L'éducation en crise

62 % des Québécois estiment que la qualité de l'enseignement s'est détériorée depuis 10 ans

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École - "le gâchis scolaire"


Les étudiantes Fleure Nowak et Marilla Dufourcq. L'enseignement universitaire demeure la référence pour une majorité de Québécois.
Photo: Jacques Nadeau
L'école est en déroute; la grammaire passe sous le tapis; on n'apprend plus rien aux enfants; la réforme les entraîne sur la voie de la facilité: ce discours catégorique est omniprésent depuis quelques années, tel un bruit de fond qui acquiert le statut de vérité à force d'être entendu. Le «gâchis scolaire», auquel faisait référence la semaine dernière l'ex-premier ministre Jacques Parizeau, inquiète dans les chaumières, tant et si bien qu'un bon nombre de parents des grands centres désertent le réseau public au secondaire.
Réalité ou perception, quoi qu'il en soit, le débat ne souffre pas d'un excès de nuance. L'opinion publique est pour sa part bien campée: 62 % des Québécois estiment que la qualité de l'enseignement dans les écoles primaires et secondaires s'est détériorée depuis 10 ans, selon un sondage Léger Marketing-Le Devoir. Seulement 13 % des répondants pensent au contraire que l'enseignement est aujourd'hui de meilleure qualité et 18 % jugent la situation comparable.
Auteur du pamphlet Pourquoi nos enfants sortent-ils de l'école ignorants?, l'enseignant de littérature française au collège Ahuntsic Patrick Moreau est découragé par les copies bourrées de fautes, à la syntaxe alambiquée et à l'argumentation faiblarde que lui remettent ses élèves. Et encore, il appréhende avec pessimisme l'arrivée dans ses classes, dans deux ans, de la génération issue de la réforme.
L'enseignant de cégep a l'impression que l'école refuse en quelque sorte de transmettre des connaissances. «On veut toujours faire baigner les enfants dans un environnement familier. On les amène rarement à découvrir des choses qu'ils ne connaissent pas. On ne les déstabilise pas», déplore M. Moreau.
La rhétorique de l'élève «apprenant» qui construit sa propre réflexion et que l'enseignant doit seulement «accompagner» dans son cheminement l'exaspère. «Il faut lui imposer quelque chose, il s'en libérera après», tranche-t-il. S'il se désole du manque de culture générale des cégépiens, c'est avant tout la qualité du français qui l'incite à critiquer sévèrement ses collègues du primaire et du secondaire.
Démocratisation: explication ou excuse?
Le jugement péremptoire du professeur de cégep fait bondir une retraitée du milieu de l'éducation, Françoise Marton-Marceau, qui a été directrice pendant plusieurs années de l'école alternative Nouvelle-Querbes, à Outremont.
«Foutaises! s'exclame-t-elle. La société québécoise ne s'est jamais remise de la loi sur la fréquentation obligatoire [jusqu'à 14 ans en 1943 puis jusqu'à 16 ans dans la foulée du rapport Parent dans les années 1960]. Il faut voir qui était à l'école à cette époque. On y trouve maintenant tout le monde, y compris les enfants dyslexiques, autistes, ceux qui ont le syndrome d'Asperger...»
«C'est vrai que tout le monde connaît une tante qui avait seulement une cinquième année et écrit sans fautes. Mais combien n'écrivaient pas du tout et étaient incapables de lire?», lance la dame qui a amorcé sa carrière comme enseignante de français au secondaire en 1962. Cela dit, elle reconnaît néanmoins des lacunes dans le système, notamment pour le niveau des étudiants en éducation, qui en savent bien peu sur la matière qu'ils sont appelés à enseigner.
L'excuse de la démocratisation de l'éducation ne satisfait pas le professeur Moreau. «On peut certes trouver des copies avec autant de fautes dans les dictées du Frère Untel. Mais ces gamins-là sortent quand même de 11 ans de scolarité. Ils ont été sélectionnés pour entrer au collège, ce ne sont pas les pires du secondaire. Si on prend prétexte de la démocratisation de l'enseignement pour affirmer qu'il est normal que le niveau baisse, alors cette démocratisation est perverse», lance M. Moreau.
Auteur d'un blogue très fréquenté en éducation et consultant sur l'utilisation des technologies de l'information et des communications (TIC) en milieu scolaire, Mario Asselin se réjouit du débat, bien qu'il ne partage pas le pessimisme et la nostalgie ambiants. Au moins, le Québec se préoccupe de l'éducation, contrairement à la décennie des années 1990 où l'on n'en avait que pour la santé.
Il attribue une bonne part des sévères critiques à l'égard de l'école au niveau élevé de scolarité des parents, que leurs enfants pourront difficilement dépasser. «La démocratisation de l'enseignement a été réussie avec la Révolution tranquille. [...] Cela a un impact sur la société. Les adultes ont la conviction de connaître l'école et de savoir comment cela doit se transmettre l'éducation. Paradoxalement, ils oublient souvent ce qu'ils ont à faire à la maison pour que cela se transmette», croit l'homme en faisant référence notamment aux piètres habitudes de lecture.
