NUMÉRIQUE

L'autre indépendance

Un référendum n'est pas nécessairement la meilleure voie à suivre.

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Tribune libre

Il n’est jamais trop tôt pour faire naître un projet à partir d’un rêve.


Le rêve d’une indépendance politique du Québec a nourri et animé ma génération, celle qui semble sur point d’assister à la mise au rancart des deux principaux partis politiques qui ont porté ce rêve, le PQ et le Bloc. Le gros bon sens voudrait que l’on se calme un peu, qu’on avale la pilule et qu’on apprenne à vivre ce deuil, mais le gros bon sens a parfois tort. Il faut au contraire se tourner vers un autre rêve, un autre rêve d’indépendance, ce beau nom donné à la liberté des peuples.


Les peuples ont longtemps été soumis par leurs « élites » locales ou par des gouvernements étrangers, mais ils ont toujours rêvé de leur liberté et cherché à la reconquérir. De nos jours, nous prétendons pouvoir choisir nos gouvernements mais il se trouve que la plupart d’entre eux sont en train de devenir aussi insignifiants que les nobles dansant le menuet dans leurs châteaux pendant que le peuple se contente des miettes ou des distractions qu’on leur propose. Le dernier sommet du G7 en est une triste caricature.


Un bon nombre de pays se sont déjà dotés de gouvernements populistes, corrompus ou débranchés de diverses manières. Depuis longtemps, ils ne gouvernent plus que la petite intendance et beaucoup n’ont même plus cette capacité. Au delà de ce sombre panorama, il faut cependant reconnaître que tous nos gouvernements sont maintenant soumis aux dictats de l’obscure Finance, même les plus puissants d’entre eux, comme la Chine et la Russie, et ne semblent même plus rêver de s’en affranchir.


Il est sans doute utopique de rêver à nous libérer mondialement du pouvoir de la Finance, mais on peut quand même imaginer des projets de libération à une échelle locale, celle du Québec.


À l’époque où nos rêves d’indépendance politique ont pris forme, c’est la conquête d’un levier économique qui en a été le premier véhicule : la maîtrise du secteur énergétique, grâce à la mise sur pied de la Société Hydro-Québec.


Actuellement, si on veut rêver d’une reconquête de nos libertés collectives, c’est dans cette voie qu’il faut s’engager et c’est le secteur du numérique qui devrait être notre première cible, car c’est celui qui constitue le plus essentiel instrument de notre asservissement par la Finance. C’est aussi celui qui s’implante à grande vitesse comme système nerveux central de la nouvelle société mondialisée et de notre société locale — sans parler de nos vies intimes. Il nous faut de toute urgence créer une Société d’État chargée de développer des instruments numériques et dotée de moyens au moins comparables à ceux du privé, mais axée sur la poursuite du bien commun plutôt que du profit immédiat pour des actionnaires fantômes et jamais responsables de leurs dégats.


Les champs de bataille à venir touchent tous les secteurs d’activité et en particulier les plus névralgiques, comme les communications, l’information, les transports, l’énergie, le commerce, la santé, la justice, la culture, l’éducation et bien sûr la Finance elle-même, c’est-à-dire le crédit, les services bancaires, les assurances, etc. Bref tous les instruments permettant de conquérir une plus grande indépendance réelle pour notre société, et non pas seulement des instruments de nature politique, de plus en plus condamnés à l’impuissance devant les dictats de la Finance, même si c’est en fin de compte vers les institutions politiques qu’il faut se tourner pour amorcer un processus de reconquête.


Une Société d’État chargée de créer des instruments numériques ne manquerait pas de mandats potentiels. Elle ne peut pas s’attaquer de front à tous les géants du numérique, mais cela ne signifie pas qu’elle serait condamnée à l’impuissance. Si par une quelconque magie politique, elle pouvait naître rapidement, elle pourrait par exemple se voir confier le mandat de créer un instrument de gestion des transports urbains, un instrument capable de mettre en relation tous les usagers avec tous les fournisseurs de services publics. Une sorte d’Uber en quelque sorte, mais avec une efficacité multipliée et mise au service du bien commun. Surtout si au lieu de construire à coups de milliards des métros, des tramways ou autres rails, on décidait d’exploiter simplement les réseaux existants en multipliant leur efficacité pour pouvoir mettre au rancart une partie de la flotte automobile.


Déjà, les milliards dépensés en contrats auprès des entreprises privées, souvent sans résultats, pour doter l’État d’instruments numériques de sa gestion suffiraient à financer une nouvelle société d’État.


Une telle conquête réelle, ou n’importe quelle autre, ouvrirait la porte à toutes les autres, car la magie d’un rêve en permet la multiplication. Et pour ceux qui seraient tentés de dire « Rêve toujours », je rappellerai que dans le monde actuel régi par la Finance et la propriété privée maximale, il existe un régime de brevets dont les retombées à moyen terme suffiraient amplement à financer la nouvelle Société d’État sans vider les poches des citoyens.


Actuellement, c’est plutôt la magie du numérique privé qui est en train d’envahir nos rêves jusqu’à nous couper de la réalité. Il est temps de se réveiller et de transformer nos rêves en projets.


L’adoption d’un tel plan de match pourrait être faite par n’importe quel parti assez lucide et audacieux, et pas seulement par un parti « indépendantiste ». C’est peut-être avec ce genre d’idée qu’Alexandre Taillefer compte mener sa future campagne à la chefferie du Parti Libéral. Quoi qu’il en soit, un projet collectif de cette envergure pourrait surtout redonner le goût de la politique à la jeune génération et, une fois le Québec lancé sur cette voie de reconquête, il y a fort à parier que la souveraineté politique n’aurait plus qu’à tomber comme un fruit mûr.


Accepter de faire un détour ne signifie nullement perdre de vue l’objectif. Dans ce cas-ci, le détour serait aussi le chemin le plus court.


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Denis Blondin35 articles

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Anthropologue





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