Il est paradoxal de voir que, lorsqu'on veut promouvoir une cause, on aggrave quelquefois la perception «négative» qu'on veut combattre... Ainsi, le jeudi 23 décembre, dans la section Idées du Devoir, nous trouvions deux articles sur un éventuel institut islamique de justice civile.
Celui qui retenait davantage notre attention est celui de Suzanne Chabot, politologue et Québécoise de souche convertie à l'islam depuis neuf ans. Il est effectivement surprenant de voir une femme, politologue de surcroît, avouer tout de go qu'elle «ne nie aucunement [...] [les] droits accordés aux hommes selon la charia», dont elle fait une énumération exhaustive, notamment le droit de corriger sa femme, de prononcer seul le divorce, la polygamie, etc.
À cette situation, elle oppose «les devoirs et les responsabilités» plus nombreux pour l'homme. La femme est donc, doit-on en conclure, moins responsable et aurait moins de devoirs. Quel soulagement ! Elle nous ramène à la notion de «bon père de famille» -- l'homme se devant «d'être juste, équitable et compatissant envers son épouse [ou ses épouses]» --, cet ordre civil paternaliste dont nous sortons à peine.
Mais les hommes sont faibles, reconnaît-elle, et il faut qu'ils portent «le poids de [leurs] responsabilités devant les autres hommes musulmans». Et c'est là que le chat sort du sac : l'argument massue pour un tribunal islamique est que «seul un homme musulman en autorité [un juge] peut contraindre un autre homme musulman».
Il faut donc comprendre que l'homme musulman ne respecte pas les tribunaux civils réguliers du Québec ! De fait, nous pouvons subodorer que, dans le secret bien gardé des familles -- où «la femme a un statut inférieur», reconnaît-elle --, les ordonnances de nos tribunaux ne doivent pas peser bien lourd.
Imposer ou pas ?
En fait, là est la question qui se pose à nous : doit-on imposer nos lois et valeurs ou, au nom de la liberté, laisser des groupes particuliers traiter des questions de valeurs en regard de leurs propres codes ? Comment convaincre des groupes, qui se sont pourtant déclarés intéressés à partager notre espace social, à se joindre à des consensus sociaux et à des règles civiles qui les transcendent mais qui cherchent à être universelles ? Comment les convaincre de travailler dans ces cadres pour y chercher une reconnaissance plutôt que de les laisser se cantonner dans un «ghetto» religieux ou culturel ?
Accepter les tribunaux islamiques ne serait-il pas une démission de notre part et n'équivaudrait-il pas à ne pas vouloir nous rapprocher suffisamment des musulmans ? Pouvons-nous travailler avec les musulmans à incorporer les valeurs que nous partageons en contrepartie de leur adhésion à accepter les règles démocratiques du Québec ? Mais accepteront-ils que la référence ultime ne soit pas seulement leur Dieu mais qu'elle puisse se représenter par cette valeur absolue, transcendante et inaccessible que partage toute société et dont elle se sert pour élaborer péniblement des règles de justice qui y tendent ?
Puisque M. Nemer H. N. Ramadan, dont l'article coiffait celui de Mme Chabot, veut nous convaincre que la charia peut évoluer «dans le temps et dans l'espace», y a-t-il une ouverture ici ? Il nous livre comme argument «la décision de la République islamique d'Iran de décréter, dans le respect de l'esprit de la charia, l'égalité entre l'homme et la femme en matière d'héritage». Mais il avait pris la peine de nous mettre en garde : «Évolution ne signifie toutefois pas travestir ni le message coranique, ni la vision islamique du monde et de la société, basée sur la complémentarité entre les hommes et les femmes.» Pourquoi ici «complémentarité» alors que notre politologue reconnaît bien l'«infériorité» ?
Nous faisons donc face au dilemme suivant : devons-nous accepter, comme société, que «le message coranique et la vision islamique du monde et de la société» priment -- pour eux -- sur des valeurs que nous souhaiterions partager avec eux chez nous ? Plusieurs témoignages de la communauté musulmane nous laissent voir que la voix de la communauté n'est pas unique et ouvre la voie à un dialogue fructueux.
Louis Beaulieu, Philosophe
L'institut islamique de justice civile
Le paradoxe du prosélytisme
Par Louis Beaulieu
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