Réussir malgré l'école
Ce défenseur du Renouveau pédagogique, qui a longtemps été directeur d'une école privée dans la région de Québec, ne porte pas de lunettes roses pour autant. Il s'inquiète vivement des 40 % de jeunes qui n'arrivent pas à terminer leur secondaire dans le temps alloué. L'école n'arrive pas à trouver sa pertinence à leurs yeux. «Quand j'étais directeur, j'étais toujours impressionné de constater que les décrocheurs étaient parmi les gens les plus intelligents au primaire. À force de se faire aborder par la technique du bourrage de crâne, ils avaient déchanté. Peut-être parce qu'ils étaient trop clairvoyants sur ce qu'ils allaient faire avec ces connaissances?»
C'est un peu le cas de Yan Bolduc, étudiant en technologie de l'architecture au cégep Saint-Laurent, qui a en quelque sorte réussi malgré l'école, et peut-être un peu aussi malgré sa famille où la culture scolaire était pratiquement absente. Lorsqu'il fréquentait une école secondaire difficile de Lachine, il se réfugiait dans un roman fantastique pendant ses cours, parvenant malgré tout à récolter d'excellentes notes. «J'ai fait mon secondaire en autodidacte, en lisant les manuels. J'ai commencé à lire une trentaine de romans par année en classe après avoir passé près d'échouer mon cours de maths en première secondaire», explique le jeune homme de 19 ans, conscient que son rêve de travailler en architecture lui a donné la motivation nécessaire pour réussir son secondaire.
Selon lui, les enseignants étaient complètement dépassés par la discipline, amers de ne pas enseigner au privé ou dans un milieu mieux nanti. «Quand les profs se foutaient de nous, n'étaient pas là pour enseigner, mais bien pour le chèque de paie, je lisais. Celui de science physique en quatrième secondaire était passionné, cela se sentait. C'est un des rares cours où je n'ai jamais ouvert de livre», explique Yan.
Privé-public
Cette impression de chaos au sein de l'école secondaire publique montréalaise fait peur à de nombreux parents, à un point tel que 22 % choisissent le privé au secondaire (cette proportion avoisine le tiers dans la région de Montréal).
Si l'argent n'était pas un obstacle, cette proportion serait vraisemblablement plus élevée. Selon les répondants au sondage Léger Marketing-Le Devoir, 55 % des Québécois pensent que l'école privée offre la meilleure formation, contre seulement 9 % qui sont convaincus que l'on forme mieux les jeunes au public. C'est blanc bonnet, bonnet blanc pour 31 % des répondants. L'école publique a d'ailleurs perdu des plumes depuis 10 ans: les mêmes questions posées en 1999 montraient que 15,4 % des gens faisaient davantage confiance au public.
Julie, enseignante au primaire à la Commission scolaire de Montréal et mère de trois enfants de 11 mois à 5 ans, ainsi que belle-maman de deux adolescents, se range de façon surprenante dans le camp des partisans du privé au secondaire, non sans un certain malaise. «Si j'étais à Québec, je serais peut-être plus ouverte au public. À Montréal, c'est un peu la jungle. Au privé, il y a plus d'encadrement, plus d'activités parascolaires. Les classes sont plus fortes: on est certain qu'il n'y a pas une dizaine d'enfants dans la classe qui font perdre leur temps aux autres. Les parents font un meilleur suivi. S'ils sont prêts à payer 5000 $ par année, c'est que l'éducation est valorisée», explique-t-elle.
La présidente de la CSDM, Diane De Courcy, trouve injustes les comparaisons privé-public. «L'élite d'une société parle plus fort, fait sa propre promotion», constate-t-elle, forcée de prendre acte de l'échec au chapitre des perceptions. On demande au public de faire réussir les enfants en fonction de leur potentiel individuel alors que le privé sélectionne les meilleurs et tente ensuite de les faire réussir en fonction du niveau présumé qu'ils devraient pouvoir atteindre, poursuit Mme De Courcy.
Faire la guerre aux perceptions est ardu pour la CSDM, qui a néanmoins réussi cette année, au terme d'une opération charme auprès des parents, à augmenter son taux de rétention lors du passage du primaire au secondaire de 69 % à 75 %. Le gain est cependant encore timide, lorsque l'on sait que, depuis cinq ans, la CSDM perdait environ 2 % de ses élèves de plus par année au profit du privé.
Il est, selon Mme De Courcy, grand temps de se pencher au Québec sur une «Politique d'éducation nationale» et de concentrer les ressources sur le système public, quitte à réduire graduellement le financement attribué au privé, qui oscille autour de 60 %.


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