Riches de leur expérience et de leurs compétences, les retraités pourraient être appelés en renfort pour «accrocher» les élèves.
Depuis plus d'une génération, nous sommes confrontés, au Québec, à un problème qui continue de s'aggraver malgré tous les efforts déployés en matière d'ingénierie de l'éducation: réforme des programmes, ajout de spécialistes en appui aux enseignants, commissions, comités d'experts, et j'en passe. Tout cela avec des résultats pour le moins inquiétants. Le constat d'échec de la stratégie gouvernementale de lutte contre le décrochage Agir autrement, avec ses huit ans d'efforts et ses 300 millions de dollars, vient confirmer que les ressources de la pédagogie institutionnelle ne suffisent pas.
Les données statistiques sur la question ont de quoi nous rendre perplexes: à l'âge de vingt ans, 22 % des filles et 34 % des garçons n'ont pas décroché le diplôme d'études secondaires. Ils ont décroché tout court ou, comme le dirait Albert Jacquard, ils ont «été décrochés». Mais par quoi ou par qui, et pourquoi? Nous l'ignorons, mais nous savons qu'il s'agit d'un problème social névralgique et, en quelque sorte, d'un véritable scandale.
Si la réponse était simple, en effet, nos experts l'auraient trouvée. S'ils ont plutôt l'air de se perdre en conjectures, c'est peut-être qu'elle ne se trouve pas directement dans l'univers qu'ils ont découpé, qu'ils ont mis en place et continuent de scruter: les écoles, les méthodes, les programmes, les approches, les bulletins chiffrés ou pas qui alimentent une saga à nulle autre pareille dans le monde. C'est peut-être qu'elle concerne plutôt l'ensemble de notre société et de notre culture plutôt que seulement l'univers scolaire lui-même. Or, l'un des travers de notre société individualiste, c'est de traiter les problèmes humains sur une base individuelle. Nous souhaiterions, si nous en avions les moyens, fournir un psychologue scolaire à chaque élève «en difficulté», sans envisager l'hypothèse que c'est notre société qui est en difficulté.
Appel aux retraités
J'aimerais proposer une piste de solution relativement simple: si les spécialistes de l'éducation sont impuissants, il s'agirait de faire appel à des non-spécialistes. Nous en avons au Québec une grande quantité, qui sont riches d'expériences et de compétences touchant tous les domaines imaginables, qui sont désireux d'en faire profiter les jeunes générations, et dont le nombre s'accroît rapidement. Je veux parler de nos retraités. Il serait relativement simple de dégager une partie du temps consacré à l'enseignement formel et de le consacrer à des périodes de rencontres et d'échanges moins formels entre les élèves et certains de ces experts de la vie.
Les arguments à l'appui d'une telle contribution ne manquent pas. Si trop d'élèves finissent par décrocher, c'est peut-être qu'ils en viennent à refuser de se laisser enfermer dans des cadres trop stricts et dans un univers trop dissocié de leurs propres préoccupations. Or, le caractère informel et spontané des rencontres et échanges proposés permettrait de surmonter cet obstacle et d'obtenir des résultats qui, pour être bien réels, n'auraient pas besoin d'être mesurés par instruments d'évaluation, si ce n'est une probable diminution globale des taux de décrochage.
Par ailleurs, les personnes de l'extérieur du milieu scolaire qui seraient invitées à y apporter leur contribution — pas nécessairement tous des retraités, d'ailleurs — auraient toutes les chances de jouir d'une crédibilité intacte, en plus du respect qu'inspire leur expérience. Les domaines touchés par ces contributions seraient illimités et n'auraient pas besoin de s'inscrire comme compléments des programmes existants, ainsi que cela se pratique déjà de façon moins systématique. En fait, il serait préférable qu'ils soient perçus par les élèves comme étant totalement dissociés, et dignes d'être appréciés pour leur seul intérêt immédiat. Cela n'empêcherait nullement les enseignants d'y puiser des références et de les mettre à profit dans leurs cours.
Quant à l'apport des personnes invitées à participer à l'éducation des jeunes, il ne pourrait être qu'optimal, dans la mesure où elles seraient précisément invitées à communiquer leurs passions et leurs connaissances les plus précieuses. Avec un large éventail de présentations, les chances que certains champs d'intérêt des invités contribuent à éveiller des curiosités ou des passions chez les jeunes seraient multipliées. De plus, nous savons que les relations des jeunes avec leurs grands-parents, quand ils ont la chance de pouvoir les côtoyer, sont généralement plus faciles et plus chaleureuses qu'avec leurs parents, notamment parce que leur contexte même est plus libre et que le spectre de la discipline en est pratiquement absent. S'il y a un élément d'accrochage scolaire qui a des chances d'opérer chez un jeune, c'est bien la découverte d'une passion significative, surtout quand elle s'incarne dans un modèle bien vivant.
Mieux-être des aînés
La formule et le format précis que pourraient prendre ces rencontres systématiques restent à développer, et elles pourraient donner lieu à des prolongements imprévisibles au départ. Cela pourrait se faire assez simplement en ouvrant la possibilité d'une expérimentation de deux ou trois ans dans quelques écoles. Il est probable que certaines résistances institutionnelles se manifestent, mais elles ne devraient pas être plus importantes que celles rencontrées lors des précédentes réformes de l'éducation. Quant aux coûts, ils auraient de fortes chances d'être de beaucoup inférieurs, et surtout de générer des bénéfices sans commune mesure.
Du même coup, une telle approche pédagogique pourrait être porteuse d'un colossal bénéfice marginal. C'est le mieux-être des aînés eux-mêmes qui, à travers l'enrichissement de leurs relations interpersonnelles, trouveraient un sens plus profond à leur propre vie. À cet égard, il serait important que leur contribution soit pleinement reconnue et qu'elle soit rétribuée, même si cette dimension n'est qu'un aspect parmi d'autres de cet enrichissement du sens.
Si la perspective entrevue sur la base de cette approche est mise à l'essai, non seulement aurions-nous des chances de contribuer significativement au problème du décrochage, mais nous pourrions en même temps réaliser une modeste tentative pour raccommoder la déchirure des générations dont notre société a souffert sans en être vraiment consciente, et qui a peut-être quelque chose à voir avec le problème du «décrochage».
***
Denis Blondin - Anthropologue
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé