Je lisais dans Le Devoir du 23 décembre l'exposé d'un candidat au doctorat de science politique en ce qui concerne le débat sur un tribunal islamique au Québec. Une des conclusions de l'auteur est de nous avertir qu'«il faut être sûr d'une chose: les musulmans ne se laisseront pas intimider par le racisme d'autrui ou des leurs»! Je crois rêver, mais voilà qu'il semble bien qu'avec la religion, notre droit voit se lever un rival extrêmement dangereux pour la société civile.
Les tenants d'une justice religieuse au Québec doivent savoir que celui-ci se remet à peine d'un passé où l'intrusion du religieux sur la place publique a laissé un bilan fort négatif sur notre histoire. Je le dis à la fois comme historien et comme croyant.
J'ai publié un ouvrage historique qui se penche sur le rapport du politique et du religieux en démontrant un bilan négatif de l'intrusion de la religion dans l'espace public. Deux exemples historiques priment dans cette démonstration du bilan négatif de l'emprise historique du religieux sur le politique dans le Québec de jadis.
En comparant le monde scolaire du Québec avec celui de l'Ontario, il faut noter un retard de 70 ans au Québec pour voir s'instaurer le principe scolaire d'une éducation obligatoire pour tous. Ce retard ne peut qu'être attribuable à l'emprise religieuse sur les destinées scolaires du Québec. Par chance, le gouvernement Godbout a su instaurer ce principe dans les années 40 car, sans lui, l'ère duplessiste nous aurait menés à un retard catastrophique en matière scolaire dans les années 60, comparativement à nos voisins canadiens-anglais et américains.
Autre exemple patent, la monopolisation par le clergé des domaines de la santé, de l'éducation et des services sociaux aura eu comme conséquence de bloquer les horizons d'avenir à la population en général face à une multitude de professions en ces domaines. En réservant de préférence au clergé et aux membres des nombreuses communautés religieuses de l'époque l'exercice et le contrôle de ces professions, le développement de l'expertise professionnelle liée aux domaines de la santé, de l'éducation et des services sociaux aura donc été bloqué aux aspirations des laïcs, contrairement à ce qui se passait du côté ontarien et américain, annonçant ainsi tout le retard du Québec dans les années 60.
Il existe donc de multiples raisons historiques de dire non au Québec à toute intrusion de la religion dans l'espace public, donc de dire non à une justice religieuse, d'autant plus que les autorités religieuses attitrées à cette tâche ne seraient redevables à personne, sinon qu'à d'autres autorités religieuses supérieures, contrairement à nos juges, qui sont nommés par nos élus et qui doivent suivre un code de déontologie très serré.
Je demeure stupéfait que notre histoire n'ait pas encore reconnu de façon tangible les méfaits historiques des intrusions de la religion dans le domaine public. Et je demeure tout autant abasourdi que le Québec puisse jongler en 2004 avec l'idée d'une justice religieuse ! [...] Je demeure tout autant stupéfait qu'un candidat au doctorat de science politique puisse voir de l'intimidation là où des citoyens, dont je suis, veulent défendre à tout prix, avec force et conviction, la notion d'égalité face à la loi dans notre société. Jamais je n'aurais cru possible d'avoir à défendre un tel principe et à écrire un tel article de nos jours. [...]
Michel Gaudette, Historien
L'institut islamique de justice civile
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé