haute trahison» plutôt que de «propos séditieux» ce qui marque une certaine démesure.

Pris de court, les chefs patriotes cherchent à fuir. On assiste à des arrestations arbitraires dans plusieurs régions. Par exemple, le constable Malo et 18 volontaires du Montreal Volunteers Cavalry arrêtent deux Patriotes de Saint-Jean, le 17 novembre 1837. Le réseau de communication des patriotes permet d'intercepter le détachement à Longueuil et de libérer les prisonniers. Les arrestations arbitraires forcent partout les patriotes à fuir ou à s'organiser tant bien que mal pour résister.

Les Loyalistes ne se contenteront pas de jouer un rôle essentiel dans la provocation des troubles, ils participeront de façon active à la répression. Ils se joindront aux forces régulières de l'armée britannique pour «écraser la rébellion» dans les bastions patriotes. Cette répression de la rébellion passera souvent par la destruction de villages. C'est en ces mots que le polémiste Adam Thom encouragera le pillage des villages canadiens-français:

«L'histoire du passé prouve rien de moins que la disparition de la terre et la réduction en poussière de leurs habitations ne préviendra de nouvelles rébellions au sud du Saint-Laurent, ou de nouvelles invasions de la part des Américains».



L'attitude des volontaires loyalistes lors de la bataille de Saint-Eustache et dans l'incendie de Saint-Benoît illustre bien ce que prônait Adam Thom. En décembre 1837, se mettent en branle vers Deux-Montagnes les troupes de Colborne, formées de 2000 hommes, ainsi que des volontaires, soit les Dragons Légers de la Reine, la Cavalerie volontaire de Montréal, les Fusiliers volontaires de Montréal et les Volontaires de Globenski, qui sont originaires de Saint-Eustache.

Après avoir vaincu les patriotes à Saint-Eustache, les volontaires, aidés de quelques soldats, se sont adonnés au vol et au pillage du village, qui fut d'ailleurs brûlé.

Le lendemain, ils étaient en route vers le village voisin de Saint-Benoît. Alerté par des éclaireurs de l'ampleur des troupes en route vers le village, Jean-Joseph Girouard, le leader patriote local, conseille aux citoyens de rester chez eux et de cacher leurs armes: les forces britanniques étaient trop importantes pour tenter de les combattre. Des émissaires allèrent donc en informer Colborne, agitant un drapeau blanc et l'enjoignant de ne pas s'en prendre aux maisons, ce qui fut promis.


Sa parole ne fut pas tenue puisque les loyaux mirent le village à feu et à sang, sous prétexte qu'on ne voulut pas indiquer l'emplacement de la cachette des Patriotes. Dans tous les récits de batailles on rappelle le rôle des volontaires loyaux, aux côtés de l'armée britannique, et leur rôle dans la répression des troubles en particulier à Saint-Eustache et à Saint-Benoît. Les Loyalistes seront tout particulièrement actifs dans la répression de la révolte de 1838.

Conclusion

Les Loyalistes ont joué un rôle dans le dénouement des Rébellions de 1837-38. Ces derniers refusaient catégoriquement d'envisager l'éventualité d'un État canadien-français et ont pris les moyens requis pour préserver la prépondérance britannique au Bas-Canada. Pour ce faire, ils ont formé dans plusieurs comtés des associations constitutionnelles pour exercer une pression plus organisée sur les autorités coloniales afin qu'elles ne cèdent pas aux demandes des Canadiens français. Ils se sont également donné des groupes paramilitaires de volontaires qui ont contribué à faire monter la tension, à provoquer la lutte armée et ensuite à réprimer les rebelles et la population civile.

Il semble que la tactique ait porté fruit puisque l'Union des deux Canadas était proclamée peu de temps après les troubles, plaçant de fait en minorité les Canadiens français au sein d'un État élargi. 1867 allait consolider la marginalisation des Canadiens français, dotés de pouvoirs culturels et sociaux dans la Province de Québec, tout en les plaçant sous le parrainage d'un État fédéral pas très éloigné de ce dont rêvaient les Loyalistes de 1837.


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