L'accusation d'homicide involontaire portée contre la jeune mère
d'un bébé tué par des chiens soulève beaucoup de questions. Sans examiner
les circonstances particulières de cette affaire récente ni la nature de
l'accusation portée – homicide involontaire plutôt que négligence
criminelle – on peut s'interroger sur la conception générale de la
justice qui semble être appliquée dans ce type d'affaire.
Pour un citoyen qui n'est pas juriste, la négligence criminelle désigne le
comportement d'une personne qui, sans commettre directement de crime,
choisit de se comporter en ne prenant pas en compte les conséquences
potentiellement tragiques de son comportement : par exemple, celui d'une
mère qui laisse son bébé sans surveillance avec un chien ou d'un
automobiliste qui conduit en état d'ébriété.
Il y a des milliers de gens au Québec qui ont un chien à la maison avec de
jeunes enfants. Malgré toute la vigilance souhaitée, il leur est impossible
d'exercer une surveillance de tous les instants sur le chien, ne serait-ce
que pour aller répondre au téléphone dans une autre pièce. En soi, ce
comportement serait négligent et potentiellement criminel mais en pratique,
aucune mère ne sera jamais inquiétée par la police ni même tourmentée par
sa conscience si rien de fâcheux ne s'ensuit. Comme elle pourra être
accusée d'un crime grave si un drame s'en est suivi, on pourrait en déduire
que notre système de justice agit comme un système de vengeance populaire,
comme une sorte de réaction collective plus ou moins irrationnelle devant
la tragédie.
Un concept de justice analogue est appliqué dans beaucoup de cultures
traditionnelles où chaque malheur réel, même quand c'est le tonnerre qui
s'est abattu, risque de conduire à la recherche d'un coupable potentiel et
à sa mise en accusation pour crime de « sorcellerie » (une traduction
toujours inexacte des concepts originaux). Nous savons tous, y compris dans
les sociétés en question, qu'aucun humain ne contrôle le tonnerre mais la
finalité de ce système culturel est d'entretenir la menace de sanctions
pour les membres qui prêtent flanc à la suspicion, de façon à inciter tout
le monde à se comporter de façon exemplaire. Jamais les bons citoyens ne
seront inquiétés, mais les autres risquent d'être sanctionnés sous
n'importe quel prétexte même si, de toute évidence, ils n'y sont pour rien.
Notre justice n'est appliquée que lorsque des conséquences dramatiques sont
directement liées aux comportements de négligence, mais il me semble tout
de même que le fait d'ignorer la « négligence criminelle » lorsqu'elle
n'est pas suivie de conséquences tragiques implique aussi que son
invocation en cas de drame constitue une certaine forme de vengeance
populaire et de menace diffuse sur l'ensemble de la société. Autrement et
en stricte logique, il faudrait aussi accuser de négligence criminelle tous
les automobilistes ivres et toutes les mères qui répondent au téléphone en
laissant leur bébé sans surveillance.
Que certaines cultures traditionnelles utilisent des prétextes farfelus
pour mettre en accusation certains de leurs membres, cela peut nous sembler
plus injuste. En réalité, il n'en est rien parce que l'accusation n'est
précisément qu'un prétexte car c'est la conduite globale des accusés et le
support de leurs proches qui sont soigneusement évalués avant de prendre
des sanctions. Chez nous, notre sort dépend souvent du plus pur hasard, tel
que le comportement imprévisible d'un animal de compagnie.
Denis Blondin, anthropologue
[denisblondin/wordpress.com->denisblondin/wordpress.com]
La justice est-elle un système de vengeance populaire ?
Jeune mère accusée de l'homicide involontaire de son bébé
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